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Politique - Focus

En l’absence de gouvernement, deux hommes prennent les décisions les plus sensibles au Liban

Des experts mettent en garde contre une atteinte à la Constitution, qui peut avoir des effets nocifs.

En l’absence de gouvernement, deux hommes prennent les décisions les plus sensibles au Liban

Avec la démission du gouvernement, certaines décisions sensibles du gouvernement relèvent de la seule prérogative du président Michel Aoun et du Premier ministre sortant Hassan Diab. Photo Dalati & Nohra

Depuis la démission du cabinet du Premier ministre Hassane Diab à la suite de l'explosion du port de Beyrouth le 4 août denier, le Liban est gouverné par un cabinet intérimaire qui n'est pas habilité à se réunir ou à prendre des décisions importantes, du moins sur le plan constitutionnel.

En raison de l’impasse politique qui entrave tous les efforts de formation d’un gouvernement, M. Diab et le président Michel Aoun ont pris parfois des décisions exceptionnelles sur des questions urgentes. Ces décisions, diffusées par l’intermédiaire du secrétaire général du cabinet, sont le fait du chef de l’État et du Premier ministre.

En janvier dernier, alors que le nombre de cas positifs de Covid-19 atteignait un pic après la période des fêtes, MM. Aoun et Diab ont avalisé de manière « exceptionnelle » la recommandation du Conseil supérieur de la défense de confiner tout le pays. Un mois plus tôt, ils avaient approuvé la recommandation du même conseil de prolonger l’état de mobilisation générale de trois mois supplémentaires.

Cette pratique de plus en plus courante –les deux principaux hommes politiques du pays approuvant des mesures plus ou moins unilatéralement—interpelle des experts en droit. « Avec tout le respect que je leur dois, le président et le Premier ministre ne peuvent pas être une alternative au Conseil des ministres. Ils ne peuvent pas le remplacer, ce n’est pas constitutionnel », déclare à L’Orient Today Ziyad Baroud, avocat et ancien ministre de l’Intérieur de 2008 à 2011 sous les Premiers ministres Fouad Siniora et Saad Hariri. « Que le président et le Premier ministre donnent ce qu'ils appellent une approbation exceptionnelle n'est pas une pratique inscrite dans la Constitution, mais elle est exercée depuis quelques années », selon M. Baroud, qui ajoute : « Personne ne le conteste parce que cela facilite la vie des gens".

Une nouvelle normalité

En théorie, des processus tels que l’extension des confinements ou des états de mobilisation générale devraient nécessiter l’approbation du cabinet. Mais le Liban n’a pas de gouvernement fonctionnel depuis la démission du cabinet Diab à la suite de l’explosion catastrophique du port de Beyrouth. Les querelles politiques au sujet de la formation du nouveau gouvernement se poursuivent alors même que l’économie du pays et la monnaie nationale s'enfoncent à des niveaux historiquement bas. Avant même que Saad Hariri ne soit de nouveau chargé de former un gouvernement, il était en désaccord avec Michel Aoun, ce qui entrave la formation d’un cabinet, dont la mouture doit être approuvée par le chef de l’État et le Premier ministre désigné.

L'article 64 de la Constitution stipule que « le gouvernement n'exercera pas ses pouvoirs avant d'avoir obtenu la confiance, après avoir démissionné ou avoir été considéré comme démissionnaire, sauf au sens étroit d'un gouvernement intérimaire ». Cependant, en 1969, le Conseil d’État, un haut tribunal administratif qui supervise les décisions prises par l'État et ses administrations et a le pouvoir d'exiger un examen de ces décisions, avait décidé que les gouvernements sortants pouvaient se réunir pour traiter des questions urgentes, en particulier celles relatives à la sécurité publique.

« Cette décision [du Conseil d’État] signifie que s’il y a une question urgente, le cabinet a l’obligation de se réunir », indique à L’Orient Today Rizk Zgheib, avocat et maître de conférences à l’Université Saint-Joseph.

