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Agenda - Commémoration

À Tarek et Julian Chamoun : 30 ans et les assassins n’ont jamais vraiment été jugés

Chers Tarek et Julian Chamoun,

Cela fait 30 ans que vous êtes partis, tués dans vos premières années, aux côtés de vos parents Dany et Ingrid. Et qu’est-ce qui a changé depuis ? Trente ans et rien n’a changé… Contrairement à vous, nous avons été nombreux à avoir eu l’occasion d’essayer de vivre nos vies. Nous avons grandi, quitté nos maisons parentales, nous nous sommes mariés, sommes devenus parents, etc. Certains sont morts et leurs vies ont été célébrées des années durant, la souffrance engendrée par leur perte débattue longtemps. Au moment où j’écris, des gens meurent dans une pandémie mondiale et le monde se voit bouleversé.

Vous aviez 8 et 6 ans lorsque, le 21 octobre 1990, vous avez été abattus par des assassins qui n’ont jamais vraiment été poursuivis en justice. Notre hommage à vous est timide. Dans mes allées et venues, dans ma vie quotidienne, j’ai tenté de parler de vous autour d’une tasse de café ou d’une prière, mais les réactions des uns et des autres me font taire d’une manière qui ne traduit que l’atrocité de votre mort. Les mères pleurent et s’excusent ; les prêtres m’interrompent pour me conduire dans la prière. Et si vous décollez les couches d’affiches placardées sur les murs de notre pays, vous trouverez des photos de vous quatre, fanées, couvertes et replacées dans les annales de la liste des tragédies de notre pays.

L’atrocité de votre mort est insupportable ; il n’est tout simplement pas naturel pour les hommes adultes de tuer des enfants. Cela fait 30 ans que vous êtes partis et nous sommes restés trop silencieux. Cela doit changer. Beaucoup de choses se sont passées l’année dernière, laissez-moi vous en parler.

Il y a un an, nos compatriotes se sont élevés et sont descendus dans la rue pour apporter des changements, pour manifester contre la corruption et la négligence. Les Libanais ont agité leur drapeau, élevé la voix, unis autour d’une seule cause et ont réclamé d’être entendus. J’ai ressenti un élan de fierté en voyant le Liban aux nouvelles. C’était différent cette fois et j’avais bon espoir que le monde verrait et entendrait enfin la voix des vrais Libanais.

Les manifestations étaient pacifiques et ont été une belle démonstration de prouesses civiques. Mais encore une fois, des violences ont éclaté, des balles ont été tirées, des gens ont été tués, pour disperser et faire taire ce beau soulèvement.

Le 4 août dernier, le port de Beyrouth a été secoué par une explosion de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, qui a été ressentie jusqu’en Turquie. Ce fut la plus grande explosion non nucléaire de l’histoire de l’humanité. Non moins de 203 personnes ont été tuées et 6 500 blessées. Le monde était choqué. Au début, la réponse a été forte, débouchant sur la collecte de fonds et la sensibilisation. Des dirigeants étrangers ont visité Beyrouth, des sauveteurs et de l’aide humanitaire ont été envoyés et le monde s’est solidarisé avec nous. Ici, dans notre coin de la campagne anglaise, le téléphone sonnait constamment avec des questions anxieuses sur le sort de nos proches au Liban. C’était émouvant. En l’espace de quelques semaines, cependant, des preuves susceptibles d’aider à une enquête éventuelle ont été détruites par un soudeur pyromane et la catastrophe a été balayée, sans surprise, et soumise à la loi du silence.

Au cours des 30 années qui se sont écoulées depuis votre départ, j’ai prié pour vous quotidiennement et vous m’avez énormément manqué. J’ai eu de nombreuses conversations avec vous, pour vous parler de l’évolution de ma vie ou pour demander des conseils, comme je l’ai fait lorsque nous étions très jeunes. Je suis maintenant mère de deux garçons, T. et J., tout comme vous. Je vis une vie pleine et saine, et bien que je sois à l’étranger avec mon mari britannique, mon cœur bat fort pour le Liban et pour vous. Je ressens en moi un feu de colère dont on ne parle pas quotidiennement ; votre mort est trop difficile à accepter et au terme de ces 30 années, il est trop tard pour espérer des réponses.

Je me retrouve de plein fouet à vouloir me rebeller contre le voile du silence sous lequel nous nous sommes tous rassemblés, volontairement ou non. Le silence n’a pas changé depuis 30 ans que vous êtes partis. J’ai entendu parler d’amnésie collective. Je ne suis pas d’accord. À mon avis, c’est ce silence collectif que nous, Libanais, pratiquons si bien.

Tarek et Julian, Dany et Ingrid, depuis 30 ans que vous êtes partis, nous vous avons aimés et nous avons pleuré votre mort dans les limites silencieuses de nos cœurs. Nous avons également été collectivement silencieux dans notre deuil. Laissons-nous prendre la parole pour vous honorer et nous nous engageons à rompre le silence pour vous et pour tous les enfants morts pour le Liban.

Zalfa Dory CHAMOUN

Chers Tarek et Julian Chamoun,Cela fait 30 ans que vous êtes partis, tués dans vos premières années, aux côtés de vos parents Dany et Ingrid. Et qu’est-ce qui a changé depuis ? Trente ans et rien n’a changé… Contrairement à vous, nous avons été nombreux à avoir eu l’occasion d’essayer de vivre nos vies. Nous avons grandi, quitté nos maisons parentales, nous nous sommes...