Les négociations sur la démarcation de la frontière maritime entre le Liban et Israël, qui se sont poursuivies hier sous l’égide des États-Unis dans une base de la Force intérimaire des Nations unies (Finul), à Naqoura, s’annoncent longues et ardues. Avant leur ouverture, l’administration américaine, par la voix du secrétaire d’État adjoint pour le Moyen-Orient David Schenker, qui avait rencontré plusieurs personnalités libanaises, avait fixé un délai de trois mois pour que ces pourparlers qui visent à lever les obstacles à la prospection d’hydrocarbures en mer aboutissent. Mais si, lors de la première session qui s’était ouverte le 14 octobre, les deux parties avaient commencé à négocier sur la base d’une zone maritime contestée de 860 km2, chaque délégation fait depuis monter les enchères et adopte une position plus intransigeante. Ainsi, le Liban estime, depuis la deuxième session qui s’est tenue les 28 et 29 octobre, que la superficie de la zone contestée comporte une partie supplémentaire de 1 430 kilomètres carrés plus au sud, s’étendant dans une partie du champ gazier de Karish dont Israël a confié l’exploration à la société grecque Energean. À quoi la délégation israélienne a riposté hier en adoptant une position maximaliste, selon une source proche de la délégation libanaise : elle a fixé une frontière maritime beaucoup plus au nord, conformément à la ligne 310, qui arriverait presque au sud de Saïda... Dans le cadre de cette surenchère, Israël affirme ainsi que cette ligne lui donnerait des droits sur les blocs 9 et 8, et même sur une partie du bloc 5, d’après la même source. La délégation libanaise a pour sa part campé sur sa position lors de ce nouveau round des négociations au cours desquelles les deux parties ne s’adressent pas directement la parole. Face à cette « guerre des cartes », comme l’a qualifiée l’experte Laury Haytayan à l’AFP, les pourparlers d’hier ont été prolongés d’une heure à la demande de la délégation israélienne, dans une tentative de parvenir à un point de convergence. Selon la même source proche des négociateurs libanais, la délégation américaine ainsi que les représentants de la Finul ont tenté de raisonner les deux parties pour qu’elles reviennent à la négociation sur la base des 860 km2, comme stipulé dans l’accord-cadre qui avait été annoncé par le président du Parlement, Nabih Berry, le 1er octobre. Malgré ce durcissement dans les positions des deux parties, un communiqué conjoint de l’ONU et des États-Unis a qualifié ce troisième round de « productif ». Les deux médiateurs ont dit être « confiants dans le fait que les négociations aboutiraient à un règlement tant attendu », et la date de la prochaine session a été fixée au 2 décembre.
Surenchère normale ?
Des sources politiques estiment que cette surenchère est normale dans le cadre de toute négociation, chaque partie tentant de réaliser le maximum de gains. Elles expliquent que le Liban adopte une position maximaliste pour finalement obtenir la totalité de la zone contestée de 860 km2, et non 500 km2 contre 360 km2 pour Israël comme le proposait le plan présenté en 2012 par l’émissaire du département d’État, Frederick Hoff, qui suggérait d’attribuer 55 pour cent de la zone contestée au Liban et 45 pour cent à Israël. Le Liban estime ainsi être dans son bon droit et se base sur la ligne de démarcation de 1923 entre les mandats français et britannique.
La décision de la délégation libanaise, lors du deuxième round des pourparlers, de porter la superficie de la zone contestée à 2 290 km2 a provoqué, selon des sources informées, la colère des États-Unis. Au lendemain de cette session, l’ambassadrice américaine Dorothy Shea s’était rendue au palais présidentiel pour demander au président Michel Aoun de faire machine arrière, insistant sur le fait que l’accord devait porter sur des négociations sur une zone de 860 km2. Des sources proches du palais présidentiel affirment que le président Aoun a été soumis à « d’intenses pressions américaines et internationales pour se rétracter, faute de quoi des mesures seraient prises à l’encontre du Liban ». Ces mêmes sources notent que les sanctions américaines à l’égard du chef du Courant patriotique libre et gendre du chef de l’État, Gebran Bassil, ont été annoncées peu après. Des opposants à M. Bassil et proches de l’administration américaine voient les sanctions contre ce dernier, dans leur timing, comme une réponse américaine au durcissement par le Liban de sa position dans les négociations avec Israël. Ils rappellent dans ce cadre un premier épisode tendu entre Michel Aoun et les Américains, avant même l’annonce par le président Berry de l’accord cadre en septembre. À l’époque, le président, qui voulait prendre le dossier des mains du chef du législatif, avait l’intention, pour rassurer son allié le Hezbollah qui s’inquiétait d’éventuelles concessions dans ce dossier, de publier un décret délimitant unilatéralement la frontière maritime du pays et de l’enregistrer auprès de l’ONU. Mais Washington avait refusé un tel fait accompli, insistant pour des négociations (avec Israël) sur la base du plan Hoff.
Aujourd’hui, après l’imposition de sanctions contre le chef du Courant patriotique libre, la position du président Aoun, et par conséquent celle de la délégation libanaise, va être plus intransigeante. Pour sa part, le Hezbollah, après la victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle aux États-Unis, n’est pas prêt à faire des concessions dans la période précédant la prise de fonctions du président élu en janvier prochain et mise donc sur le temps pour améliorer sa position, dans l'attente de voir si l'on se dirigerait vers un compris irano-américain. Des sources proches de la formation pro-iranienne affirment par conséquent ne pas s’attendre à ce que les négociations aboutissent à un accord dans un avenir proche, et estiment que les discussions vont connaître « plus de divergences et que des sessions pourraient être reportées, sans toutefois que ces tensions aboutissent à un arrêt des négociations ».
Des sources informées se disent convaincues que le tracé des frontières est intrinsèquement lié à d’autres dossiers épineux d’ordres politique, sécuritaire et militaire. Les négociations maritimes, si elles aboutissent, constitueront, selon elles, un prélude à une éventuelle réduction des pressions sur le Liban. Une entente se répercuterait sur plusieurs autres questions, comme celles de l’armement du Hezbollah, notamment de ses missiles de haute précision, du renforcement du rôle de la Finul au Liban-Sud et du contrôle des frontières avec la Syrie, ainsi que du port et de l’aéroport. La question ne peut pas être non plus dissociée des grands dossiers régionaux : une fois que le gaz commencera à être exploité, le Liban devra décider comment l’exporter, un choix éminemment géopolitique entre le gazoduc EastMed, qui associe notamment Chypre, Israël, l’Égypte et la Grèce, et le gazoduc TurkStream, qui relie la Turquie à la Russie via la mer Noire.
Ne jamais oublier que le but des Américains, c'est avant tout les intérêts d'Israël, alors pourquoi leur faciliter la tâche en transigeant? Le Liban n'appartient pas à un parti plutôt qu'à un autre mais à tous les Libanais, toutes tendances confondues.
18 h 29, le 12 novembre 2020