Critiques littéraires Bande dessinée

Foisonnement vital et poil de nez

Foisonnement vital et poil de nez

2014. Noémie a 20 ans. Étudiante en bande dessinée aux Beaux-arts à Beyrouth, vivant sa vie de jeune adulte à cent à l’heure (avec quelques pics à 150), voilà qu’elle se fait diagnostiquer d’un cancer.

Tout le processus s’enclenche, séances de chimio, nausées, cheveux qui prennent le large, langue pâteuse et j’en passe. Du traitement à la guérison, elle tient un carnet. Deux ans passent et c’est sous la forme d’une première BD, projet de fin d’études, qu’elle livre le récit de cette année-carrefour. Déjà le ton y est, brute, sans filtre et, il faut le dire, drôle.

Mais c’était trop peu, et certainement trop rapide : elle sentait ne pas avoir fait le tour du sujet. C’est avec une ambition nouvelle, entièrement réécrit, totalement redessiné et très largement étoffé que le récit sort aujourd’hui aux éditions Sarbacane. Si bien que, fort d’une pagination ample, De l’importance du poil de nez – puisque c’est son titre, dont je vous laisse découvrir l’origine à la lecture – il va désormais bien au-delà du récit de la maladie, pour devenir une véritable chronique intime, familiale, sociale.

Car c’est une plongée dans le Liban des années 2010. Une société aux mille tabous où il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler de cancer. Les textes pimentés et décontractés de Noémie, son franc-parler mais aussi toute l’affection dont sont chargés ses mots, donnent au lecteur l’assurance d’avoir là une histoire portée par une voix unique.

À travers le récit de son cancer, Noémie Honein raconte une profonde remise en question qui la chamboule de l’intérieur et bouscule la nature de ses liens familiaux, amicaux et amoureux. Noémie a la narration dans la peau et raconte l’évolution de ces liens qui se tendent et de distendent avec sincérité, mais aussi un sens du montage qui fait de ces histoires humaines un récit parallèle qui interagit avec force (et savoir-faire) avec le celui de sa maladie.

Bien plus qu’un témoignage improvisé au jour le jour, De l’importance du poil de nez est un récit muri, tant par les années que par le filtre de la mise en scène.

Le graphisme généreux, richement traité aux crayons de couleurs (ah le bruit de grattage que ça a dû faire durant les journées de travail), fait de chaque page une petite œuvre. Nous connaissions les illustrations grand format, foisonnantes et tapissées de personnages de Noémie Honein (sa série d’images Le Monde de Noémie vaut le détour). Cadrés dans de petites cases de bande dessinées, ses dessins ne perdent pas leur beauté.

Écrit et dessiné en France où Noémie habite depuis plusieurs années, l’album est imprégné de ce sentiment qu’on peut avoir pour le Liban, lorsqu’on y pense de l’étranger. La lecture de De l’importance du poil de nez donne le sentiment qu’il s’agit d’un livre qui découle d’une nécessité : pour Noémie Honein, ce livre devait être fait. Aujourd’hui, comme une page nécessaire qui se tourne, l’auteure peut désormais explorer des envies plus vagabondes. Nous sommes impatients de lire ce qui suivra.

De l’importance du poil de nez de Noémie Honein, éditions Sarbacane, 2020, 240 p.



2014. Noémie a 20 ans. Étudiante en bande dessinée aux Beaux-arts à Beyrouth, vivant sa vie de jeune adulte à cent à l’heure (avec quelques pics à 150), voilà qu’elle se fait diagnostiquer d’un cancer.Tout le processus s’enclenche, séances de chimio, nausées, cheveux qui prennent le large, langue pâteuse et j’en passe. Du traitement à la guérison, elle tient un carnet. Deux...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut