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Moyen-Orient - Éclairage

Les enjeux d’un rapprochement turco-égyptien

Suivant l’exemple de son allié qatari, Ankara souhaiterait à présent apaiser ses relations avec Le Caire, rompues après la destitution du président Morsi en 2013.

Les enjeux d’un rapprochement turco-égyptien

Manifestation contre l’intervention égyptienne en Libye, à Tripoli, le 21 juin 2020. Mahmud Turkia/AFP

Ce serait un rapprochement inédit après plus de sept années de crise. Vendredi, la Turquie a affirmé par la voix de son ministre des Affaires étrangères que des « contacts au niveau diplomatique ont débuté avec l’Égypte (...) sans précondition » de part et d’autre. « Bien sûr, nous voudrions poursuivre ce processus en le renforçant. Une fois que les contacts sécuritaires, diplomatiques et politiques auront produit des résultats, nous pourrons porter cela à un niveau plus élevé », a ajouté le président Recep Tayyip Erdogan, qui a fait savoir que ces premiers contacts ont pour le moment lieu « juste un cran en dessous du plus haut niveau ». Les relations entre ces deux pays s’étaient détériorées lors de la destitution en juillet 2013 du président égyptien Mohammad Morsi, issu des Frères musulmans et soutenu par Ankara et Doha. Durement réprimés par le général Abdel Fattah al-Sissi qui les a désignés comme terroristes, plusieurs membres égyptiens du mouvement frériste ont trouvé refuge en Turquie. En juin 2019, M. Erdogan avait accusé les « tyrans » au pouvoir en Égypte d’être responsables de la mort de Mohammad Morsi, maintenu à l’isolement dans les geôles du pays après le coût d’État militaire du président actuel.

Méditerranée orientale

Ces derniers jours, les responsables turcs ont cependant baissé le ton envers le régime égyptien. Cette opération de charme intervient au moment où Ankara est isolé diplomatiquement sur la scène régionale. À ses yeux, un réchauffement des relations avec Le Caire pourrait lui être favorable sur au moins deux questions : le partage des gisements de gaz naturel en Méditerranée orientale et la situation politique en Libye. Début mars, la Turquie s’était dit prête à « négocier au sujet des frontières maritimes avec l’Égypte et signer un accord à l’avenir », lors d’une conférence de presse tenue par Mevlüt Cavusoglu, chef de la diplomatie du pays. Cette déclaration faisait suite à la signature d’un accord entre Le Caire et Athènes en août 2020 pour délimiter leurs zones de juridiction maritime respectives, en pleine crise gréco-turque sur les hydrocarbures en Méditerranée orientale. Si Ankara s’en était senti exclu, M. Cavusoglu avait tout de même admis que l’Égypte avait « respecté les frontières sud » du plateau continental turc, « même après avoir signé un accord avec la Grèce ». « Elle a mené ses activités sans violer nos frontières », avait ajouté ce dernier.

Pour mémoire

Ankara veut renforcer sa relation avec Le Caire

La Turquie avait elle-même signé en novembre 2019 un accord historique avec le chef du Gouvernement d’union nationale (GNA) sortant de Fayez el-Sarraj, prévoyant sa mainmise sur les gisements gaziers revendiqués par la Grèce et Chypre. Le pays avait alors mené plusieurs explorations pétrolières et gazières au large de Chypre, s’attirant les foudres de l’Union européenne.

