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Moyen-Orient - Analyse

Vers une réconciliation des axes sunnites ?

Alors que Washington veut coûte que coûte trouver un accord avec Téhéran, Ankara multiplie de son côté les initiatives en vue de sortir de son isolement diplomatique et cherche à renouer avec Le Caire et Riyad.

Vers une réconciliation des axes sunnites ?

Le président turc Recep Tayyip Erdogan (à droite) accueillant le roi saoudien Salmane ben Abdelaziz à son arrivée à l’aéroport Esenboga d’Ankara, le 11 avril 2016. Adem Altan/AFP

C’est le dernier geste en date illustrant les velléités d’Ankara en vue d’un rapprochement avec ses concurrents sunnites régionaux. Dans un entretien accordé à Reuters lundi, Ibrahim Kalin, porte-parole et conseiller du président turc Recep Tayyip Erdogan, a ainsi affirmé que son pays cherchait « des moyens de réparer la relation avec l’Arabie saoudite à travers un programme plus positif ». La déclaration intervient alors que le commerce entre les deux pays a chuté de 98 % depuis l’an dernier, résultat du boycott officieux des produits turcs par les entreprises au sein du royaume wahhabite, sur fond de tensions grandissantes nées de l’activisme de la Turquie au Moyen-Orient et du meurtre du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien à Istanbul, en 2018.

Ces annonces turques s’inscrivent dans la continuité d’une nouvelle dynamique inaugurée à l’orée de la nouvelle année avec la levée, en janvier, de l’embargo imposé depuis 2017 par l’Arabie saoudite et ses alliés – dont l’Égypte – au Qatar, allié de la Turquie. Elles font plus globalement écho aux contours de la politique extérieure que le président américain Joe Biden souhaite mettre en œuvre dans la région et dont le maître mot est l’apaisement.

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Ankara se démène ainsi depuis plusieurs semaines pour montrer combien il est prêt à accomplir sa part du projet. Première étape, Le Caire, envers qui il multiplie les signes d’accalmie. On compte au rang de ceux-ci l’interdiction faite aux médias proches des Frères musulmans de parler de politique en Turquie ou bien les requêtes soumises aux diasporas égyptienne, mais aussi issues du Golfe dans le pays et visant à les décourager de toute critique vis-à-vis de leurs régimes respectifs. Bien plus significatif encore est le changement d’attitude opéré par les autorités turques vis-à-vis du procès en Arabie saoudite ayant condamné l’an passé huit personnes à des peines allant de sept à vingt ans pour le meurtre de Jamal Khashoggi. « Ils ont pris une décision. Nous respectons donc cette décision », a déclaré M. Kalin. Des termes pour le moins timorés à la lumière des versions diamétralement opposées que font Riyad et Ankara de cet assassinat hautement médiatique. Alors que la justice saoudienne a écarté la responsabilité du prince héritier Mohammad ben Salmane et affirmé que la mort de M. Khashoggi n’était pas préméditée, les autorités turques considèrent, elles, que le meurtre avait été préparé et qu’il implique les plus hautes sphères du royaume.

Les propos de M. Kalin surviennent alors qu’une rencontre entre Ankara et Le Caire est attendue la semaine prochaine. De ces discussions, la Turquie espère la réinitialisation des liens entre les deux pays et n’hésite pas d’ailleurs à claironner que ces relations étaient autrefois bonnes, y compris dans les années précédant l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans en Égypte avant leur renversement en juillet 2013 et l’avènement du règne de Abdel Fattah el-Sissi, adversaire acharné de la confrérie. Autre main tendue, Ibrahim Kalin a également affirmé à Reuters qu’un « rapprochement avec l’Égypte... serait certainement bénéfique à la situation sécuritaire en Libye ». Des termes qui résonnent avec la formation d’un gouvernement intérimaire d’union nationale en Libye, signant l’amorce d’une réconciliation entre les différentes parties ayant pris part à la guerre civile, à savoir l’Armée nationale libyenne du maréchal Khalifa Haftar – soutenue par Riyad, Le Caire, Abou Dhabi et, de manière plus tacite, Paris – et le Gouvernement d’alliance nationale, largement appuyé par la Turquie.

