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Culture - Livre

S’enfoncer dans les entrailles de Beyrouth avec Marina Chamma

Dans « And So We Drive On »*, l’auteure et blogueuse livre une poignée d’histoires qui racontent la réalité profonde de la capitale libanaise. Et celle de ses habitants.

S’enfoncer dans les entrailles de Beyrouth avec Marina Chamma

Marina Chamma, blogueuse, politologue et auteure. Portrait signé Bernard Khalil

Un jeune homme arbitrairement détenu durant la guerre libanaise dans les geôles syriennes qui retrouve sa mère des décennies plus tard et lui relate son terrible calvaire; un espion bientôt à la retraite qui retourne à Beyrouth pour une dernière mission et rétablit le contact avec son ex-informateur ; un tout jeune garçon ayant fui le régime syrien avec ses sœurs et qui, réfugié au Liban, se transforme par la force des choses en chef de famille à l’avenir saccagé ; une préadolescente habitant la ceinture de pauvreté de la capitale libanaise en proie à la convoitise perverse de son logeur ; un marchand ambulant dont les excentricités finissent par faire douter de son intelligence… avec l’ennemi.

On ne cesse de se heurter aux effets de la guerre dans And So We Drive On (Et nous continuons ainsi…), le tout premier ouvrage publié (à compte d’auteur) de la politologue et blogueuse Marina Chamma. Pourtant, ce recueil de nouvelles (écrites en anglais) n’est pas inspiré des événements du Liban, assure l’écrivaine dans sa préface. C’est plutôt de Beyrouth dont il s’agit. De cette ville « qu’on aime détester et qu’on déteste aimer », énonce-t-elle. Une sentence dont on saisit la pleine signification au fil de la lecture – fluide et prenante – de cette compilation déroulant des tranches de vie au rabais dans cette cité enfin débarrassée des clichés superficiels de noctambule jouisseuse qui lui ont trop souvent été accolés. Et finalement décrite dans sa vérité, entre beauté et laideur…

Dévoreuse d’espoir…

En quelques pages, quelques scènes resserrées autour d’un moment de vie anodin et cependant révélateur d’une trame souterraine agissante, l’auteure entraîne le lecteur dans le ventre de la ville, dans ses entrailles humaines, ses dédales de rues et de quartiers populaires qui forment les boyaux inapaisables de cette dévoreuse d’espoirs, de rêves, d’ambitions qu’est trop souvent (comment peut-on l’oublier !) Beyrouth.

Elle le fait ainsi pénétrer dans le quotidien en apparence normal d’une poignée de Beyrouthins lambda : commerçants, employés, chauffeur de taxi, marchands de quatre-saisons, mère de famille, écolière ou encore jeunes manifestants du 17 octobre… Des gens ordinaires aux destins en réalité souvent marqués par l’adversité. Des éclopés de la vie dont elle réussit à brosser le vécu avec un subtil sens du suspens et un art consommé de la chute qui interpellent à la fois les émotions et la réflexion.

Comme dans tout ensemble de nouvelles hétéroclites, il y a du bon et du meilleur dans And So We Drive On (141 pages). Le meilleur étant les récits précités. Le bon, ceux dans lesquels Marina Chamma aborde des thèmes plus communément universels ayant trait à la mémoire familiale, la recherche identitaire, l’infidélité ou encore la pauvreté… Mais toujours largement racontés à travers le prisme beyrouthin.

« And So We Drive On », un recueil de nouvelles qui racontent Beyrouth. Photo DR

C’est l’humain qui jaillit…

Un bouquet « d’histoires fictives » qui laissent transparaître le regard humaniste et la sensibilité sociale de cette primo-nouvelliste. Mais aussi son profond attachement à Beyrouth, où cette fille de diplomate qui a grandi en nomade, entre le Japon, le Brésil, les États-Unis et le Royaume-Uni, a choisi de revenir s’établir il y a quelques années.

Titulaire d’une licence en sciences politiques de l’Université américaine de Beyrouth ainsi que d’un master en économie politique internationale de la London School of Economics, elle commence par lancer son blog, Eye on the East (eyeontheeast.org) en 2011.

Scrutant les printemps arabes, ainsi que l’histoire, la politique, la société et la culture du Liban et du monde arabe, elle y publie des articles exposant ses observations sur l’absence de progrès en matière de droits humains, de liberté, de justice sociale et de développement sociétal des pays de cette région du monde.

Sauf que, derrière ces grandes thématiques, c’est l’humain qui jaillit souvent à travers des récits individuels de destins contrariés, d’expériences particulières ou encore d’épreuves surmontées. La jeune femme y est sensible. De là à s’en inspirer pour la rédaction d’un livre, il n’y avait qu’un pas que cette amoureuse de l’écriture n’a pas hésité à franchir. Pour « conter Beyrouth à travers ses propres histoires. Montrer la vérité de cette ville comme les autres, mais pas tout à fait comme les autres. Une ville meurtrie, mais dont les habitants ne renoncent jamais à aller de l’avant et trouvent toujours le moyen de surmonter les difficultés, même les plus extrêmes... » écrivait Marina Chamma en préambule de son recueil publié en juillet 2020, quelques jours avant la double explosion meurtrière du 4 août. Un positivisme qui malheureusement ne trouve plus aujourd’hui beaucoup d’écho chez les Libanais revenus de cette culture forcenée de la résilience. Mais un choix de récits édifiants, plein d’empathie et d’enseignements sur l’essence de cette ville, sur son vrai quotidien, ainsi que sur l’impact du passé et des non-dits dans la vie de ses habitants.

Une lecture recommandée, même à ceux qui n’ont pas l’habitude de lire en anglais.

*Disponible aux branches de la libraire Antoine ainsi qu’en ligne sur les sites suivants : Antoineonline.com ; Lebzone.com et BuyLebanese.com

Un jeune homme arbitrairement détenu durant la guerre libanaise dans les geôles syriennes qui retrouve sa mère des décennies plus tard et lui relate son terrible calvaire; un espion bientôt à la retraite qui retourne à Beyrouth pour une dernière mission et rétablit le contact avec son ex-informateur ; un tout jeune garçon ayant fui le régime syrien avec ses sœurs et qui, réfugié au...
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