Il est peut-être celui qui incarnait le mieux la manière libanaise de faire de la politique, à la fois dans ses bons et ses mauvais côtés. Considéré comme un symbole du clientélisme à grande échelle, Michel Murr, décédé hier à l’âge de 88 ans des suites du coronavirus, pouvait être terriblement efficace, positivement ou négativement, offrir à ses partisans et électeurs une proximité rassurante et servir de pont entre eux et cette entité lointaine, informe et hostile qu’est l’État libanais.
À l’époque de sa toute-puissance, une tour géante, située à Amaret Chalhoub, au nord de Beyrouth, et baptisée la « Aamara », abritait ses bureaux et son QG de campagne d’où il dirigeait l’ensemble de son réseau de conseils municipaux, de moukhtars, de scrutateurs et autres relais d’influence dans son fief du Metn.
Homme d’État pragmatique, il pouvait changer d’alliances au gré des circonstances, se montrer totalement indifférent à l’égard des batailles d’idées ou des enjeux politiques, et il ne s’insurgeait jamais contre les grands équilibres qui gouvernent le pays. Et surtout, tout au long de sa carrière en zigzag, il ne se soumettait qu’à une seule constante : la défense de la présence et du rôle politique des chrétiens du Liban. Sa fidélité à cette ligne explique, par exemple, comment, dans les années quatre-vingt-dix, au plus fort de son engagement aux côtés de la tutelle syrienne sur le Liban – au point de devenir lui-même, par moments, l’un de ses instruments –, il n’a jamais rompu, lui, le politicien grec-orthodoxe du Metn, avec le patriarche maronite Nasrallah Sfeir, qui incarnait pourtant à l’époque la voie du souverainisme libanais antisyrien.
Né en 1932 à Bteghrine, cet ingénieur doublé d’un homme d’affaires avisé est découvert dans les années soixante par son compatriote du Metn, Pierre Gemayel, chef suprême des Kataëb. Il se laisse alors tenter par la politique et est élu député de cette région. Sa carrière est lancée : tout en restant formellement indépendant, il évoluera longtemps dans l’alliance avec les Kataëb et le Tachnag arménien, devenant ainsi le troisième pilier d’une puissante machine électorale.
En 1972, premier revers : il est le seul de sa liste à se faire battre aux législatives, alors même qu’il en est le principal bailleur de fonds. Son adversaire, le très populaire docteur Albert Moukheiber, proche du Bloc national de Raymond Eddé, « perce le mur(r) », s’amuseront à dire à l’époque les chansonniers du Théâtre de 10 heures.
L’homme fort
Trois ans plus tard, la guerre civile s’installe. Il n’y aura plus de scrutin législatif jusqu’en 1992. À cette date, alors que la guerre est finie et que Damas étend son contrôle sur l’ensemble du pays du Cèdre ou presque, il rompt avec la stratégie de boycottage adoptée par les partis chrétiens et revient sur scène. Il s’applique à se forger une puissance électorale redoutable qui le portera aux nues. Le « système Murr » est né. Il prospérera surtout au ministère de l’Intérieur, que lui puis son fils Élias dirigeront à plusieurs reprises. Il occupera aussi les fonctions de vice-président du Conseil, un poste qui, pour être très imprécis dans ses contours, ne lui en confère pas moins une aura et une influence certaines, faisant de lui l’un des hommes forts du pays, notamment sous le mandat du président Émile Lahoud, auquel le lie une parenté par alliance.
À partir de 2005 et du retrait syrien du Liban, c’est le début du déclin : il se fait doubler dans son fief par les partisans du général Michel Aoun, avec lequel il s’allie d’abord. Quatre ans plus tard, il se retrouve face aux aounistes : sur huit sièges, seuls deux échapperont à ces derniers : ceux de Michel Murr et de Samy Gemayel, nouveau chef des Kataëb. En 2018, rebelote. On le dit fini, à bout de ressources, sans alliés. Et pourtant, il parvient à faire un dernier pied de nez à ses adversaires, notamment aounistes, et conserve son siège. Mais le « système Murr » a vécu.
L’ironie suprême, c’est qu’au moment où Michel Murr disparaît, le clientélisme, lui, est plus que jamais au cœur de la relation entre gouvernants et gouvernés au Liban...
commentaires (7)
Feu Michel Mure a fait le pied de nez aux aounistes en se faisant élire député malgré la précarité de sa santé D'ailleurs son pied de nez a réussi mais pas pour le mener , ne serait-ce qu'une fois , au parlement.. Un cas insolite dans l'histoire des nations .
Hitti arlette
16 h 40, le 01 février 2021