Tant que ces deux accords existent, les conditions d’un rapprochement entre l’Égypte et la Turquie semblent cependant compromises. « Ces deux accords ne sont pas compatibles. Cependant, si Le Caire venait à inclure Ankara dans le Forum du gaz de la Méditerranée orientale, la Turquie devrait annuler son accord avec la Libye », commente Marwa Maziad, chercheuse non résidente au Middle East Institute. Créé en septembre 2020, le Forum du gaz de la Méditerranée orientale comprend l’Égypte, la Grèce, l’Italie, Chypre, Israël, la Jordanie et les territoires palestiniens. Alors qu’un accord maritime turco-égyptien pourrait bénéficier économiquement au gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, marqué par un effondrement des réserves en devises étrangères, Le Caire, à qui le Fonds monétaire international a accordé une aide d’urgence de 2,8 milliards de dollars l’an dernier, pourrait également y trouver son intérêt. En Libye, si l’Égypte et la Turquie soutenaient des camps opposés, la situation semble s’être récemment apaisée. En février dernier, le pays s’est doté d’un nouveau Premier ministre à l’issue du vote des membres du Forum de dialogue politique libyen sous l’égide de l’ONU. Proche de la Turquie, Abdelhamid Dbeibah avait notamment qualifié cette puissance d’« amie et alliée ». Signe d’une détente du côté du Caire, l’Égypte avait également réservé un accueil chaleureux au nouveau représentant de l’exécutif libyen, accueilli dans la capitale égyptienne pour sa première visite officielle à l’étranger. Abdel Fattah al-Sissi avait alors réaffirmé le soutien de son pays au « peuple libyen dans sa mise au point des mécanismes de gestion du pays » et sa quête de « stabilité ». Alors qu’Ankara avait envoyé des mercenaires de Syrie pour combattre aux côtés du GNA, un « reset » des relations turco-égyptiennes pourrait empêcher un nouvel affrontement militaire sur le sol libyen. « Erdogan est pragmatique et pratique. Il sait qu’une normalisation avec l’Égypte devra passer par le départ des mercenaires de Libye », explique Marwa Maziad.

Pour mémoire

La Turquie prête à négocier avec l’Égypte


Au-delà du Caire, Ankara a récemment multiplié les gestes d’ouverture envers ses voisins. Depuis la fin du mois de janvier, les diplomates grecs et turcs travaillent à la poursuite de pourparlers directs officiels entre leurs deux pays pour tenter de trouver une solution au conflit des hydrocarbures en Méditerranée orientale. Interrompus pendant cinq ans, ces derniers doivent reprendre aujourd’hui. La Turquie cherche également à améliorer ses relations avec les pays du Golfe, notamment Riyad et Abou Dhabi, suivant les pas de son allié qatari. En janvier dernier, l’Arabie saoudite et ses alliés ont scellé leur réconciliation avec Doha lors du sommet du Conseil de coopération du golfe (CCG), mettant fin à une crise de plus de trois ans. « En tant que partenaire stratégique du CCG et en accordant une grande importance à la sécurité et à la stabilité dans la région du Golfe, la Turquie continuera à soutenir tous les efforts dans ce sens », s’était empressé de déclarer le ministère turc des Affaires étrangères. « Tout comme de nombreux pays de la région, la Turquie réagit à la dynamique changeante et aux changements dans les théâtres internationaux et régionaux principalement après l’arrivée au pouvoir de Biden aux États-Unis et l’accord d’al-Ula lors du sommet du CCG », observe Ali Bakir, professeur assistant au centre qatari Ibn Khaldoun. Signe d’un apaisement recherché par Ankara, les responsables turcs sont restés silencieux sur la publication par les services de renseignements américains du rapport Khashoggi, mettant en avant le rôle du prince héritier saoudien dans la mort du journaliste et dissident. Malgré le changement de ton de la Turquie, peu d’analystes parient sur le réchauffement immédiat des relations turco-égyptiennes, alors que Le Caire pourrait exiger d’Ankara la fin de son soutien aux Frères musulmans. « Il est évident que la Turquie et l’Égypte ont des intérêts communs en Libye et en Méditerranée orientale. Mais, en ce qui concerne les motivations de chacun d’entre eux à se rapprocher de l’autre, ils peuvent différer », poursuit Ali Bakir. Dimanche dernier, l’Égypte s’est d’ailleurs montrée prudente à cet égard. « Si nous constations un vrai changement dans la politique (étrangère) turque, s’alignant sur l’Égypte pour stabiliser la région (...), cela pourrait jeter les bases de liens restaurés », a déclaré le ministre égyptien des Affaires étrangères. « Les mots ne suffisent pas, ils doivent être confirmés par des faits », a ajouté Sameh Choukri.

Ce serait un rapprochement inédit après plus de sept années de crise. Vendredi, la Turquie a affirmé par la voix de son ministre des Affaires étrangères que des « contacts au niveau diplomatique ont débuté avec l’Égypte (...) sans précondition » de part et d’autre. « Bien sûr, nous voudrions poursuivre ce processus en le renforçant. Une fois que les contacts...

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