Lorsque le Premier ministre Najib Mikati a démissionné en 2013, son cabinet a continué à diriger le pays par intérim pendant 10 mois en raison d’une impasse politique. Pendant cette période, M. Mikati a tenu une réunion extraordinaire avec son cabinet pour nommer les membres du comité de supervision chargé de surveiller les élections législatives. Najib Mikati avait alors souligné que son gouvernement devait reprendre son rôle jusqu'à ce qu'un nouveau cabinet soit formé, afin d’éviter toute accusation de monopole des prises de décision « extraordinaires » par le président et le Premier ministre par intérim.

MM. Baroud et Zgheib notent toutefois que dans des périodes qui ont suivi des démissions plus récentes, le président et les Premiers ministres par intérim ont décidé de signer eux-mêmes des décisions relatives à des questions urgentes à la place des cabinets par intérim.

Rizk Zgheib et Ziyad Baroud admettent que certains défis auxquels le pays a été confronté en 2020 ont sans doute obligé le président et le Premier ministre par intérim à approuver des mesures de manière extraordinaire, mais ils restent préoccupés par le fait que cette pratique soit en train d’être normalisée. « Nous vivons dans des circonstances extraordinaires, une pandémie », souligne M. Baroud. « Lorsqu’il y a une urgence comme celle que nous vivons actuellement, le gouvernement peut et doit prendre des mesures pour faire face à l'urgence ».

Les deux experts craignent en outre de voir la pratique en vertu de laquelle le président et le Premier ministre par intérim approuvent des mesures sans convoquer le cabinet devenir la norme plutôt que l'exception.

Le gouvernement démissionnaire de Hassane Diab est le quatrième du genre depuis 2013, y compris celui dirigé par Saad Hariri en 2018-2019, qui a duré huit mois en raison d'une impasse politique. Aucun de ces gouvernements intérimaires ne s'est réuni au cours des huit dernières années.

« S’il s’agissait de quelque chose d’exceptionnel dans des circonstances exceptionnelles comme la pandémie, il n’y aurait pas de problème - nous pouvons dire qu'il y a d'autres priorités [que de convoquer un cabinet démissionnaire pour des questions urgentes]. Mais cela devient une pratique normale chaque fois qu'un gouvernement démissionne, et ceci illégal », déclare Rizk Zgheib.

De son côté, la conseillère médiatique de Diab, Leila Hatoum, fait valoir à L'Orient Today que l'article 64 empêche le cabinet de se réunir parce qu’il est démissionnaire. Contrairement à Mikati, qui a convoqué le gouvernement intérimaire avec la bénédiction du Parlement, Mme Hatoum relève que « Hassane Diab n’est pas soutenu par plusieurs partis politiques au Parlement ». En conséquence, toute décision prise avant qu’un nouveau gouvernement ne soit assermenté pourrait être examinée attentivement et M. Diab pourrait être menacé d’une action en justice.

Leila Hatoum souligne également que si M. Diab et Aoun approuvent les bouclages du pays liés du Covid-19, divers ministères et experts participent aux comités qui font des recommandations au Conseil supérieur de la défense, dont les ministères de la Défense et de l'Intérieur.

Le budget 2021 entre le marteau et l’enclume

Au-delà de la concentration du pouvoir entre les mains de deux hommes, la décision de ne pas convoquer le gouvernement intérimaire peut avoir des implications immédiates sur la capacité de l’État à fonctionner. Par exemple, le budget 2021 n'a pas encore été approuvé. Or, la date-limite légale pour soumettre le projet de budget -un élément clé de toute feuille de route pour faire face à la spirale de la crise financière- était à l'automne 2020. Or, par le passé, des cabinets intérimaires ont été convoqués pour approuver des projets de budget. En 1969, le cabinet démissionnaire de Rachid Karamé s’était réuni à cet effet en invoquant des circonstances exceptionnelles.

Fin mars, le projet de budget 2021 était encore au point mort, car Hassane Diab n'avait pas encore convoqué de réunion pour l'approuver. « Selon la [Constitution], le gouvernement doit soumettre un projet au Parlement dans des délais très clairs. Le budget doit être voté par le Parlement avant la fin de l'année », précise Ziyad Baroud. « Le cabinet n'a donc pas d'autre choix que de soumettre un projet au Parlement ». « Se réunir n'est pas optionnel ; c'est une obligation quand il s'agit de quelque chose comme le budget », martèle M. Baroud. « Et lorsque votre dollar est à 15 000 LL, cela relève de l'urgence extrême ».

