Le discours du président du Conseil désigné a créé l’événement dimanche après-midi. Les milieux proches du courant du Futur avaient déjà indiqué que la tendance générale était à l’escalade, mais nul ne croyait que Saad Hariri irait si loin dans les attaques contre le chef de l’État et son camp, surtout en une occasion aussi spéciale pour les Libanais que la commémoration de l’assassinat de son père, Rafic Hariri.
La première constatation après avoir écouté ce discours, c’est qu’à aucun moment le Hezbollah n’est mentionné. Même pas via une allusion. Il semble que le Premier ministre désigné cherche à ménager cette formation et ne souhaite pas l’impliquer dans ce qu’il appelle les entraves à la formation du gouvernement. Un fait qui mérite d’être relevé, car beaucoup d’analystes estiment que l’un des obstacles à la naissance d’un cabinet réside justement dans la participation (ou non) du Hezbollah...
Seconde constatation, qui découle de la première, c’est que Saad Hariri fait assumer toute la responsabilité du blocage au chef de l’État, Michel Aoun, et à son camp, sans nommer précisément le chef du CPL, Gebran Bassil. Indépendamment de la véracité des faits évoqués et des arguments développés, les attaques contre le président et son camp montrent que le fossé ne cesse de se creuser entre les deux responsables impliqués dans la formation du gouvernement. Ce qui laisse supposer que la naissance du prochain cabinet est reportée aux calendes grecques, à moins d’un miracle ou d’une intervention étrangère suffisamment efficace pour pousser Aoun et Hariri à s’entendre. Jusqu’à présent, rien n’indique que cela soit le cas. La seule initiative encore sur le tapis actuellement est celle de la France. Or elle semble faire du surplace, faute de moyens de pression réels sur les protagonistes.
Sur le plan des arguments développés par Saad Hariri, la grande nouveauté est qu’il est revenu sur le contenu des seize entretiens avec le chef de l’État depuis sa désignation pour former le gouvernement, le 22 octobre 2020. Il a ainsi révélé que lors du second entretien, le chef de l’État lui a remis une liste de noms – qu’il a appelée « la liste colorée » en la brandissant devant les caméras – susceptibles de faire partie du gouvernement. Il a ensuite assuré avoir puisé dans ces propositions lorsqu’il a présenté son fameux projet au chef de l’État qui l’avait refusé. Saad Hariri a sans doute voulu renvoyer, en quelque sorte, au chef de l’État l’accusation de mensonge que ce dernier avait lancée dans la fameuse vidéo fuitée de sa conversation avec le Premier ministre démissionnaire Hassane Diab, en montrant que Michel Aoun lui avait bel et bien remis une liste.
Selon les sources proches de Baabda, l’argument avancé par M. Hariri confirme au contraire la thèse du chef de l’État. Ce dernier avait en effet déclaré à ceux qui l’avaient interrogé que sur l’insistance du Premier ministre désigné, il avait fini par lui soumettre une liste non officielle de noms susceptibles de pouvoir participer au gouvernement. De fait, la liste brandie par le Premier ministre désigné ne porte aucune mention officielle, aucun en-tête et pas de signature. Il s’agit d’un tableau sur lequel figurent des noms de personnes avec leurs confessions respectives et le portefeuille dont elles pourraient être chargées. La liste comporte au total 60 noms issus de toutes les communautés et pour tous les portefeuilles, chacun ayant une spécialité précise sans être membre d’un parti. C’est un peu dans l’esprit de ce qu’on a appelé par la suite l’initiative du président de la Chambre qui stipulait que chaque partie choisisse des ministres « ni avec elle ni contre elle ». Pour les sources proches de Baabda, cela signifie que le chef de l’État a accepté depuis le début que les ministres soient choisis parmi des spécialistes et qu’il n’a même posé aucune condition particulière au Premier ministre désigné, ni sur le plan des portefeuilles qu’il voudrait ni sur le plan du nombre.
Depuis le début, Michel Aoun a donc brandi la même revendication, celle du critère unifié pour le choix des ministres, ni plus ni moins, martèlent les sources proches de Baabda. Pour lui, le problème n’a jamais été dans les noms choisis, mais dans la façon dont ils l’ont été. Même le tiers de blocage que Hariri et ses proches ne cessent d’évoquer pour critiquer le chef de l’État ne constitue pas une revendication de sa part, poursuivent les sources précitées. D’ailleurs, Saad Hariri lui-même l’a indirectement reconnu lorsqu’il a affirmé, dans son discours, avoir laissé au chef de l’État le choix des six ministres chrétiens, dans un gouvernement de 18. Ce qui signifie qu’il ne lui a pas donné le tiers de blocage et que le président Aoun ne s’y est pas opposé. Mais là où, selon les milieux proches de Baabda, le Premier ministre désigné s’est lui-même contredit, c’est lorsqu’il a précisé que dans les six ministres chrétiens, un est choisi par le parti Tachnag (arménien) et un autre est choisi par lui, parmi les personnes qui ont la confiance du chef de l’État (il ne l’a pas précisé, mais il s’agit du ministre de l’Intérieur). Ce qui signifie qu’en réalité, il lui a laissé le choix de 4 ministres et non de 6. Ces détails peuvent paraître secondaires et finalement inintéressants pour un peuple écrasé sous le poids des crises sociale, économique et sanitaire, mais ils montrent, selon les milieux proches de Baabda, que le Premier ministre désigné a joué sur les mots, mettant l’accent sur des conflits qui n’existent pas. Michel Aoun a en effet accepté le principe des ministres spécialisés et c’est pourquoi il voulait au départ une équipe de 22 ministres pour les 22 portefeuilles. Il a ensuite accepté l’équipe de 18 selon le principe des trois « 6 », donc sans tiers de blocage. Pourquoi, dans ce cas, Saad Hariri revient-il toujours sur ces questions qui ont été dépassées dès la cinquième rencontre ? Toujours selon les milieux proches de Baabda, cela signifie que le problème est ailleurs et que le Premier ministre désigné l’occulte sciemment. Il réside notamment dans la distribution des portefeuilles, en particulier régaliens. Hariri voudrait ainsi le ministère de la Justice et choisir en même temps le ministre de l’Intérieur avec l’accord du chef de l’État. Ce qui laisse supposer qu’il voudrait avoir la haute main sur la Justice et l’Intérieur au moment où il est question de lutter contre la corruption et de procéder à un audit juricomptable. À moins qu’il n’y ait d’autres mobiles cachés...
commentaires (12)
Mme Haddad s'étonne "que Saad Hariri irait si loin dans les attaques contre le chef de l’État et son camp," Ha bon, traiter Hariri publiquement comme menteur par aoun suivis par des tweets condescendants successifs de son "moustachar", induisent une déclaration d'amour par Hariri ???
DJACK
16 h 20, le 16 février 2021