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Nos Lecteurs ont la Parole

Survol de 100 ans de dysfonctionnement de l’identité du Liban

En 1916, la France et la Grande-Bretagne concluent en catimini l’accord Sykes-Picot, se partageant ainsi les zones d’influence au Proche-Orient et anticipant ainsi la défaite allemande et, dans son sillage, la chute de l’Empire ottoman. En 1919-1920, trois délégations libanaises se rendent à la conférence de paix à Paris dans le but de convaincre la France, puissance mandataire en Syrie, de créer le Grand Liban dans des frontières naturelles à peu près équivalentes aux territoires sous l’emprise de Fakhreddine II au XVIIe siècle. Les arguments s’appuient sur le rôle historique de la France en tant que mère protectrice des catholiques d’Orient. En avril 1920, la conférence de San Remo partage entre la France et le Royaume-Uni, les deux puissances influentes au Levant, l’ancienne province ottomane de Syrie. Le 1er septembre 1920, le général Gouraud proclame solennellement, à la Résidence des Pins, la création du Grand Liban, avec Beyrouth comme capitale.

En septembre 1943, Béchara el-Khoury et Riad Solh proclament que les Libanais, dans toutes leurs composantes chrétiennes et musulmanes, renoncent à se tourner vers l’Occident ou l’Orient. Cette déclaration est le fondement du fameux pacte national de 1943. Le 22 novembre 1943, le Liban obtient son indépendance de la France au grand dam d’une grande composante de la population chrétienne, dont la figure de proue principale est Émile Eddé. En 1958, un traité d’unité lie l’Égypte à la Syrie pour former la République arabe unie. Le nassérisme réveille chez une grande composante du pays, surtout sunnite, le rêve mythique de l’unité arabe. Une mini-guerre civile oppose en 1958 les loyalistes pro-occidentaux du président Camille Chamoun aux rebelles proarabes de Abdel-Nasser. Le président Camille Chamoun demande, et finalement obtient, l’intervention militaire des États-Unis sur la base de la « doctrine Eisenhower ». Cette sollicitation enclenche le débarquement des marines de la Sixième Flotte américaine à Beyrouth. L’élection du général Fouad Chéhab à la présidence de la République, ainsi que la formation d’un nouveau gouvernement composé de représentants mixtes (loyalistes et rebelles), calment les esprits et rétablissent la stabilité dans le pays conformément au pacte national.

En 1969, la signature des accords du Caire légalise la présence palestinienne armée sur le territoire libanais. Cet accord permet à la résistance palestinienne de lancer des opérations militaires contre Israël à partir du Liban-Sud tout en terrorisant la population locale. Cet accord accroît les tensions au Liban entre les pro-occidentaux et les pro-arabes. Un conflit latent et cinglant se fermente à l’intérieur du pays comme une marmite d’eau bouillante prête à exploser à la moindre étincelle. Le 13 avril 1975, le mitraillage d’un autobus transportant des Palestiniens dans le quartier chrétien de Aïn el-Remmané à Beyrouth est le catalyseur d’une longue guerre civile au Liban. L’accord de Taëf de 1989 signale la fin de la guerre civile du Liban. Pour une grande partie de la population libanaise, épuisée par les affres de la guerre, l’annonce de l’accord est accueillie avec soulagement. Toutefois, l’acceptation de cet accord est teintée d’amertume. En dépit des apparences de respecter le fameux principe de « ni vainqueur ni vaincu », l’accord de Taëf affaiblit politiquement les chrétiens. En l’occurrence, l’accord arrache à la présidence de la République plusieurs de ses privilèges. De surcroît, l’accord de Taëf sonne le glas de la République de 1943 et, dans la foulée, balaye le compromis de « ni arabisation ni Occident ». L’amendement de l’article 11 du chapitre 2 de la Constitution de 1926 symbolise la victoire de l’arabisation. En effet, cet article précise que « l’arabe est la langue nationale officielle. Une loi spéciale déterminera les cas où il serait fait usage de la langue française ». En d’autres termes, la nouvelle Constitution déclare de façon claire que le Liban ne possède qu’une seule langue officielle, en l’occurrence l’arabe. Auparavant, le français était la langue officielle de la nation libanaise au même titre que l’arabe.Plus sournoisement, l’accord de Taëf contribue à la croissance fulgurante du Hezbollah. À titre de rappel, l’accord préconise le désarmement de toutes les milices politiques à l’exception du Hezbollah avec pour prétexte que sa présence est nécessaire pour combattre Israël. Personne ne prête une attention significative à ce sujet. Il faut dire que le Hezbollah n’était qu’un petit groupe relativement anodin, à la limite de la clandestinité. Incontestablement, le Hezbollah profite de ce privilège pour établir sa suprématie absolue sur le pays. Durant la période pré-Taëf, il y avait un certain équilibre des forces sur la scène locale. Dans la période post-Taëf, l’équilibre des forces deviendra asymétrique. Il penche largement en faveur du parti chiite. Militairement, le Hezbollah est plus puissant que l’armée libanaise. Politiquement, il contrôle les institutions constitutionnelles du pays (la présidence de la République, le Parlement, le gouvernement). Socialement, il exerce une influence aiguë sur les appareils judiciaires, les services de sécurité, et même les communications de propagande. Stratégiquement, il contrôle les décisions de guerre et de paix et n’hésite pas à user de la force ou à créer un vide constitutionnel jusqu’à ce qu’il obtienne gain de cause.

Qu’elle semble loin cette période des années cinquante et soixante quand le rêve de fusion dans la région arabe voisine galvanisait les foules et taraudait les esprits. Naturellement, le même dilemme de l’identité du pays persiste jusqu’à aujourd’hui. Ce dilemme continue de troubler la cohabitation dans cette mosaïque libanaise alambiquée. Mais le rôle du Hezbollah a créé une nouvelle dynamique au Liban qui est bien plus problématique et complexe que celle qui prévalait dans le Liban d’antan.

Doyen de la faculté de commerce et de gestion Université de Balamand

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En 1916, la France et la Grande-Bretagne concluent en catimini l’accord Sykes-Picot, se partageant ainsi les zones d’influence au Proche-Orient et anticipant ainsi la défaite allemande et, dans son sillage, la chute de l’Empire ottoman. En 1919-1920, trois délégations libanaises se rendent à la conférence de paix à Paris dans le but de convaincre la France, puissance mandataire en...

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