Une quarantaine d’intellectuels, de juristes, de politiciens et d’activistes ont signé la semaine dernière une étude établie par un groupe de juristes qui accusent le chef de l’État, Michel Aoun, d’avoir violé à maintes reprises la Constitution depuis son accès à la première magistrature. Composé de 33 pages, le document indique que ces infractions « risquent de changer la nature du système républicain, démocratique et parlementaire libanais, ainsi que la formule libanaise, voire l’identité du Liban ». Brandissant l’article 60 de la Constitution qui autorise le Parlement à mettre en accusation un chef de l’État pour haute trahison ou violation de la Constitution, le document exhorte les députés à agir.
Élaboré principalement par l’ancien président du Conseil d’État Chucri Sader et par le constitutionnaliste Hassane Rifaï, le texte est cosigné notamment par Antoine Messarra, ancien membre du Conseil constitutionnel, Michel el-Khoury, ancien gouverneur de la BDL et fils du premier président du Liban indépendant, Béchara el-Khoury, ainsi que par les anciens députés Dory Chamoun, Farès Souhaid et Ahmad Fatfat, l’activiste Nawal Meouchy, Monika Borgman Slim, épouse du militant assassiné Lokman Slim, Antoine Courban, médecin et humaniste, et Michel Hajji Georgiou, ancien collaborateur de L’Orient-Le Jour. Écrit en arabe, il a été traduit en français et en anglais avant d’être envoyé aux Nations unies, à l’Union européenne (UE), et aux ambassades des États-Unis et de France. Il sera soumis aux Libanais désireux de le signer et retranscrit dans un livret destiné à être distribué.
Les signataires de cette étude soupçonnent le chef de l’État de « recourir à des pratiques anticonstitutionnelles et des interprétations erronées de la Constitution », estimant que celles-ci causent « un préjudice grave à l’intérêt public ». Ils accusent « le ministre de toutes les violations », de l’aider en cela, dans une claire référence au conseiller du président Aoun, Salim Jreissati, qui a répondu aux attaques par un communiqué cinglant. « Des sbires ayant une maîtrise sectaire et politisée de la science constitutionnelle ont dressé un procès-verbal d’accusation contre le président de la République », a-t-il lancé, évoquant « une approche légère, personnelle et revancharde, loin de toute objectivité ».
L’étude des activistes évoque de nombreuses « positions anticonstitutionnelles ». Elle accuse notamment le président Aoun de « vouloir participer à la formation du gouvernement à égalité avec le chef du gouvernement désigné, sous prétexte que la Constitution lui donne le pouvoir de signer avec lui le décret de formation ». « Il veut s’octroyer des ministres appartenant à son camp et désigner lui-même des ministres chrétiens, cherchant par ce moyen d’avoir des représentants au sein du gouvernement, alors que selon la Constitution, il n’a pas le pouvoir de voter lors des Conseils des ministres et n’a pas la responsabilité politique des actes du gouvernement », ajoute le texte. « Le chef de l’État doit certes veiller à une juste représentation de toutes les communautés mais il ne peut entrer dans les détails des noms ministrables », martèle Chucri Sader à L’OLJ, soulignant que « le président Aoun avait lui-même critiqué l’ancien chef d’État Michel Sleiman parce qu’il réclamait pour lui une part de trois ministres ». Sur le rôle du président Aoun dans la formation du gouvernement, Salim Jreissati affirme qu’il est « essentiel », en ce qu’il consiste à publier le décret « en accord » avec le chef du gouvernement désigné.
Un autre grief invoqué est le refus du chef de l’État de signer le décret des permutations judiciaires, violant ainsi l’article 20 de la Constitution qui consacre l’indépendance de la justice. « La décision du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est définitive et contraignante, et le président de la République a sur ce plan une compétence liée », indique le texte. « Faux, réplique M. Jreissati, le décret simple étant ce qui reste comme pouvoir au président après l’accord de Taëf. »
En mai 2019, le président Aoun avait signé un décret de naturalisation concernant 400 étrangers. « Outre de riches hommes d’affaires suspects, vingt Palestiniens ont été naturalisés », dénonce le document, rappelant que « la naturalisation de Palestiniens contrevient au préambule de la Constitution qui interdit leur implantation ». « C’est seulement après un tollé que le chef de l’État avait chargé le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, de faire un examen détaillé de chaque nom », ajoute le texte. À ce sujet, M. Jreissati affirme à L’OLJ que le président Aoun avait fait son devoir, écartant les noms établis comme suspects par M. Ibrahim.
Septième sous-sol
En avril dernier, le ministre sortant de l’Économie, Raoul Nehmé, avait rédigé une lettre destinée au juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, lui demandant d’écarter l’hypothèse qu’un acte militaire ou terroriste pourrait être à l’origine de la double explosion au port de Beyrouth, et de cantonner l’enquête à l’éventualité d’actes de négligence. Il avait justifié sa requête par la nécessité, pour les assurés, d’obtenir des indemnités des sociétés d’assurances. « Où est le président face à l’atteinte flagrante à la Constitution que représente l’ingérence dans le pouvoir judiciaire ? » se demandent les signataires du document. « Le président a exigé que le ministre, animé toutefois de bonne intention, rectifie le tir », a rétorqué M. Jreissati.
Interrogé sur l’utilité de la publication de ce rapport, Chucri Sader affirme à L’OLJ qu’il ne s’attend pas à ce que le Parlement poursuive le président devant la justice. « La mise en accusation nécessite une majorité des deux tiers des députés, quasiment impossible à recueillir, le camp du chef de l’État et ses alliés étant majoritaires au sein de l’Assemblée nationale », note-t-il, soulignant qu’avec les signataires de ce rapport, il utilise « la parole » pour dénoncer devant l’opinion publique et la communauté internationale « la récurrence d’entorses à la Constitution » qui ont conduit les Libanais au « septième sous-sol de l’enfer ». « Si les députés ne jouent pas leur rôle en menant des enquêtes, leurs enfants et ceux des citoyens libres les maudiront », assène M. Sader.
commentaires (21)
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Hitti arlette
16 h 24, le 06 mai 2021