Le vice-président de la Chambre Élie Ferzli fait actuellement la une des médias. D’abord en raison de ses déclarations d’une rare franchise, venant d’une personnalité qui s’est investie dans le monde de la politique depuis plusieurs décennies, et ensuite parce que son divorce avec le groupe parlementaire aouniste ne s’est pas fait à l’amiable. Ses récentes déclarations sur l’urgence du départ des responsables pour laisser le champ libre à l’armée qui prendrait en charge le pouvoir pour une période transitoire ont ainsi été largement commentées dans les médias. Certains y ont vu une attaque directe contre le président de la République dont Élie Ferzli était censé être proche, et d’autres un hommage tonitruant à l’armée considérée comme la seule institution encore crédible dans le pays.
Les interprétations de cette déclaration se sont ainsi multipliées, en dépit des explications d’Élie Ferzli lui-même. Ce dernier a en effet précisé par la suite qu’il n’a pas visé le chef de l’État en particulier, mais tous les responsables, parce que la situation est devenue intolérable et qu’il faut sauver ce qui peut encore l’être. Malgré ces précisions, le vice-président de la Chambre est pour certains un bon lecteur des développements internationaux, et il a cherché ainsi à marquer son éloignement du camp aouniste pour se rapprocher du Premier ministre désigné Saad Hariri dans un but électoral clair. Pour d’autres, il a dit tout haut ce que les proches du président de la Chambre pensent sans pouvoir le dire pour ne pas aggraver le fossé entre Amal et le Hezbollah.
Quelle que soit l’interprétation choisie, la déclaration d’Élie Ferzli ne peut pas être prise à la légère, car elle provient d’une personne qui a une longue expérience de la vie politique libanaise et qui en connaît tous les rouages. Le vice-président de la Chambre a en effet connu l’ère des milices pendant la guerre civile, avant de jouer un rôle prépondérant pendant la période de la tutelle syrienne, pour faire ensuite partie de « la cellule du samedi » auprès de Michel Aoun, devenu chef du groupe parlementaire du Changement et de la Réforme après le départ des Syriens et son retour d’exil. À cette époque, il avait même été à l’origine du projet de loi dit « grec-orthodoxe », qui était devenu le cheval de bataille électoral de ce même groupe parlementaire. Mais depuis les élections législatives de 2018, Élie Ferzli a commencé à prendre ses distances avec le camp aouniste, marquant une certaine divergence avec les décisions du groupe parlementaire, devenu celui du « Liban fort ». Petit à petit, il s’était ainsi rapproché du président de la Chambre et du chef du courant du Futur, essayant même lorsqu’il le pouvait d’entreprendre des médiations entre ces deux derniers et le chef de l’État. De plus, Élie Ferzli n’était pas favorable à la cabale menée par le camp aouniste contre le secteur bancaire et le gouverneur de la Banque du Liban. Mais les deux parties continuaient malgré tout à maintenir un lien ténu entre elles... jusqu’à la dernière déclaration du vice-président de la Chambre sur la nécessité pour l’armée de prendre le pouvoir et de renvoyer du même coup les responsables à la maison.
Si Élie Ferzli voulait prononcer un discours choc, il a réussi son coup. Dans une situation aussi dramatique sur le plan social, économique et politique et surtout face à l’impasse totale dans laquelle se trouve le pays, l’armée reste l’option la plus acceptable. Mais jusqu’à présent, personne – et surtout pas une figure politique de premier plan comme Élie Ferzli – n’avait osé le dire aussi clairement. Y avait-il donc quelque chose qui se tramait dans les coulisses du pouvoir ou de la diplomatie ? Le vice-président de la Chambre savait-il quelque chose que les autres ignoraient et était-il chargé de préparer le terrain à ce qui a été qualifié de « coup d’État » ?
Si dans les milieux politiques les spéculations vont bon train, du côté de l’armée, on rejette totalement un tel scénario. Les sources militaires interrogées sont catégoriques : l’armée libanaise ne veut en aucun cas être impliquée dans les conflits et les zizanies politiques. Elle a déjà trop à faire en veillant à la sécurité du pays et de ses différentes composantes. En même temps, elle est responsable des frontières, et elle lutte contre la contrebande à la frontière syrienne, dans une région difficile à contrôler. Elle combat aussi le terrorisme, dans un environnement rendu encore plus complexe par la crise sociale, notamment dans les milieux défavorisés et dans les camps de déplacés syriens et de réfugiés palestiniens.
En plus de ses multiples tâches, l’armée doit aussi constamment faire preuve de vigilance face aux tentatives de la classe politique de l’entraîner dans des conflits internes ou de la mettre en position de confrontation, avec telle ou telle autre partie. Tantôt son chef est accusé d’avoir des ambitions présidentielles et d’utiliser sa fonction et ses relations dans ce but. Tantôt elle est accusée d’être un instrument de la politique américaine au Liban pour susciter des frictions avec le Hezbollah. Tantôt, encore, elle est accusée de malmener les manifestants dans une tentative de monter la population contre elle. Et maintenant, on cherche à lui attribuer un rôle dont elle ne veut pas et auquel elle ne songe pas. Selon les sources militaires précitées, nul n’a intérêt à impliquer l’armée dans les affaires politiques intérieures, sauf si on cherche à discréditer la dernière institution de l’État encore crédible. Les mêmes sources affirment que l’armée connaît son rôle et ses limites et ne compte pas les outrepasser. Sa priorité est d’ailleurs de répondre aux attentes de la population et de rester le rempart de la souveraineté nationale. Ces sources ajoutent enfin que l’idée de pousser l’armée à prendre le pouvoir est évoquée de temps à autre, mais qu’elle n’est pas réaliste et ne repose sur aucune base constitutionnelle. Pour elles, il serait donc préférable d’oublier ce scénario...
commentaires (7)
Très simplet comme analyse ou suggestion qui se base sur des Si et des tantôt, des suppositions sans donner de raisons valables ni concrètes, annoncer dans une diatribe à peine voilée contre l’armée et son commandant en chef de craindre d’intervenir face au Hezbollah, et aux jihadistes planqués partout aux frontières, et dans nos régions, c’est un peu facile comme raisonnement. Balancer le faux pour connaitre le vrai, en attendant la réaction de toutes les parties en bisbille. De ce fait l’article protège Aoun, en insinuant qu’il pourrait rester le seul recours pour garder les rennes d’un pouvoir finissant qui est aux abois, ainsi il aura une sortie salutaire pour le sauver l’air de ne pas y toucher. Cet article aurait eu une apparence machiavélique s’il était un tant soit peu crédible, basé sur des faits et non sur des conditionnels et des suppositions non étayés pour nous amener à croire que la République serait en danger sans Aoun et ses acolytes. La rédactrice de cet article a essayé de s’arranger avec la vérité pour le maintien du pouvoir en place. Faisant d’une pierre deux coups, d’un côté se faire adouber par les Libanais et de maintenir son héraut au pouvoir malgré toutes ses incompétences pour gouverner. C’est un coup d’Etat du pouvoir en place qui règle ses comptes avec le commandant en chef de l’armée l’air de rien.
Le Point du Jour.
09 h 55, le 24 avril 2021