Critiques littéraires Bande dessinée

L'inspirante Vénus noire

L'inspirante Vénus noire

À paraître : Mademoiselle Baudelaire de Yslaire, Dupuis, 2021, 160 p.

Jeanne Duval, celle qui fut pour Baudelaire une figure féminine centrale, ne peut que nous échapper : il ne reste d’elle que des traces, sans précision, laissées par d’autres. Une photo de Nadar dont l’authentification n’est pas certaine, une présence effacée sur une toile de Courbet, des témoignages épars qui posent sur elle des jugements contradictoires. Puis ce que Charles Baudelaire lui-même en laissa : quelques croquis, un dessin et, bien entendu, les poèmes. C’est avéré, un bon nombre de textes des Fleurs du Mal lui doivent l’inspiration.

On ne devine donc cette femme, surnommée la « Vénus noire » et dont les origines familiales sont incertaines, que par ce que d’autres ont laissé d’elle : des évocations. Il fallait l’assurance de l’auteur de bande dessinée Bernard Yslaire pour lui donner chair. Elle n’est pas seulement au centre du récit de l’album de bande dessinée Mademoiselle Baudelaire, mais elle en est la narratrice, sur plus de cent-cinquante pages. De fantôme impalpable, voilà que sa voix devient omniprésente et habitée le temps d’une longue lecture.

Le choix narratif est audacieux : Bernard Yslaire imagine une lettre qu’aurait laissée Jeanne Duval à la mère du poète, Caroline Aupick, après la mort de Charles. La relation entre Jeanne et Caroline est faite d’amertume, de reproches et de mépris. Baudelaire, qui entretient avec sa mère un lien complexe mais fort, n’a eu de cesse de se réfugier chez l’une puis de s’abandonner à l’autre. Le texte de cette lettre imaginée est à lui seul un travail de prose remarquable. S’y mêlent une connaissance profonde de la vie du poète et une intuition inspirée quant à ce que pouvaient être les mouvements intérieurs de Jeanne, Charles et Caroline.

Quant aux dessins, tout lecteur ayant suivi le parcours d’Yslaire (qui signe, selon les projets, parfois Hislaire, parfois iSlaire, parfois Sylaire) comprendra qu’il est, avec les passions du XIXe siècle, dans son environnement et ses aspirations naturelles. Souvenons-nous de la série Sambre, cette romance tragique qui ne faisait aucun détour lorsqu’il s’agissait de mettre en avant des sentiments exacerbés. Un classique qui s’est ensuite prolongé le long de plusieurs cycles. Yslaire, dans une veine tout aussi passionnée, tout aussi tragique, avait ensuite exploré les possibilités du dessin et de la mise en page numériques, dans des projets atypiques tels Le XXe ciel ou Le Ciel au-dessus du Louvre.

Il livre pour Mademoiselle Baudelaire des planches hybrides : juxtaposant des scènes à la facture classique, qui ont tout, de la reconstitution historique rigoureuse, à des planches tout en symboles, oniriques et tourmentées, miroirs de l’esprit imagé du poète. Ce qui saute aux yeux également, c’est la liberté avec laquelle le dessinateur se permet de mettre tel aspect d’une scène en avant, esquissant au contraire tel autre, guidant ainsi le regard vers le cœur battant de chaque image et laissant volontairement les traces de ses coups de crayon. Ainsi, même les images les plus rigoureusement construites vibrent de l’énergie de son trait. Il n’en fallait pas moins pour dépeindre les tourbillons intérieurs de Baudelaire et le bouillonnement qui caractérise son lien à Jeanne.

À paraître : Mademoiselle Baudelaire de Yslaire, Dupuis, 2021, 160 p.Jeanne Duval, celle qui fut pour Baudelaire une figure féminine centrale, ne peut que nous échapper : il ne reste d’elle que des traces, sans précision, laissées par d’autres. Une photo de Nadar dont l’authentification n’est pas certaine, une présence effacée sur une toile de Courbet, des témoignages épars...

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