Partir, rester, repartir, revenir, ne plus revenir, ne pas se retourner, oublier, ne pas oublier, tirer un trait. Garder espoir, le perdre, le retrouver ; ne plus y croire, y croire encore… sont aujourd’hui les tourments et les interrogations d’un grand nombre de Libanais.
Nous sommes tous en proie à des dilemmes qu’on ne peut que qualifier d’insoutenables. Ballotés entre résignation et révolte, confiance et découragement, nous ne savons plus vraiment qui nous sommes, où nous sommes et ce que nous voulons. Nos vies ont drastiquement changé. En un an, elles se sont effondrées et ce La La Land dans lequel nous vivions a laissé place à un chaos incommensurable. Nous sommes perdus, c’est indéniable. Et nous errons sans savoir vers quoi nous nous dirigeons. Les autres peuples sont également accablés par la pandémie. Par un enfermement, des restrictions, une isolation sociale, la peur d’attraper le virus, l’attente du vaccin, le décès de proches et l’opacité concernant la fin de cette pandémie qui s’est abattue sur le monde entier il y a un peu plus d’un an maintenant. Mais nous savons qu’une fois une grande partie de la population mondiale vaccinée, le virus s’éteindra, même si l’angoisse de voir un variant plus fort se développer nous tient encore. Mais une fois toute cette histoire terminée, la vie se réinstallera petit à petit.
Sauf que pour nous, les Libanais, la vie ne reprendra pas son cours. En tout cas, pas un cours normal. Et c’est pour ça que nous sommes suspendus, noyés dans les limbes de l’incertitude, dans un brouillard sans nom. Michel Aoun n’a jamais été aussi visionnaire qu’il y a quelques mois lorsqu’il nous a dit que nous allions en enfer. C’est probablement son seul moment de lucidité depuis le début de son mandat. Nous sommes coincés entre l’enfer et le purgatoire, attendant inlassablement que quelque chose se dénoue. Mais rien ne se passe et la majeure partie des Libanais se réveille certains matins la boule au ventre ; d’autres jours, le cœur plus léger. Cette espèce de montagne émotionnelle est insupportable. Et elle vient s’ajouter au trauma post-4 août. Sans parler de toutes les douleurs accumulées depuis des mois et ancrées au fond de nous. Et voilà rejaillir ce terrible et cruel dilemme. Rester et mourir à petit feu ? Partir et se trahir ? Trahir les autres ? Trahir le Liban ? Laisser derrière nous ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas partir. Et que leur arrivera-t-il ? Qu’adviendra-t-il de notre pays ? De notre peuple? Que vont-ils encore nous faire subir ? Une nouvelle flambée du dollar ? La hausse des prix, la fin des subventions, la mainmise définitive du Hezbollah sur notre destin ? Des questions, encore des questions, toujours des questions et aucune réponse.
Ce qui est sûr, c’est qu’ils ont détruit nos vies. Et ils nous séparent. Comme ils ont constamment su si bien le faire. Ils séparent des familles, des amis. Ils séparent des mères de leurs enfants. Des enfants de leurs parents. Ils nous imposent une souffrance indescriptible et ce foutu dilemme qui n’arrête pas de revenir. De ronger nos tripes. Où aller ? Où et comment fuir ? Le voilà cet enfer dont nous parlait notre cher président. Un enfer physique certes, et un enfer psychologique que certains soignent à coups de médicaments ou autres substances chimiques. D’aucuns utilisent d’autres méthodes comme la méditation, le yoga ou la prière, s’accrochant à la foi pour espérer un éventuel miracle. Et pourtant il semblerait que l’on soit damnés.
Tout ce qui nous reste, ce sont nos proches, les gens qui nous entourent. Nous sommes les uns pour les autres des bouées de sauvetage. Et lorsqu’un de nous tombe, l’autre est là pour le relever, même si lui vacille. Même quand lui/elle est confronté(e) à ce putain de dilemme. Et pour ça, pour cette torture quotidienne, pour ce lourd fardeau que vous nous faites porter, ce poids qui écrase nos épaules, pour ce déni dans lequel vous vivez allègrement avec vos familles, nous ne pourrons jamais vous pardonner, ni oublier. Nous sortirons certes des soins intensifs, mais à quel prix? Et dans quel état ?
Nous sommes tous en proie à des dilemmes qu’on ne peut que qualifier d’insoutenables. Ballotés entre...
commentaires (3)
Chère Médéa, tous les exilés de force vous diront que l’éloignement de leur pays aggrave leur souffrance et souvent ce sont les résidents libanais qui viennent à leur secours en leur promettant des jours meilleurs et des retrouvailles heureuses. L’exil n’efface en rien leur souffrance qui est doublée de culpabilité de ne pas être auprès de leurs proches qui souffrent et leur douleur n’est pas atténuée par l’éloignement physique car de là où ils se trouvent ils se réveillent, mangent, prient aiment et respirent une chose leur Liban massacré et anéanti par une bande de nazes qui eux n’envisagent pas de quitter le pays avant de le voir en ruine et c’est cela même qui ajoute du désespoir à leur souffrance à leurs douleurs physiques et psychologiques qu’aucun spécialiste n’arrive à guérir. Nous pleurons notre pays et nous sentons incapables de venir à bout de ses souffrances à cause de quelques uns de ces demeurés qui continuent à vanter les mérites de ceux qui nous détruit et le pays avec et refusent de se joindre aux vrais libanais qui savent que seul son peuple uni le sauvera. Nous sommes condamnés à subir la double peine tout le temps jusqu’à ce que dans ce pays il n’y ait plus « des peuples » mais un peuple seul uni et rassemblé pour secourir sa nation à l’agonie depuis que les mercenaires ont réussi à s’infiltrer entre eux pour semer la haine et à les hypnotiser. NOUS AVONS MAL À NOTRE PAYS.
Sissi zayyat
19 h 02, le 09 avril 2021