En cette période de temps mort sur le plan de la formation du gouvernement, le projet de lancement d’un front anti-Aoun revient sur le devant de la scène. Le dernier à l’avoir évoqué est le chef des Forces libanaises Samir Geagea, qui a appelé il y a trois jours à la formation d’un tel regroupement en vue de préparer des élections législatives anticipées. Une semaine auparavant, la rencontre-surprise entre trois anciens chefs de gouvernement (Nagib Mikati, Fouad Siniora et Tammam Salam) et le chef druze Walid Joumblatt avait été aussi placée dans ce contexte. En principe, il s’agissait de soutenir le Premier ministre désigné Saad Hariri après la diffusion par Baabda de la vidéo considérée comme insultante pour lui. Mais le projet de lancer un front anti-Aoun visant à appeler ce dernier à la démission avait été aussi évoqué.
S’il est vrai que le chef de l’État est actuellement isolé sur la scène politique et si de nombreux médias ont tendance à lui faire assumer la responsabilité du blocage gouvernemental (alors qu’en réalité, il n’a pas réclamé le tiers de blocage et a cédé sur son exigence d’un gouvernement de plus de 18 membres), il ne semble pas aussi facile que prévu de former face à lui un front d’opposition. Au-delà du tapage médiatique, ce projet se heurte à de sérieux obstacles.
D’abord sur la scène chrétienne. Pour rappel, l’idée d’un tel front avait été lancée dans les médias avant que le chef des FL n’en parle officiellement. Elle avait même été ouvertement évoquée par Walid Joumblatt, qui avait toutefois suggéré que les parties chrétiennes commencent par réclamer la démission du président et qu’il pourrait alors se joindre à elles. Autrement dit, avec sa franchise habituelle, le chef druze avait rappelé que dans le système actuel la démission d’un président est d’abord une affaire chrétienne. Par conséquent, c’est d’abord aux différentes parties chrétiennes de lever leur couverture sur la première fonction chrétienne au sein de la République, pour que les autres composantes du pays puissent les suivre afin d’éviter l’émergence d’un conflit à caractère religieux et confessionnel. Or, le patriarche maronite Mgr Béchara Raï a déjà fait savoir qu’il n’appuierait pas une telle réclamation, car indépendamment des personnes cela créerait un précédent qui fragiliserait cette fonction pour les mandats à venir. En adoptant une telle position, le patriarche maronite ne fait que s’inscrire dans la ligne politique adoptée par ses prédécesseurs, notamment le patriarche Nasrallah Sfeir, lorsque certaines parties politiques avaient réclamé le départ du président Émile Lahoud.
De plus, même au niveau des partis politiques, le chef des FL n’a pas réussi à convaincre les Kataëb de son point de vue. Depuis quelques jours, le torchon brûle entre les deux formations. Non pas que le parti Kataëb soit plus proche du chef de l’État que les FL, mais chacune des deux formations a ses propres considérations. Pour les Forces libanaises, il est impératif de procéder à des législatives anticipées sur base de la loi actuelle qu’elles considèrent en leur faveur, pour renforcer leur position au sein du Parlement, et renverser la majorité parlementaire. De la sorte, le nouveau Parlement pourrait élire Samir Geagea à la tête de l’État. Par contre, le Parlement actuel, avec une majorité favorable à l’alliance Aoun-Hezbollah, n’accepterait pas de le faire. Pour le parti Kataëb, les priorités sont différentes. En se rapprochant des formations de la société civile et des composantes du mouvement de protestation du 17 octobre, ce parti préfère renverser totalement les équilibres actuels. C’est dans ce but que ses trois députés avaient présenté leur démission du Parlement, en principe en accord avec les FL, mais celles-ci s’étaient rétractées au dernier moment.
De même, le courant des Marada, par la voix de son chef Sleiman Frangié, a déclaré qu’il n’appuiera pas le projet des FL d’un front anti-Aoun.
Concernant les autres composantes politiques, il ne semble pas non plus que le projet d’un front d’opposition anti-Aoun soit encore mûr. D’abord, deux des trois anciens Premiers ministres ont fait savoir que le projet ne les intéressait pas. Il s’agit de Nagib Mikati et de Tammam Salam. Ensuite, le président du Conseil désigné Saad Hariri n’a pas encore décidé de couper totalement les ponts avec Baabda, en dépit du conflit aigu qui l’oppose au chef de l’État et de l’impact négatif de la diffusion de la vidéo de Baabda sur la rue sunnite. Jusqu’à présent et malgré « la guerre des communiqués » entre le courant du Futur et la présidence, Saad Hariri n’a pas évoqué la possibilité de rejoindre ou de former un front d’opposition au chef de l’État, tout comme il ne s’est pas joint aux voix qui réclamaient sa démission.
De même, Walid Joumblatt a clairement déclaré qu’il pourrait rejoindre un tel front si les parties chrétiennes commençaient par s’unifier autour de la demande de démission du président. En d’autres termes, il n’a pas l’intention d’être le fer de lance d’une telle réclamation.
Restent les formations de la société civile. Certaines d’entre elles seraient sans doute prêtes à adopter une telle réclamation. Mais dans le paysage politique actuel, si le chef de l’État présentait sa démission, cela bénéficierait-il réellement à ces formations? D’abord, ce serait une vacance de plus au sein de l’exécutif à ajouter à la démission du gouvernement. Ensuite, le Parlement pourrait procéder à l’élection d’un nouveau président, mais, selon les rapports de forces actuels au sein de la Chambre, cela ne devrait pas beaucoup changer. Enfin, l’objectif véritable derrière les attaques contre le président de la République c’est le Parlement qui reste, dans le régime actuel, la source de tous les pouvoirs. Or, sur ce plan, les différentes composantes politiques n’ont pas la même vision. Les conditions qui sont favorables aux uns ne le sont pas forcément aux autres et il semble difficile de réaliser un consensus sur ce sujet entre les différentes politiques.
Pour toutes ces raisons, la formation d’un front d’opposition anti-Aoun s’inscrit actuellement davantage dans l’escalade verbale que dans la réalité politique.
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POUR MOI LES ARTICLES DE MADAME HADDAD SONT DES PIPEAUX. C,EST MON LIBRE AVIS. POURQUOI LE CENSURER DEMOCRATES DEFENSEURS ACHARNES EN PAROLES VIDES DE LA LIBRE EXPRESSION A L,OLJ ?
LA LIBRE EXPRESSION
18 h 08, le 25 janvier 2021