« Je suis candidat à la présidence du Conseil sans la grâce de personne. » Telle est la tournure pour laquelle a opté Saad Hariri afin de trancher la question de son éventuel retour au Grand Sérail. Lors d’une prestation télévisée très attendue, à une semaine des consultations parlementaires contraignantes pour désigner un nouveau Premier ministre, le chef du courant du Futur a ainsi décidé de garder la porte ouverte à sa nomination, confirmant des informations qui circulaient ces derniers jours selon lesquelles cette option avait le plus de chance d’ouvrir une brèche dans le marasme politique.
C'est il y a quasiment un an, le 29 octobre 2019, que M. Hariri avait annoncé la démission de son gouvernement, douze jours après le début du mouvement de révolte populaire contre la classe politique libanaise.
« Je suis chef d’un groupe parlementaire et tout le monde sait qui je suis. Sauf que je n’ai jamais recours aux menaces comme le font les autres. Certains veulent me pousser à recourir aux menaces, sauf que je suis le fils de Rafic Hariri le modéré », a lancé M. Hariri, jeudi soir, lors de l’émission « Sar el-wa’t » (Il est temps) de Marcel Ghanem sur la chaîne locale MTV, alors que le président Michel Aoun a fixé au jeudi 15 octobre les consultations parlementaires contraignantes pour la désignation du futur Premier ministre. Une convocation qui intervient en l’absence de consensus sur la personne du futur président du Conseil, comme c’est généralement le cas au Liban.
Le processus de formation d’un cabinet succédant à celui de Hassane Diab est en effet à l’arrêt depuis la récusation de Moustapha Adib, le 26 septembre dernier, près d’un mois après sa désignation pour former un cabinet de « mission » exigé par Paris. Le lendemain, le président français Emmanuel Macron avait assuré que l’initiative française, qui prône un gouvernement de spécialistes indépendants afin de lancer les réformes indispensables au déblocage des aides internationales cruciales, tenait toujours, accordant aux responsables libanais un nouveau délai de « quatre à six semaines » pour aboutir à un accord. Les efforts de M. Adib ont notamment été entravés par les revendications du Hezbollah et de son allié Amal, dirigé par le président du Parlement Nabih Berry, qui exigeaient le portefeuille des Finances et voulaient désigner eux-mêmes les ministres chiites.
Lors de son intervention télévisée, M. Hariri s’est dit toujours attaché à l’initiative française. « Cette initiative n’est pas morte et son esprit n’a pas changé », a-t-il assuré, ajoutant que si elle est réactivée, « il sera possible pour le Liban de sortir de sa crise et de reconstruire Beyrouth » (après la double explosion dévastatrice du 4 août au port). Le leader sunnite a accusé Amal et le Hezbollah d’avoir torpillé cette initiative, affirmant « ne pas comprendre leurs motivations ». « C’était peut-être pour pousser les autres à s’incliner » devant leurs exigences, a-t-il poursuivi, dénonçant une force « qui repose sur le recours aux armes et le sentiment de puissance ». Selon lui, le fait qu’ils aient refusé d’accepter son initiative de déblocage de la crise gouvernementale, lorsqu’il avait proposé la nomination, pour une fois, d’un chiite indépendant à la tête des Finances, « montre qu’ils ont d’autres revendications », a-t-il dit, sans vouloir élaborer davantage, mais en reprochant néanmoins au tandem chiite de suivre un agenda étranger. M. Hariri a, par ailleurs, annoncé vouloir lancer cette semaine une série de contacts avec toutes les parties pour s’assurer qu’elles restent attachées au document de la Résidence des Pins pour ce qui a trait notamment aux négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) et aux réformes requises. « C’est seulement à ce moment-là que je donnerai sa chance au processus censé freiner l’effondrement », a-t-il affirmé. Il a en outre insisté pour un cabinet de spécialistes, se disant hostile à la formule de gouvernement techno-politique proposée par l’ancien Premier ministre Nagib Mikati.
