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Nos Lecteurs ont la Parole

Femmes de tête et de cœur

Elles sont sorties de l’espace privé et sont de plus en plus présentes dans l’espace public. Elles ont percé un espace où les hommes faisaient encore, il n’y a pas si longtemps, la politique entre eux et où la dimension socioculturelle était confiée à des subalternes, quand elle n’était pas simplement écartée. Des femmes libanaises éduquées, cultivées et engagées. Méthodiques et perfectionnistes, elles vont jusqu’au bout de leur engagement avec une exigence pointue du détail qui laisse peu de place au hasard.

Femme-épouse, femme-mère, femme de pouvoir, leurs multiples casquettes déstabilisent et nous laissent rarement indifférents. Elles sont autant critiquées sur leur action politique ou sociale que sur leur manière d’être. Elles auraient pu se contenter d’être la fille de ou l’épouse de, et jouir des privilèges qui rejaillissent sur elles comme c’est habituellement le cas dans cette partie du monde. Patriotes convaincues, femmes de tête et de cœur, elles ont préféré exister par elles-mêmes, servir le pays, être sur le devant de la scène. On aurait tort de croire que c’est chose aisée, qu’elles seraient favorisées par rapport à d’autres issues de classes socio-économiques plus modestes. Si elles suscitent l’intérêt général, c’est sans doute parce qu’on les connaît déjà, qu’on a vu grandir certaines, se marier, fonder une famille. Elles arrivent ainsi sur la scène publique chargées de leur passé familial, avec des a priori à leur encontre et doivent au contraire montrer patte blanche. Et faire leurs preuves. Comme si le privilège d’une naissance dans une famille bourgeoise ou politique voilait de suspicion leurs intentions ou que seul un narcissisme capricieux les poussait au service public en vue de récolter quelques lignes ou photos de temps en temps dans un magazine. Certains aussi seraient tentés de penser que les personnes ayant connu un manque financier, ou des souffrances durant leur enfance, feraient preuve d’une plus grande empathie à l’égard de la population et seraient des politiques davantage soucieux de l’intérêt de la nation.

Un troisième a priori, hérité d’une pensée féodale, est celui de faire plus confiance au politique homme, au soldat et chevalier conquérant.

À l’occasion de la Journée de la femme, le 8 mars, portraits croisés de cinq femmes qui démentent les préjugés et marquent le paysage libanais :

Leila Solh : vice-présidente de la Fondation humanitaire al-Walid ben Talal, Leila Solh Hamadé, fille de Riad el-Solh et épouse de feu l’ancien ministre Majed Hamadé, est l’une des deux premières femmes à intégrer un gouvernement en 2004 et élevée au grade d’officier dans l’ordre de la Légion d’honneur française en 2011. Femme de terrain et d’action sur tout le territoire libanais, Mme Solh soutient à travers sa fondation, à titre d’exemple, aussi bien la réhabilitation d’une clinique dentaire au Nord (octobre 2019) que le service pédiatrique de l’Hôtel-Dieu (janvier 2021). On se souvient de moments-clés, de ses appels pour la libération de la femme arabe qui, loin d’être un luxe, est une nécessité dans cette partie du monde. Un appel à la non-discrimination entre hommes et femmes ou entre femmes chrétiennes et musulmanes, voilées ou pas. Elle ose aborder, avec brio, des sujets sensibles comme peu savent le faire. Et ça lui va bien.

Sethrida Geagea : étoile solitaire, Sethrida Geagea est une femme politique qui brille dans le ciel noir du pays. Femme-députée, femme-entrepreneure, elle poursuit inlassablement ses projets avec force et pugnacité. Malgré une crise économique, politique, sociale et sanitaire sans précèdent, une dévaluation vertigineuse de la livre libanaise, elle réussit à lever des fonds pour la réhabilitation de l’hôpital gouvernemental de Bécharré, projet gigantesque, seul hôpital de la région. Un projet qui, outre sa dimension humanitaire, contribue à maintenir l’ancrage des populations à leur terre.