Laisser des plumes

En filigrane de ces efforts diplomatiques, c’est le récit autour d’une confrontation entre les deux principaux pôles sunnites régionaux qu’Ankara semble vouloir geler. Aux yeux de sa population d’abord, mais aussi auprès des opinions publiques du Golfe et d’Égypte ainsi que de leurs leaderships respectifs. Ces dernières années, et notamment après le déclenchement des printemps arabes, les deux puissances se sont opposées autour de projets régionaux politiques divergents : l’Arabie saoudite craignant la montée en puissance des Frères musulmans, dont le Parti Justice et Développement de M. Erdogan est issu ; la consolidation d’une rhétorique turque à la fois nationaliste et panislamiste et l’extension de son hégémonie par delà ses frontières. Plus encore, Ankara et Riyad se sont symboliquement disputé la tête du monde sunnite, le premier n’hésitant pas à faire durant un temps de la surenchère dans la défense des minorités musulmanes opprimées dans le monde pour mieux pointer du doigt les écueils attribués au second.

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Motivées par des facteurs économiques évidents, les autorités turques veulent maintenant en découdre avec l’isolement diplomatique de leur pays qui a atteint son acmé en 2020. Qu’il s’agisse de Riyad, du Caire ou d’Ankara, les trois protagonistes doivent par ailleurs composer avec une nouvelle administration américaine qui leur est moins favorable, que ce soit explicitement ou de manière plus indirecte. Là où le populisme affiché de l’ancien président américain Donald Trump a pu galvaniser l’autoritarisme d’un Mohammad ben Salmane, d’un Abdel Fattah el-Sissi ou d’un Recep Tayip Erdogan, Joe Biden avait, du moins sur la forme, témoigné durant sa campagne d’une volonté de remettre les droits humains au cœur de la politique étrangère des États-Unis et de trouver une solution au conflit au Yémen dans le cadre duquel s’affrontent Riyad et Téhéran. Si une partie de ses ambitions ne semblent pas résister à l’épreuve de la realpolitik, le chef de la Maison- Blanche n’a pas toutefois hésité à reconnaître le 24 avril dernier le génocide arménien, un coup dur pour Ankara qui a toutefois rétorqué de manière particulièrement modérée, comme s’il fallait envers et contre tout se refaire une place respectable dans le concert des nations. Qui plus est, l’administration Biden est bien décidée à conclure un accord avec Téhéran, une manœuvre qui au départ suscitait les cris d’orfraie de Riyad, avant que, bon gré mal gré, le principal allié de Washington dans la péninsule Arabique se résigne à l’amer constat de l’obstination américaine.

Comment dès lors interpréter ces signes de rapprochements entre deux axes qui se disputent le leadership régional depuis des années ? Il y a deux façons au moins de le faire, dans le contexte actuel. La première : relever que cela s’insère dans une dynamique régionale d’accalmie. L’Arabie saoudite et l’Iran ont repris langue pour la première fois depuis 2016 à Bagdad, le 9 avril dernier. Les pourparlers irano-saoudiens concernent surtout la guerre au Yémen, un conflit dont Riyad cherche à s’extirper et où Téhéran serait prêt à lâcher du lest, contrairement à ses autres terrains d’intervention. Mais ils ne sont pas forcément le signe d’un bouleversement total des lignes. Et c’est là qu’intervient la deuxième grille de lecture possible. L’éclatement du monde sunnite en différents pôles de puissance a fait le jeu de l’Iran au cours de la dernière décennie. Leur unité retrouvée – même si tout porte à croire qu’elle est factice puisque les problématiques de fond n’ont pas été réglées – peut être considérée comme une mauvaise nouvelle pour la République islamique, fer de lance du troisième axe qui cherche à étendre son influence au Moyen-Orient.

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