Dans l’attente d’un compromis
Ce dernier a récemment proposé l’idée de la formation d’un cabinet de 20 ministres – six représentants des forces politiques et 14 spécialistes. Selon notre correspondant politique Mounir Rabih, toute candidature de Nagib Mikati à la tête du gouvernement est néanmoins exclue aujourd’hui, en l’absence de consensus entre les différentes factions, voire au sein du club des anciens Premiers ministres. Quant à Saad Hariri, sa candidature pourrait, elle, être finalement acceptée par la présidence et le Courant patriotique libre, qui rejetaient jusqu’à présent cette éventualité, en cas de compromis politique entre les différents protagonistes. Selon notre correspondant, M. Hariri, s’il est nommé, ne pourra toutefois pas former un cabinet sans être soutenu par l’Arabie saoudite et les États-Unis. La France, quant à elle, ne s’oppose plus à un retour de Saad Hariri et essayerait, de son côté, d’obtenir le feu vert de Riyad et de Washington à cet effet, selon M. Rabih. Notre correspondant souligne encore qu’il serait plus facile d’obtenir l’aval des Américains – ces derniers pouvant accepter la présence du parti chiite dans le cabinet afin d’avancer en échange leurs pions dans les futures négociations entre Israël et le Liban sur la délimitation des frontières – que des Saoudiens qui refusent catégoriquement une représentation du Hezbollah au sein du prochain cabinet. Dans ce contexte, si aucun compromis ne peut être trouvé sur une désignation de Saad Hariri, il n’est pas exclu qu’une personnalité sunnite hors du « club des quatre », à l’instar de Moustapha Adib, voire M. Adib lui-même qui aurait été approché de nouveau par le tandem chiite et le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, soit désignée pour tenter à nouveau de mettre sur pied l’équipe gouvernementale, ajoute notre correspondant.
Un report des consultations ?
Notre correspondante à Baabda Hoda Chedid rapporte parallèlement que la majorité parlementaire exclut de son côté la formation d’un gouvernement monochrome, à l’instar du cabinet Diab. Idem pour le chef de l’État qui insiste pour un cabinet dans lequel toutes les parties seront représentées. C’est pour cette raison que le tandem chiite, ainsi que le CPL et leur alliés laissent aux anciens Premiers ministres sunnites la décision de nommer un chef de gouvernement et ne veulent pas dévoiler pour le moment leur candidat alternatif. Dans ce contexte, des sources à Baabda assurent que les consultations parlementaires se tiendront à la date prévue, sauf si le président du Parlement demande leur report. L’ouverture faite par Saad Hariri permettra-t-elle de débloquer le processus de formation d’un cabinet ? Seul le temps le dira.
Dans ce contexte, un tweet du président Aoun n’est pas passé inaperçu dans la matinée. Il a déploré le « manque d’autocritique » au Liban et fustigé « des positions rigides », sans pour autant préciser à qui il fait allusion. « Il est admis que les nations qui perdent leur esprit critique et s’abstiennent de remettre en question leur comportement sont vouées à la régression et ne peuvent pas se construire et suivre le progrès, a écrit le chef de l’État. Jusqu’à quand notre pays restera-t-il otage des positions rigides et de l’absence d’autocritique ? »
Le bloc parlementaire du Hezbollah a, pour sa part, appelé les responsables à « accélérer » le processus de formation d'un gouvernement « national, efficace et productif », exhortant les différentes formations à « mettre de côté leurs pratiques malveillantes ». Si, dans un discours le 29 septembre, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait affirmé soutenir l'initiative de Paris, il avait toutefois réclamé une « révision » du ton et du mode opératoire. Revenant à la charge, il avait souligné la nécessité que le Hezbollah fasse partie du gouvernement, par le biais de partisans ou pas, pour « protéger les arrières de la résistance ».
commentaires (16)
Je ne comprends pas bien. Le Hezbollah veut maintenant "accélérer le processus de formation d'un gouvernement ". Alors que les deux fois précédentes, il s'est acharné à, au contraire, la ralentir ! Par ailleurs, il réclame un cabinet "national, efficace et productif ", et en même temps, il veut en faire partie, ce qui est à l'évidence, contradictoire !
Yves Prevost
21 h 17, le 09 octobre 2020