Critiques littéraires

Autobiographie

Comme c’est gratifiant pour un homme mûr de couronner sa carrière de chirurgien en racontant les histoires, petites ou grandes, qui lui tiennent à cœur. C’est en province qu’il démarra sa carrière, et c’est de la Békaa qu’il rapporte les anecdotes les plus incongrues. Ma préférée est celle de la mélomane en herbe qui, en pleine salle d’opération, lui confie : « J’ai adoré le rectum de Mozart ! » C’est vous dire combien la musique classique était appréciée par les infirmières du professeur !

Nous sommes aux premiers jours de l’indépendance, le Liban avait encore une taille humaine, mais le monoxyde de carbone (CO) qui se dégageait des braseros faisait des ravages lors des soirées d’hiver. Nous retrouvons un monde perdu sous la plume du docteur Antoine Ghossain, qui n’oublie pas de nous rappeler comment les gens du pays ont appris à la radio que Hitler avait enlevé (akhaza) demoiselle Tchékoslovakia ; vu l’imaginaire dans lequel ils baignaient, ils pouvaient valablement croire qu’il s’agissait d’une jeune fille à marier, enlevée contre le gré de ses parents (chalifeh).

Vingt ans durant, le docteur Antoine exerça son métier à Zahlé, où il eut le privilège de recevoir l’abbé Pierre au début des années soixante. En 1973, nommé à la tête du service de Chirurgie générale de l’Hôtel Dieu, il s’installe à Beyrouth pour être confronté deux ans plus tard à la déchirure que constituera le déclenchement de notre guerre civile. Les blessés affluent dans les centres hospitaliers et là, il met tout son art et sa patience au service des victimes. Le conflit civil opère comme une déchirure qu’on saisit dans les pages consacrées à ses interventions dans l’urgence ; un monde ancien prenait fin et les progrès extraordinaires de la science médicale et de ses interventions vont de pair avec la violence des bombardements, des enlèvements et des combats sur les barricades. Il n’en reste pas moins que pour quelqu’un qui a manié le bistouri, il ne manque pas d’humour et ses souvenirs intéresseront au premier lieu le sociologue. Car il a pratiqué son art et rempli sa mission quand la médecine était encore à l’échelle humaine. Avant la robotisation !

Titulaire de médailles reconnaissant ses contributions à la science et à la pratique médicale, il ne s’est jamais départi de sa modestie, même s’il a découvert le bacille du charbon intestinal qui faisait des ravages en milieu pastoral. Mais c’est surtout la gratuité de ses interventions (plus de vingt mille) tout au long d’une carrière, qui veillera à ce que son souvenir soit toujours célébré par les gens du coin.

Ce fut un médecin à l’ancienne qui prenait le temps d’écouter ses patients. Son livre de souvenirs a le goût des choses disparues et surannées.

Grandeurs et servitudes de la chirurgie d’Antoine Ghossain, éditions de la Librairie Antoine, 2020, 315 p.

Comme c’est gratifiant pour un homme mûr de couronner sa carrière de chirurgien en racontant les histoires, petites ou grandes, qui lui tiennent à cœur. C’est en province qu’il démarra sa carrière, et c’est de la Békaa qu’il rapporte les anecdotes les plus incongrues. Ma préférée est celle de la mélomane en herbe qui, en pleine salle d’opération, lui confie : « J’ai...

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