En raison de l’impasse politique qui entrave tous les efforts de formation d’un gouvernement, M. Diab et le président Michel Aoun ont pris parfois des décisions exceptionnelles sur des questions urgentes. Ces décisions, diffusées par l’intermédiaire du secrétaire général du cabinet, sont le fait du chef de l’État et du Premier ministre.
En janvier dernier, alors que le nombre de cas positifs de Covid-19 atteignait un pic après la période des fêtes, MM. Aoun et Diab ont avalisé de manière « exceptionnelle » la recommandation du Conseil supérieur de la défense de confiner tout le pays. Un mois plus tôt, ils avaient approuvé la recommandation du même conseil de prolonger l’état de mobilisation générale de trois mois supplémentaires.
Cette pratique de plus en plus courante –les deux principaux hommes politiques du pays approuvant des mesures plus ou moins unilatéralement—interpelle des experts en droit. « Avec tout le respect que je leur dois, le président et le Premier ministre ne peuvent pas être une alternative au Conseil des ministres. Ils ne peuvent pas le remplacer, ce n’est pas constitutionnel », déclare à L’Orient Today Ziyad Baroud, avocat et ancien ministre de l’Intérieur de 2008 à 2011 sous les Premiers ministres Fouad Siniora et Saad Hariri. « Que le président et le Premier ministre donnent ce qu'ils appellent une approbation exceptionnelle n'est pas une pratique inscrite dans la Constitution, mais elle est exercée depuis quelques années », selon M. Baroud, qui ajoute : « Personne ne le conteste parce que cela facilite la vie des gens".
Une nouvelle normalité
En théorie, des processus tels que l’extension des confinements ou des états de mobilisation générale devraient nécessiter l’approbation du cabinet. Mais le Liban n’a pas de gouvernement fonctionnel depuis la démission du cabinet Diab à la suite de l’explosion catastrophique du port de Beyrouth. Les querelles politiques au sujet de la formation du nouveau gouvernement se poursuivent alors même que l’économie du pays et la monnaie nationale s'enfoncent à des niveaux historiquement bas. Avant même que Saad Hariri ne soit de nouveau chargé de former un gouvernement, il était en désaccord avec Michel Aoun, ce qui entrave la formation d’un cabinet, dont la mouture doit être approuvée par le chef de l’État et le Premier ministre désigné.
L'article 64 de la Constitution stipule que « le gouvernement n'exercera pas ses pouvoirs avant d'avoir obtenu la confiance, après avoir démissionné ou avoir été considéré comme démissionnaire, sauf au sens étroit d'un gouvernement intérimaire ». Cependant, en 1969, le Conseil d’État, un haut tribunal administratif qui supervise les décisions prises par l'État et ses administrations et a le pouvoir d'exiger un examen de ces décisions, avait décidé que les gouvernements sortants pouvaient se réunir pour traiter des questions urgentes, en particulier celles relatives à la sécurité publique.
« Cette décision [du Conseil d’État] signifie que s’il y a une question urgente, le cabinet a l’obligation de se réunir », indique à L’Orient Today Rizk Zgheib, avocat et maître de conférences à l’Université Saint-Joseph.
Lorsque le Premier ministre Najib Mikati a démissionné en 2013, son cabinet a continué à diriger le pays par intérim pendant 10 mois en raison d’une impasse politique. Pendant cette période, M. Mikati a tenu une réunion extraordinaire avec son cabinet pour nommer les membres du comité de supervision chargé de surveiller les élections législatives. Najib Mikati avait alors souligné que son gouvernement devait reprendre son rôle jusqu'à ce qu'un nouveau cabinet soit formé, afin d’éviter toute accusation de monopole des prises de décision « extraordinaires » par le président et le Premier ministre par intérim.
MM. Baroud et Zgheib notent toutefois que dans des périodes qui ont suivi des démissions plus récentes, le président et les Premiers ministres par intérim ont décidé de signer eux-mêmes des décisions relatives à des questions urgentes à la place des cabinets par intérim.
Rizk Zgheib et Ziyad Baroud admettent que certains défis auxquels le pays a été confronté en 2020 ont sans doute obligé le président et le Premier ministre par intérim à approuver des mesures de manière extraordinaire, mais ils restent préoccupés par le fait que cette pratique soit en train d’être normalisée. « Nous vivons dans des circonstances extraordinaires, une pandémie », souligne M. Baroud. « Lorsqu’il y a une urgence comme celle que nous vivons actuellement, le gouvernement peut et doit prendre des mesures pour faire face à l'urgence ».
Les deux experts craignent en outre de voir la pratique en vertu de laquelle le président et le Premier ministre par intérim approuvent des mesures sans convoquer le cabinet devenir la norme plutôt que l'exception.
Le gouvernement démissionnaire de Hassane Diab est le quatrième du genre depuis 2013, y compris celui dirigé par Saad Hariri en 2018-2019, qui a duré huit mois en raison d'une impasse politique. Aucun de ces gouvernements intérimaires ne s'est réuni au cours des huit dernières années.
« S’il s’agissait de quelque chose d’exceptionnel dans des circonstances exceptionnelles comme la pandémie, il n’y aurait pas de problème - nous pouvons dire qu'il y a d'autres priorités [que de convoquer un cabinet démissionnaire pour des questions urgentes]. Mais cela devient une pratique normale chaque fois qu'un gouvernement démissionne, et ceci illégal », déclare Rizk Zgheib.