Malgré le précédent, Leila Hatoum, la conseillère de Hassane Diab, estime que les amendements constitutionnels de 1990 empêchent un cabinet provisoire de prendre des décisions qui sont considérées comme contraignantes pour le prochain gouvernement. « Donc, dans tous les cas le Premier ministre Diab se retrouve entre le marteau et l’enclume », dit-elle.

Pas de voie claire à suivre

La constitutionnalité de la convocation d'un gouvernement sortant est une question cruciale.

Dans une déclaration publiée le 24 mars dernier, M. Diab a appelé le Parlement à définir clairement le rôle de son cabinet démissionnaire dans le contexte de l'impasse actuelle, regrettant d'être accusé à la fois de ne pas agir et d'outrepasser son autorité constitutionnelle. « D'un côté, les demandes visant à réactiver le gouvernement démissionnaire se multiplient, de l'autre, sont émis des mises en garde contre toute violation de la Constitution », a déploré M. Diab. « La controverse sur les pouvoirs d’un gouvernement intérimaire confirme la nécessité d'une interprétation constitutionnelle qui définisse les limites et le rôle du gouvernement démissionnaire à la lumière de la réalité actuelle résultant du retard dans la formation du gouvernement », a encore dit le Premier ministre sortant.

Interrogé par L'Orient Today, un porte-parole du palais présidentiel estime que « la situation doit être examinée… Il y a un élément constitutionnel, il y a aussi le fait que le pays n'a pas de gouvernement et que certaines décisions doivent être prises (…) Nous n’avons pas encore de position définitive à ce sujet qui est toujours en discussion ».

Que la non-convocation du cabinet relève de l’habitude, de la stratégie ou simplement de la confusion, la concentration du pouvoir entre les seules mains du président et du Premier ministre peut éroder la crédibilité du processus décisionnel du cabinet. « Lorsque la Constitution ou la loi stipulent que ce genre de question doit être traité par le Conseil des ministres, il y a une raison derrière cela », souligne Ziyad Baroud. « Certaines questions doivent être discutées en Conseil des ministres et le vote requiert parfois une majorité des deux tiers, la raison étant qu’il faudrait assurer aux décisions suffisamment de soutien ou de crédibilité, ou permettre à toutes les personnes concernées de participer à la décision ».

M. Baroud ajoute que la normalisation de ce processus sous un cabinet intérimaire pourrait prolonger les périodes d'impasse politique et ne pas inciter à la formation rapide d’un gouvernement. « Un gouvernement intérimaire est l'exception, il devrait être très limité dans le temps et ne pas durer des mois », souligne-t-il avant d'ajouter : « Lorsque vous normalisez la situation, vous dites : ‘d’accord, afin de faire avancer les choses, le président et le Premier ministre peuvent signer.' Cela pourrait inciter… ceux qui ne sont pas disposés à former un nouveau cabinet à continuer de s’y opposer ».

(Cet article a été originellement publié en anglais par L'Orient Today le 30 mars 2021)

Depuis la démission du cabinet du Premier ministre Hassane Diab à la suite de l'explosion du port de Beyrouth le 4 août denier, le Liban est gouverné par un cabinet intérimaire qui n'est pas habilité à se réunir ou à prendre des décisions importantes, du moins sur le plan constitutionnel.En raison de l’impasse politique qui entrave tous les efforts de formation d’un gouvernement, M....

commentaires (9)

Erreur ces 2 ne sont que des larbins de Nasrallah lui meme larbin de Khamenei

Liban Libre

20 h 50, le 03 avril 2021

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Commentaires (9)

