Discrètement, comme à son habitude depuis qu’il a lancé les consultations politiques pour la formation de son équipe ministérielle, le Premier ministre désigné, Saad Hariri, a pris hier le chemin de Baabda pour un septième round de discussions avec le président Michel Aoun autour de la configuration de la nouvelle équipe ministérielle. Mais quelle équipe ministérielle ? Car la donne a bien entendu changé depuis que les États-Unis ont imposé des sanctions au chef du CPL, Gebran Bassil, au titre de la loi Magnitsky relative aux affaires de corruption à l’échelle internationale. Lors de sa contre-attaque dimanche, ce dernier s’était livré à un règlement de comptes avec tous ceux qui l’auraient « poignardé dans le dos ». Entre autres cibles du leader du parti aouniste, le Premier ministre désigné, Saad Hariri, qu’il a pratiquement accusé d’avoir contribué à son exclusion en lui « arrachant » le ministère des Affaires étrangères pour qu’il « perde son immunité » et de vouloir monopoliser le choix des ministres au sein de sa nouvelle équipe.
Cette nouvelle donne est de nature à compliquer davantage la formation du gouvernement, selon notre correspondante à Baabda, Hoda Chédid, même si la présidence de la République, qui se voit également visée par les sanctions infligées au chef du CPL fondé par Michel Aoun, souhaite dissocier le dossier gouvernemental de l’affaire des sanctions pour favoriser l’établissement d’une équipe ministérielle capable de mettre en œuvre les réformes prévues dans le cadre de l’initiative française.
Sauf que pour l’heure, il n’est toujours pas clair comment les différentes parties prenantes comptent gérer le dossier gouvernemental. Certains comportements peuvent néanmoins apporter quelques éléments de réponse qui ne sont toutefois pas suffisants pour permettre de trancher quant à la nouvelle stratégie qui sera adoptée par le tandem CPL-Hezbollah, en coordination avec la présidence de la République, durant la prochaine phase. A priori, ce bloc, qui a jusque-là évité de traiter avec le régime syrien pour rester en phase avec les résolutions arabes ou internationales correspondantes, aurait choisi d’aller dans le sens d’une confrontation, si l’on se fonde sur la décision conjointe du chef de l’État et du Premier ministre sortant de dépêcher le ministre des Affaires sociales, Ramzi Moucharrafiyé, à Damas pour prendre part à la conférence internationale sur la question des réfugiés syriens, organisée par la Russie dans la capitale syrienne. Initialement, il était question de charger l’ambassadeur du Liban en Syrie, Saad Zakhia, de représenter Beyrouth à ces assises. C’est bien la première fois depuis 2011 qu’un responsable libanais est mandaté par le gouvernement et la présidence pour participer à une réunion officielle dans une Syrie mise au ban de la communauté internationale.
Dans les propos qu’il a tenus dans sa conférence de presse dimanche, Gebran Bassil ne semble pas non plus vouloir lâcher du lest. Il a réitéré les principes sur la base desquels un gouvernement devrait être formé. Des principes que Baabda reprend à son compte en évoquant, entre autres, l’application de critères unifiés pour le choix des ministres et la répartition des portefeuilles.
Le ministère des Affaires étrangères
La présidence de la République, rapporte notre correspondante à Baabda, tout comme le Hezbollah, scrute pour le moment la réaction de Saad Hariri aux sanctions imposées à M. Bassil et promet une réponse dure si jamais le Premier ministre désigné essaie d’exclure ce dernier. En revanche, elle semble encline à faciliter une entente sur les points conflictuels en rapport avec la répartition des portefeuilles et le choix de spécialistes si jamais M. Hariri inclut le chef du CPL dans les discussions autour du gouvernement. À l’inverse de Gebran Bassil qui veut un gouvernement élargi, Michel Aoun ne voit pas d’inconvénient à ce que la nouvelle équipe se limite à 18 ministres, rapporte notre chroniqueur politique Philippe Abi-Akl, qui fait état d’une nouvelle dynamique lancée par le président de la Chambre, Nabih Berry, le député Élie Ferzli (membre du bloc parlementaire aouniste et vice-président du Parlement) et le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, pour faciliter la naissance d’un cabinet. « Gebran Bassil pourrait revendiquer le ministère des Affaires étrangères, compte tenu de l’immunité que lui procure ce poste et maintenant que le principe de la rotation est en principe tombé », confie Moustapha Allouche, membre du bureau politique du Futur. Une perspective que Saad Hariri n’est pas près d’accepter, même s’il tente aujourd’hui d’arrondir les angles, selon M. Allouche qui met en garde contre un « comportement suicidaire » si jamais le camp du 8 Mars essaie de resserrer son emprise sur le gouvernement. Selon l’ancien député, Saad Hariri pourrait à ce moment-là rendre son tablier.
Mais la communauté internationale continue de mettre la pression pour la mise en place d’un cabinet dans les plus brefs délais. « Il est essentiel pour la stabilité du Liban que les négociations sur la formation d’un nouveau gouvernement aboutissent rapidement, sur la base des accords déjà conclus entre Michel Aoun et Saad Hariri sur la forme du cabinet et la répartition des portefeuilles », a dans ce contexte écrit sur Twitter le coordinateur spécial des Nations unies au Liban, Jan Kubis. « Les facteurs externes doivent être traités séparément du processus de formation du gouvernement », a-t-il ajouté.
commentaires (7)
La même mascarade se prolonge, c'est la même pratique qui préside à la formation des gouvernements au Liban, à celui qui récupère le maximum de ministère juteux ... Bassil sanctionné ou pas cela aurait été le même cirque et rien n'arrête les mafieux qui gouvernent ce pays.
Zeidan
19 h 24, le 10 novembre 2020