De son côté, la conseillère médiatique de Diab, Leila Hatoum, fait valoir à L'Orient Today que l'article 64 empêche le cabinet de se réunir parce qu’il est démissionnaire. Contrairement à Mikati, qui a convoqué le gouvernement intérimaire avec la bénédiction du Parlement, Mme Hatoum relève que « Hassane Diab n’est pas soutenu par plusieurs partis politiques au Parlement ». En conséquence, toute décision prise avant qu’un nouveau gouvernement ne soit assermenté pourrait être examinée attentivement et M. Diab pourrait être menacé d’une action en justice.
Leila Hatoum souligne également que si M. Diab et Aoun approuvent les bouclages du pays liés du Covid-19, divers ministères et experts participent aux comités qui font des recommandations au Conseil supérieur de la défense, dont les ministères de la Défense et de l'Intérieur.
Le budget 2021 entre le marteau et l’enclume
Au-delà de la concentration du pouvoir entre les mains de deux hommes, la décision de ne pas convoquer le gouvernement intérimaire peut avoir des implications immédiates sur la capacité de l’État à fonctionner. Par exemple, le budget 2021 n'a pas encore été approuvé. Or, la date-limite légale pour soumettre le projet de budget -un élément clé de toute feuille de route pour faire face à la spirale de la crise financière- était à l'automne 2020. Or, par le passé, des cabinets intérimaires ont été convoqués pour approuver des projets de budget. En 1969, le cabinet démissionnaire de Rachid Karamé s’était réuni à cet effet en invoquant des circonstances exceptionnelles.
Fin mars, le projet de budget 2021 était encore au point mort, car Hassane Diab n'avait pas encore convoqué de réunion pour l'approuver. « Selon la [Constitution], le gouvernement doit soumettre un projet au Parlement dans des délais très clairs. Le budget doit être voté par le Parlement avant la fin de l'année », précise Ziyad Baroud. « Le cabinet n'a donc pas d'autre choix que de soumettre un projet au Parlement ». « Se réunir n'est pas optionnel ; c'est une obligation quand il s'agit de quelque chose comme le budget », martèle M. Baroud. « Et lorsque votre dollar est à 15 000 LL, cela relève de l'urgence extrême ».
Malgré le précédent, Leila Hatoum, la conseillère de Hassane Diab, estime que les amendements constitutionnels de 1990 empêchent un cabinet provisoire de prendre des décisions qui sont considérées comme contraignantes pour le prochain gouvernement. « Donc, dans tous les cas le Premier ministre Diab se retrouve entre le marteau et l’enclume », dit-elle.
Pas de voie claire à suivre
La constitutionnalité de la convocation d'un gouvernement sortant est une question cruciale.
Dans une déclaration publiée le 24 mars dernier, M. Diab a appelé le Parlement à définir clairement le rôle de son cabinet démissionnaire dans le contexte de l'impasse actuelle, regrettant d'être accusé à la fois de ne pas agir et d'outrepasser son autorité constitutionnelle. « D'un côté, les demandes visant à réactiver le gouvernement démissionnaire se multiplient, de l'autre, sont émis des mises en garde contre toute violation de la Constitution », a déploré M. Diab. « La controverse sur les pouvoirs d’un gouvernement intérimaire confirme la nécessité d'une interprétation constitutionnelle qui définisse les limites et le rôle du gouvernement démissionnaire à la lumière de la réalité actuelle résultant du retard dans la formation du gouvernement », a encore dit le Premier ministre sortant.
Interrogé par L'Orient Today, un porte-parole du palais présidentiel estime que « la situation doit être examinée… Il y a un élément constitutionnel, il y a aussi le fait que le pays n'a pas de gouvernement et que certaines décisions doivent être prises (…) Nous n’avons pas encore de position définitive à ce sujet qui est toujours en discussion ».
Que la non-convocation du cabinet relève de l’habitude, de la stratégie ou simplement de la confusion, la concentration du pouvoir entre les seules mains du président et du Premier ministre peut éroder la crédibilité du processus décisionnel du cabinet. « Lorsque la Constitution ou la loi stipulent que ce genre de question doit être traité par le Conseil des ministres, il y a une raison derrière cela », souligne Ziyad Baroud. « Certaines questions doivent être discutées en Conseil des ministres et le vote requiert parfois une majorité des deux tiers, la raison étant qu’il faudrait assurer aux décisions suffisamment de soutien ou de crédibilité, ou permettre à toutes les personnes concernées de participer à la décision ».
M. Baroud ajoute que la normalisation de ce processus sous un cabinet intérimaire pourrait prolonger les périodes d'impasse politique et ne pas inciter à la formation rapide d’un gouvernement. « Un gouvernement intérimaire est l'exception, il devrait être très limité dans le temps et ne pas durer des mois », souligne-t-il avant d'ajouter : « Lorsque vous normalisez la situation, vous dites : ‘d’accord, afin de faire avancer les choses, le président et le Premier ministre peuvent signer.' Cela pourrait inciter… ceux qui ne sont pas disposés à former un nouveau cabinet à continuer de s’y opposer ».
(Cet article a été originellement publié en anglais par L'Orient Today le 30 mars 2021)
Erreur ces 2 ne sont que des larbins de Nasrallah lui meme larbin de Khamenei
20 h 50, le 03 avril 2021