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Voyage au bout de l’amour

Voyage au bout de l’amour

© Louis Monier

L’Éclipse et autres nouvelles de Nabil Naoum, traduit de l’arabe par Luc Barbulesco, Actes Sud, 2020, 96 p.

S’il est une ville qui pourrait prétendre aux rangs privilégiés de muse universelle, elle s’appellerait Paris. Un écrin chargé d’histoire et de vécus romanesques qui n’a pas fini de subjuguer artistes, écrivain(e)s et poètes, souvent au premier regard.

Nabil Naoum, écrivain égyptien, en fait partie. C’est la raison pour laquelle il a choisi d’y donner vie à son recueil L’Éclipse et autres nouvelles dont le thème principal est l’amour.

La première partie est constituée de six nouvelles qui prennent toutes vie dans l’univers d’églises parisiennes marquantes pour l’auteur. Dans ou à proximité de chacune d’entre elles se joue, se noue et se dénoue une relation d’un ordre particulier.

Ainsi, c’est dans l’église Saint Sulpice que se produit le miracle d’une rencontre. Celle « d’une femme dont la présence adoucit la solitude d’un étranger ». Celui-là même qui lui fera porter un autre regard sur elle-même, sa vie et sa ville. Plus loin, dans un café sur la place des Abbesses à Montmartre, en face de l’église Saint Jean à la façade couverte de briques rouges et de céramiques, le personnage revisite un amour lointain mais encore vibrant. Il y contemple, impuissant, l’éclipse d’un lien sans cesse interrogé. « Mon attachement pour elle procédait-il d’un amour véritable ou bien de la possessivité, de l’incapacité où j’étais d’accepter de la perdre ? Était-ce vraiment de ma part désir de coïncider avec elle ou bien crainte de solitude ? » Alors que le fil de sa tourmente se déroule, devant l’église de Saint Nicolas se produit le ravissement d’un homme d’un certain âge par la jeunesse d’une femme. Sa quête impossible tourne à l’obsession et le renvoie inlassablement à sa propre finitude et au temps qui passe. Cette dernière thématique toujours empreinte de mélancolie est d’autant plus puissante que portée par la musique dans la nouvelle suivante. Il a en effet suffi d’une sonate de Bach pour que le souvenir des premiers émois rejaillit à la vue de cette femme priant ou écoutant au premier rang de l’église de Saint Paul dans le quartier du Marais. L’église Saint Eustache quant à elle reste le lieu où la prière cynique du commun des hommes est exaucée : « Obtenir une femme qui puisse à la fois satisfaire le corps et ne pas faire souffrir l’esprit. »

La seconde partie du recueil est constituée de cinq nouvelles qui s’inscrivent toujours dans la thématique de l’amour, du désir et du rapport charnel. On y rencontre, au-delà de la dimension spirituelle du lien amoureux, symbolisée par les lieux dans la première partie, les autres facettes parfois paradoxales de ce rapport. Les figures de style qui y sont employées transportent le lecteur dans un univers intemporel, chargé d’érotisme et de douleur. Car il y a aussi le côté sombre et insondable qui réveille les peurs archaïques d’abandon, la jalousie, la trahison et l’appropriation violente du corps obsédant.

Nabil Naoum nous amène dans ce voyage au bout de l’amour, à saisir sa transcendance aux allures et aux trajectoires multiples. Qu’elles soient platoniques, tendres, passionnelles, charnelles, violentes ou routinières, toutes prennent source dans un moment de sidération du corps. Celui de la rencontre. Lorsque la douce puissance des premières fois, fait que l’individu se sente pleinement vivant dans une sorte de vibration mystique avec l’autre. Avant que la lucidité ne reprenne ses droits et ne laisse parfois la place au chagrin, il se passe de longs moments de poésie d’une intense mélancolie dont l’auteur maîtrise le style.

Ce recueil merveilleusement traduit, se savoure tel une douceur dans l’ambiance feutrée d’un café parisien par un après-midi d’automne.

L’Éclipse et autres nouvelles de Nabil Naoum, traduit de l’arabe par Luc Barbulesco, Actes Sud, 2020, 96 p.S’il est une ville qui pourrait prétendre aux rangs privilégiés de muse universelle, elle s’appellerait Paris. Un écrin chargé d’histoire et de vécus romanesques qui n’a pas fini de subjuguer artistes, écrivain(e)s et poètes, souvent au premier regard.Nabil Naoum,...

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