Alors que le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, vient de clôturer une visite officielle de quelques jours à Paris, le Quai d’Orsay a choisi lundi de hausser le ton à l’encontre des responsables libanais et de la classe politique de ce pays en général. Dans un communiqué d’une rare virulence, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a déploré « le blocage complet depuis des mois » des discussions visant à former un gouvernement. « L’obstruction délibérée à toute perspective de sortie de crise, en particulier de la part de certains acteurs du système politique libanais, par des demandes inconsidérées et d’un autre temps, doit cesser immédiatement », a insisté Jean-Yves Le Drian. Il a enfin « indiqué à ses homologues européens, de la région et internationaux qu’après sept mois de blocage, l’heure est venue de renforcer les pressions pour y parvenir ». Quelques jours plus tôt, M. Le Drian était allé jusqu’à accuser les responsables libanais de « non-assistance à pays en danger ». Ce qui, sur le plan du droit international, constitue un crime.
Si le ton et le contenu du communiqué du ministre français sont inhabituels dans le monde de la diplomatie, ils n’ont pas eu, pour l’instant, un impact visible sur la classe politique libanaise. Les contacts pour la formation du gouvernement restent en veilleuse et les commentaires dans les médias sur « le carton rouge » français ont été peu nombreux. À cela deux explications, selon un diplomate européen : soit les responsables libanais préfèrent faire la sourde oreille et attendent que l’orage passe, soit ils considèrent que la France n’a pas, en quelque sorte, les moyens de sa politique, ayant depuis le 6 août 2020, date de la première visite du président français Emmanuel Macron au Liban, multiplié les menaces et les délais pour la formation du nouveau gouvernement, sans grand succès.
Toutefois, selon le diplomate précité, le ton était cette fois encore plus violent que lors des précédentes déclarations, montrant que la patience de la France est mise à rude épreuve et que désormais elle attend des actes concrets de la part des responsables libanais. En quoi peuvent consister ces actes concrets ?
Selon le diplomate européen, il s’agit d’abord de dénoncer publiquement ceux qui entravent la formation du gouvernement et qui, aux yeux des Français, se résument à deux camps : celui du chef de l’État et celui du président du Conseil désigné. Tout en pointant du doigt ceux qui peuvent aider à lever certains obstacles et ne le font pas, comme le Hezbollah et, dans une moindre mesure, le président de la Chambre. Ensuite, les Français songent sérieusement aussi à imposer des sanctions contre des personnalités gravitant dans l’orbite des deux camps responsables de la non-formation du gouvernement. Mais cette option se heurte à plusieurs obstacles. D’abord, pour avoir plus de poids, les sanctions imposées par la France doivent être européennes. Or, une telle décision exige l’unanimité des membres de l’Union européenne. Ce qui n’est pas garanti. Certes, le président français a déclaré récemment que dans ce dossier, l’Europe va parler d’une seule voix, et il a déjà entrepris des contacts avec ses homologues européens, dont la chancelière allemande Angela Merkel, mais il faut aussi obtenir l’approbation des autres pays de l’UE. De plus, les sanctions européennes répondent à un mécanisme totalement différent de celui des sanctions américaines. D’abord, elles ne se basent pas sur des juridictions spécifiques, comme la loi Magnitski aux États-Unis. Ensuite, elles déclenchent un processus judiciaire assez complexe qui donne le droit aux personnes ou entités visées par les sanctions de se défendre devant un tribunal. Ce qui n’est pas vraiment le cas aux États-Unis où le processus de défense est non seulement très complexe, mais aussi très coûteux. Ce qui pousse généralement les personnes ou entités visées à conclure des accords avec le Trésor américain en lui versant de très fortes amendes. Enfin, les Français avaient eux-mêmes critiqué les sanctions américaines imposées à des personnalités libanaises au cours des mois précédents et qui, à chaque fois qu’elles étaient annoncées, avaient pour effet de compliquer encore plus le processus de formation du gouvernement.
Ce que voudraient les Français, selon le même diplomate européen, c’est donc imposer ce qu’ils appellent « des sanctions intelligentes », autrement dit ciblées et de nature à accélérer le processus, non à l’entraver. Il pourrait ainsi s’agir d’un gel des fonds dans les banques européennes ou de restrictions sur les déplacements en Europe. Mais toutes ces pistes doivent obtenir l’accord de tous les membres de l’UE et doivent être étudiées minutieusement.
Pour l’instant, aucune décision définitive n’a été prise et, à travers la dernière déclaration de Jean-Yves Le Drian, les Français ont voulu tirer une puissante sonnette d’alarme, dans l’espoir que les menaces de sanctions sévères soient suffisamment efficaces pour faire réagir les Libanais. D’ailleurs, dans leurs échanges téléphoniques avec les différents responsables libanais, les Français ont, selon le diplomate précité, utilisé des termes violents et désobligeants, essayant de montrer à leurs interlocuteurs qu’ils ont une dernière chance pour rectifier le tir et agir. S’ils ne la saisissent pas, ils ne trouveront personne pour les aider et les mettre à l’abri de la colère du peuple et de celle de la communauté internationale. Depuis quelques jours, les contacts entre le Liban et la France d’ailleurs se multiplient, des parties libanaises cherchant à connaître les véritables intentions de la France et, surtout, les noms des personnes qui pourraient être passibles de sanctions européennes. Certaines sources parlent d’une liste de plus de cent personnalités, mais il n’y a jusqu’à présent aucune confirmation officielle au sujet de l’existence d’une telle liste ni au sujet des noms qui circulent dans les médias libanais. Ce qui est sûr, c’est que la France veut à tout prix que le Liban évite l’effondrement total, alors que les politiciens libanais, eux, vivent dans le déni... tout en gardant l’œil sur Washington.
commentaires (9)
La France a perdu ses dents depuis belle lurette et elle n'est plus en mesure d'imposer de sanctions efficaces ou quoi que ce soit d'autre. D'ailleurs aucun de nos cocos local n'ont bronché et semblent s'en foutre comme de l'an 40! Le seul moyen de changer la donne, pour la France comme pour n'importe qui d'ailleurs, c'est la guerre et, pour le moment, personne n'est disposé a la faire. Sur ce, ce sont les Libanais qui doivent s'arranger pour mettre les limites au Hezbollah, tous les autres étant justes des comparses bêtes, stupides et incompétents, et de faire le nécessaires pour que le parlement démissionne et passer a des élections législatives au plutôt. Seul ainsi nous pourrons arriver a amorcer un semblant de changement vers des jours meilleures. Or le Hezbollah et Aoun ne peuvent se le permettre puisqu'ils les perdront, alors ont traîne autant que possible en espérant que la donne change et que le peuple finissent par accepter leur main mise sur l’état.
Pierre Hadjigeorgiou
13 h 51, le 02 avril 2021