Critiques littéraires

Goncourt - Le Choix de l'Orient

Organisé par la Direction régionale Moyen-Orient de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) en partenariat avec l’Institut français du Liban, le prix Goncourt - Le Choix de l’Orient se présente comme une occasion annuelle de lectures, de rencontres et de coopérations à l’échelle d’une région et un moyen d’introduire les productions littéraires francophones les plus contemporaines dans le cursus des étudiants. Sous le parrainage de l’Académie Goncourt, la proclamation du prix, animée par la présidente du jury, Salma Kojok, s’est tenue le mardi 8 décembre à l’Institut français de Beyrouth en visioconférence. 34 étudiants en provenance de 29 universités situées dans 10 pays de la région Moyen-Orient ont ainsi participé à la délibération à l’issue de laquelle a été désignée la lauréate de cette 9e édition du prix : l’écrivaine camerounaise Djaïli Amadou Amal pour son roman Les Impatientes (éditions Emmanuelle Colas). Pour sa part, L’Orient littéraire a choisi de publier deux chroniques d’étudiants portant sur deux des romans qui étaient en lice pour ce prix.

Goncourt - Le Choix de l'Orient

Une fidélité en proie à l’autocensure

L’historiographe du royaume de Maël Renouard, Grasset, 2020, 336 p.

L’Historiographe du royaume est un titre qui, déjà, attire le lecteur passionné d’histoire et de littérature.

L’intrigue se déroule au milieu du XXe siècle, à l’époque du règne de Hassan II, l’un des successeurs de la dynastie chérifienne. Abderrahmane Eljarib, le narrateur et le personnage principal, raconte sa vie vécue au service de Hassan II. Le roman débute sur l’entrée mystérieuse d’Abderrahmane au Collège royal à son adolescence. Mystérieuse parce qu’en fait, ce collège est destiné aux enfants de la famille royale et que le narrateur, originaire d’une famille assez modeste, ne se rend point compte des raisons de ce choix. Dès son entrée, il devient le camarade de cours du jeune prince. Il raconte alors l’histoire de leurs rivalités et de leurs amitiés. Abderrahmane part ensuite continuer ses études à la Sorbonne avant de retourner au pays natal et entrer au service de Hassan II devenu roi. Il continue à lui rendre service jusqu’à ce que le roi le renomme comme l’« historiographe du royaume ». C’est justement suite à cette fonction que commencent les aventures fascinantes vécues par Abderrahmane à côté du roi et en qualité d’historiographe…

Bien que son regard ironique ne manque pas de remettre en question les défauts, les intolérances et les abus du roi, le positionnement d’Abderrahmane reste toujours problématique. Car d’une part, il se veut fidèle au roi, et d’autre part, il lui arrive souvent de ne pas pouvoir maîtriser sa réflexion critique, ni son imagination : en effet, il lui échappe par moments des paroles dont il craint qu’elles lui attirent une disgrâce, surtout devant Morgiane, son épouse dont on ne découvre la vraie identité qu’à la fin de l’histoire : cette femme, dont il était sincèrement amoureux, n’était que l’une de ces filles que le roi avait prises sous sa tutelle.

Or le roman ne prend pas fin sur cette découverte. Delphine Clerc, une narratrice fictive, prend la parole dans l’épilogue. Professeure à l’Université Rennes-II, elle raconte sa rencontre avec Abderrahmane, âgé de soixante-dix ans, lors de la rédaction de son mémoire de master. Ils s’engagent ainsi dans une suite de discussions et d’échanges littéraires et culturels. Pourtant, ces échanges ne se prolongent pas et prennent fin quand Abderrahmane remet à Delphine une lettre en la priant de ne l’ouvrir qu’après sa mort. Quinze années plus tard, Delphine retrouve par hasard la lettre et découvre enfin que la vie d’Abderrahmane avait pris fin peu de temps après leur dernière rencontre.

La rencontre entre Abderrahmane et Delphine est celle de l’ancienne et de la nouvelle génération et met en relief le rapport étroit entre écrire, raconter et conscientiser. La remise de la lettre à la jeune Delphine peut être ainsi interprétée comme la transmission de la conscience historique comme héritage aux générations futures.

Nadjmeh Akbari

Université de Téhéran


La réconciliation

Mes fous de Jean-Pierre Martin, éditions de L’Olivier, 2020, 154 p.

Mes Fous, titre du roman de Jean-Pierre Martin, paru aux éditions de l'Olivier, nous interpelle d’emblée à plus d’un titre. Surprenant peut-être par l’emploi du substantif, et néanmoins plein d’empathie par le possessif, il interroge notre relation à l’autre, mais aussi nous plonge dans le territoire du moi, titille notre conscience et par-delà nous invite à sonder notre cœur pour nous réconcilier avec notre humanité profonde : « Est-ce que j'attire les fous, ou bien est-ce moi qui cherche leur compagnie ? »

Cette phrase, doublement interrogative, prononcée par le héros Sandor, en dit long sur la perplexité et les émotions de ce père qui tente d’élucider les mystères de la maladie mentale de sa fille Constance. Ses sorties deviennent les lieux de rencontre avec des personnages extravagants, mais « si blindés de banalités », « ses » fous, tels que le « fou météo », « le fou politique », « la marcheuse rumineuse », « l’errant du RER », etc. Le narrateur s’approprie ces fous qu’il croise, côtoie, attire, écoute : « Parfois je ne suis plus qu’une oreille. » Il devient le dépositaire des récits des uns et des autres. Son carnet de notes en recueille les détails les plus attendrissants et les plus complexes qui nous brossent les portraits psychologiques, intimes, de ces corps « errants éphémères ».

Au fil de cette narration à la première personne, le narrateur-personnage essaie de scruter notre conscience en nous happant dans sa bulle, sa sphère personnelle, son histoire compliquée et attendrissante. Une atmosphère oppressante, certes, compensée toutefois par un style léger, une écriture intime, ponctuée par des phrases courtes et alimentée par des réflexions profondes et des citations sur la folie.

« La folie est une occupation de l’espace », n’est-ce pas ? Et pourtant, une phrase aussi anodine refuse l’évidence et nous rend perplexes. De telles assertions ne demandent qu’à être interrogées dans notre monde contemporain où la folie devient prétexte à l’indifférence ou, pire encore, à la peur de l’autre. Mes Fous n’est pas un voyage à travers la folie, encore moins un voyage ordinaire. Tout au contraire. Ce récit de vies extravagantes est un voyage à travers la lucidité, parce que, habité et rongé par la soif de l’autre, il se veut une reconquête de notre humanité, une invitation à renouer avec nos valeurs universelles, valeurs d’empathie et de compassion. C’est la quête de l’identité personnelle pour retrouver les liens qui définissent la nature humaine. Et si « le fou, c’est d’abord celui qui est sans interlocuteur », nous sommes alors tous concernés dans ce monde d’aujourd’hui qui nous impose solitude et indifférence. Ce livre poignant par l’empathie qu’il exprime est un cri de détresse face à l’oubli général.

Shaden AlKhashman

Université Princesse Nourah bint Abdulrahman

Une fidélité en proie à l’autocensureL’historiographe du royaume de Maël Renouard, Grasset, 2020, 336 p.L’Historiographe du royaume est un titre qui, déjà, attire le lecteur passionné d’histoire et de littérature.L’intrigue se déroule au milieu du XXe siècle, à l’époque du règne de Hassan II, l’un des successeurs de la dynastie chérifienne. Abderrahmane Eljarib, le...

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