... Et à la neuvième rencontre, les discussions ont été suspendues. De fait, depuis leur dernier entretien, au début de la semaine, le chef de l’État et le Premier ministre désigné n’ont plus eu de contact direct pour poursuivre les tractations au sujet de la formation du prochain gouvernement. Beaucoup d’encre a coulé au sujet de ce dernier entretien entre Michel Aoun et Saad Hariri au palais présidentiel, qualifié de « houleux » par certains médias. Des sources proches de Baabda précisent à cet égard que le qualificatif de « houleux » n’est pas précis. Il n’y aurait donc eu aucun échange violent entre MM. Aoun et Hariri, mais plutôt une conversation glaciale dans laquelle les deux parties étaient conscientes qu’elles n’allaient pas parvenir à un accord. Selon des sources proches de la présidence, le Premier ministre désigné aurait donc sollicité le rendez-vous pour la forme, connaissant parfaitement la position du chef de l’État au sujet des points conflictuels, notamment la distribution des portefeuilles et le choix des ministres. De plus, n’ayant rien de nouveau à proposer, il devait savoir que la position de M. Aoun n’avait pas non plus changé, même après la visite au Liban de l’émissaire du président français Patrick Durel.
Dans les détails, le chef de l’État a ainsi rapidement compris que M. Hariri n’avait rien de nouveau à lui soumettre. Il était donc probable que la visite avait deux objectifs : donner l’illusion aux Libanais que des efforts sont déployés pour former le gouvernement et pouvoir rejeter la responsabilité de l’échec sur le président et son camp.
De fait, le Premier ministre désigné aurait soumis au chef de l’État sept noms pour les portefeuilles des ministres chrétiens, laissant deux dans le flou, mais précisant qu’il comptait les choisir ultérieurement. Le président Aoun a lu les noms qui lui ont été présentés et a découvert qu’il ne connaissait pas la plupart d’entre eux, dont certains devaient être considérés comme faisant partie de son camp. Il aurait ensuite demandé au président du Conseil désigné s’il avait choisi les ministres sunnites et druze (les deux hommes s’étaient entendus sur une équipe de 18 ministres, dont un seul druze), et ce dernier aurait été affirmatif. Le chef de l’État aurait alors demandé s’il connaissait les noms des ministres chiites, et Saad Hariri a répondu par la négative. Ce qui était un indice concluant pour M. Aoun que le Premier ministre désigné cherchait en fait à gagner du temps en se disant qu’il fait une tentative et qu’elle pourrait aboutir... Le président aurait alors décidé de lever la séance d’une façon qui a été qualifiée par les sources proches de Baabda de « cassante ». Mais, toujours selon les mêmes sources, à aucun moment le ton n’est monté entre les deux hommes, sachant qu’en dépit des divergences apparues entre eux depuis le 29 octobre 2019, date de la démission surprise du gouvernement de Saad Hariri, ils ont conservé des relations respectueuses, voire cordiales. Même au plus fort des tensions entre Saad Hariri et le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, les proches de Baabda n’ont jamais eu un mot désobligeant à l’égard du chef du courant du Futur, et les proches de ce dernier ont aussi toujours cherché à épargner le chef de l’État.
Impasse
Pourquoi dans ce cas la dernière rencontre entre Aoun et Hariri s’est-elle terminée de cette façon ? Si les milieux proches du chef du courant du Futur attribuent le blocage au camp du chef de l’État, et en particulier au ministre Gebran Bassil, l’accusant d’avoir durci ses positions après les sanctions américaines adoptées contre lui, les sources de Baabda ont une autre approche. Selon elles, lorsque Saad Hariri s’est imposé comme candidat incontournable pour la présidence du Conseil, le chef de l’État n’était pas très favorable à l’idée, considérant qu’il pouvait difficilement former un gouvernement de spécialistes indépendants, étant lui-même un chef de parti et un homme politique. Le président avait d’ailleurs prononcé un discours qui voulait alerter les députés sur la responsabilité qu’entraînait leur choix, à la veille des consultations parlementaires contraignantes à Baabda qui s’étaient terminées par la désignation de Saad Hariri. Le président de la Chambre, Nabih Berry, avait d’ailleurs joué un rôle déterminant pour assurer à M. Hariri un nombre honorable de voix en intervenant par exemple auprès du bloc du Parti syrien national social (PSNS) pour qu’il vote en faveur du chef du Futur. Selon des proches de Aïn el-Tiné, Berry était convaincu que, dans les circonstances actuelles, Hariri était la meilleure solution possible, d’abord parce que sa désignation pour former le gouvernement était de nature à apaiser la scène sunnite en ébullition et tiraillée entre plusieurs tendances, ensuite parce qu’il ne bénéficiait pas d’un large appui international, les Saoudiens par exemple n’étant pas intéressés par le dossier libanais, ce qui permettait de conclure des ententes internes de façon plus facile. De plus, il semblait y avoir une sorte de momentum favorable à la formation du gouvernement, avec l’annonce de l’accord-cadre sur le tracé des frontières.
Toutefois, ce climat favorable a rapidement changé. L’administration américaine a durci ses positions à l’égard du Liban, et notamment à l’égard du Hezbollah et de ses alliés chrétiens. Saad Hariri, qui avait voulu saisir l’occasion pour revenir en force au Sérail, s’est alors retrouvé face à des conditions impossibles. D’un côté, il ne peut pas former un gouvernement sans l’aval du Hezbollah et du tandem chiite en général et, de l’autre, il ne peut pas passer outre les pressions américaines. Tant que cette situation restera inchangée, il ne pourra pas former son cabinet. Mais en même temps, il ne compte pas céder la place à une autre personnalité qui pourrait, elle, accepter l’une ou l’autre des conditions. C’est pourquoi, tant que l’équation restera la même entre le Hezbollah et l’administration américaine, Saad Hariri se trouvera dans l’impasse. Mais il ne peut pas le reconnaître. Il préfère donc donner aux Libanais le sentiment de faire de son mieux, tout en laissant entendre que le blocage vient du président Aoun et de son camp... Pour les proches de Baabda, il s’agirait donc d’une manœuvre médiatique, le véritable problème étant ailleurs.
commentaires (10)
De reunions qui ne riment a rien. Soit Hariri presente un ministere de son choix et se presente au parlement avec soit il doit arreter son cirque!
IMB a SPO
15 h 58, le 21 novembre 2020