Parallèlement à ses fonctions de députée et ses charges de dirigeante du festival annuel des Cèdres, Mme Geagea est une femme qui connaît l’importance de l’histoire du Liban, d’une terre préservée dans son architecture millénaire, sa faune et sa flore. Elle a ainsi pu mettre un terme aux nombreuses infractions qui menaçaient de voir le nom de la Vallée sainte retiré de la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Elle lance un projet de réhabilitation des petites églises de la vallée, berceau des maronites et de la chrétienté. Grâce à son dévouement, la Vallée sainte sera bientôt un site touristique phare mondial, et une ressource économique importante pour le Liban. Pour cette femme de caractère, ces activités sont le visage nouveau d’un parti né des nécessités de la guerre mais déterminé aujourd’hui à sauver, coûte que coûte, un pays toujours menacé par l’histoire.

Nayla de Freige : certains la connaissent comme la PDG, récemment, du seul quotidien libre et francophone du pays, mais ce serait oublier la bonne fée qui veille sur le Festival de Baalbeck et donne vie chaque été à la ville mythique en attirant des milliers de visiteurs. Grâce à la magie de Baalbeck, d’un choix d’artistes locaux et étrangers, le temple de Bacchus et ses colonnes éclairées les soirs d’été sont un message enchanteur de paix et de rayonnement pour le pays. Beaucoup plus qu’un évènement culturel, le Festival de Baalbeck porte aujourd’hui en lui, grâce au dynamisme de Nayla de Freige, un message politique (au sens noble du terme), un message de résistance et de cohabitation entre les différentes cultures. Qui peut oublier le majestueux spectacle retransmis en direct, grâce à sa détermination, sur toutes les chaînes de la planète, ou l’émouvant hymne national joué par l’orchestre libanais, au cœur de la tempête que traverse le pays ?

Nayla Moawad : projetée sur le devant de la scène après l’assassinat de son époux, le président René Moawad, elle a su, avec courage et dignité, s’imposer comme personnage politique de premier plan et transmettre le message de son époux, dont l’arrivée au pouvoir aurait probablement permis d’achever la guerre civile sans les conséquences désastreuses qui ont suivi son assassinat. Respectée par les délégations étrangères, elle a souvent pris l’initiative de rencontres pacifiées entre les parties en conflit et de trait d’union avec le monde extérieur. Défenseuse des droits de l’homme, de la liberté d’expression ainsi que des droits de la femme et de l’enfant, elle est un exemple de la place éminente que peut occuper une femme dans le paysage politique.

Nora Joumblatt : épouse d’un personnage-clé de la scène politique, en permanence sous le feu des projecteurs et comptant autant d’amis que de détracteurs, il était difficile à Nora Joumblatt de se faire un nom et de percer le mur massif de notoriété entourant son mari Walid.

Présidente du Festival de Beiteddine et membre du comité exécutif du Centre pour les enfants malades du cancer, elle a été l’un des organisateurs importants des sit-in du 14 Mars permettant la libération du pays. Elle est une illustration de ce que peut une femme même quand elle est accompagnée d’une statue du commandeur.

À l’occasion de la Journée de la femme, et à travers ces cinq patriotes, nous rendons hommage à toutes les femmes et en particulier à la femme libanaise, à son intelligence, son courage, mais aussi à la pugnacité qu’elle apporte à l’action politique, sociale et culturelle.

Elle est source de vie et d’espoir.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Elles sont sorties de l’espace privé et sont de plus en plus présentes dans l’espace public. Elles ont percé un espace où les hommes faisaient encore, il n’y a pas si longtemps, la politique entre eux et où la dimension socioculturelle était confiée à des subalternes, quand elle n’était pas simplement écartée. Des femmes libanaises éduquées, cultivées et engagées....

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