  • Erreur ces 2 ne sont que des larbins de Nasrallah lui meme larbin de Khamenei

    Liban Libre

    20 h 50, le 03 avril 2021

  • CONSTITUTION. Quelle leurre? Mais qui applique les lois de cette constitution depuis l’arrivée des vendus au pouvoir par la force des armes? Comment interpréter tous les passe-droits et la protection des voleurs assassins? Depuis quand une mafia décide de prendre le pays et ses citoyens en otage dans un pays démocratique sans qu’aucune loi inscrite et votée dans cette constitution ne soit appliquée pour les juger pour crime et trahison? Et ils viennent nous parler des fermetures et ouvertures des magasins dans le pays sans l’aval des ministres ou d’une commission intermédiaire?. Ceux qui détruisent le pays gouvernent ce pays et agissent comme bon leur semble pour le bloquer et l’affamer pour mieux le détruire et on vient nous parler de constitution? Dans la nouvelle constitution il faudrait ajouter une loi sur le transfert de tous les pouvoirs en cas de bloquage à tous les niveaux vu que c’est devenu une méthode récurrente pour se donner la possibilité de changer tout ce qui les dérangeait en loi incontestable en passant d’employés de l’état en justiciers, président ou Premier ministre et en piétinant tout au passage sous prétexte d’affaires urgentes et faire passer leurs lois destructrices pour grappiller un peu plus de pouvoir instaurer leurs lois basées sur de la dictature et de despotisme. Le plus écœurant c’est que toutes les institutions concernées sont au courant de leur projet et se contentent de relater les faits au lieu de s’activer tous ensemble pour arrêter ça

    Sissi zayyat

    15 h 14, le 03 avril 2021

  • Avec tout le respect et la considération qu’on doit aux experts en droit précités, l’argumentation concernant la constitutionnalité des convocations et des diverses pratiques en question ; il serait raisonnable de rappeler que cette « pseudo-constitution » mérite une révision et réécriture sur des bases de droit constitutionnel solides. Ce qui manque à ce qu’on a qualifié d’accord de Taïf qui n’en a pas les qualités. Il n’est par ailleurs même pas appliqué ni dans l’esprit ni dans la lettre.

    Emile Antonios

    10 h 51, le 03 avril 2021

  • c'est bien cela finalement : un cabinet officiellement en "active" ou pas, c'est exactement pareil, echec sur toute la ligne.

    Gaby SIOUFI

    09 h 55, le 03 avril 2021

  • Un beau bouquet de fleurs blanches, le cèdre en arrière-plan...ok...mais que représentent au juste pour notre pays les deux personnages avec masque anti-Covid assis dans leurs fauteuils...??? - Irène Saïd

    Irene Said

    09 h 44, le 03 avril 2021

  • Comment !!! Vous mettez en doute le prestige de l’Etat ? Et de plus vous avez des hésitations sur le génie Einsteinien de ces deux messieurs. Franchement monsieur Baroud, il faut retourner à l’école revoir vos manuels, on ne s’adresse pas ainsi aux demi dieux

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 01, le 03 avril 2021

  • Il n'y a plus d'Etat de droit au Liban depuis déjà belle lurette. La Constitution est violée à satieté, les lois qui protègent la propriété privée, notamment la propriété des dépôts dans les Banques sont piétinées et aucun juge (ou presque) n'a le courage d'enjoindre aux banques de restituer les fonds qu'ils confisquent illégalement. Tous les crimes graves restent impunis. L'insécurité et la famine règnent. L'impunité est devenue la règle. Comment dans ces conditions le simple citoyen peut encore respecter l'Etat et appliquer les Lois? C'est le règne de l'état sauvage, la guerre de tous contre tous. On revient au Liban des milliers d'années en arrière, à ce que Rousseau et Hobbes ont appelé l'état de nature. Quelle décadence!

    Georges Airut

    03 h 03, le 03 avril 2021

  • Quelle pagaille! Un jeu de Monopoly joué, selon les règles du tarniib, par des adeptes d'Ali Baba.... wou khaliiss ya Balad iza fiik!!!

    Wlek Sanferlou

    00 h 58, le 03 avril 2021

  • Diab n'y est pour rien. Aoun est content de mener un pouvoir à sa façon.

    Esber

    00 h 35, le 03 avril 2021

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