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Nos Lecteurs ont la Parole

Lettre à Beyrouth, cité bouillonnante de cultures et d’idées

Ô Beyrouth,

Je me souviens toujours de notre première rencontre. Je t’ai aperçue pour la première fois depuis un hublot, lors de l’atterrissage de l’avion, en juillet 1998... Ville lumière dans l’obscurité de la nuit et de la mer.

Venir à ta rencontre ? Un rêve de petite fille. Visiter le Liban ? Un cadeau pour mes 20 ans. Quelle émotion la première fois que j’ai posé le pied sur ton sol : le rêve devenait réalité ! Immédiatement, j’ai été enveloppée par l’atmosphère particulière qui se dégage de toi et que je retrouverai à chacun de mes voyages... Parfois, quand la mélancolie devient trop forte, je ferme les yeux et tente de retrouver ces sensations. Et puis, je me revois assise dans le petit souk de ma famille libanaise, l’odeur du café mélangée à celle des mana’ich, les cris des vendeurs ambulants, les cloches de l’église qui entrent en résonance avec l’appel à la prière du muezzin... Ahlan wa sahlan bi Beyrouth, ahlan wa sahlan fi Loubnan.

Je t’ai traversée d’est en ouest, toi la ville tumultueuse, avec tes embouteillages, tes bruits incessants de klaxons et... tes non-règles de circulation ! Ville à la fois oppressante dans la chaleur de l’été et transperçante lors du froid humide de l’hiver. Ville de contrastes et de contradictions : entre luxe et misère, buildings neufs et maisons anciennes, banques et immeubles inachevés mais habités, vieilles autos délabrées et grosses voitures, minijupes et hijabs... Cité bouillonnante de cultures et d’idées, véritable capharnaüm d’où se dégage pourtant une certaine douceur de vivre ! À l’image de ton pays, tu es une mosaïque complexe, mystérieuse, mais terriblement attachante. À la fois si proche et si lointaine, tu ne laisses personne indifférent !

À l’heure où la jeunesse libanaise pensait émigration, je préparais mon immigration. Oui, venir vivre chez toi, ô Beyrouth. Mais la vie nous réserve parfois des surprises. Au cœur de ta ville, j’ai rencontré celui qui allait devenir mon compagnon de route. Tous les deux étrangers, lui l’Oriental de la plaine de Ninive et moi l’Occidentale des Alpes suisses. Toi, pont entre Orient et Occident, tu as permis notre rencontre, à mi-chemin de nos vies et de nos cultures. Cadeau inestimable que cet amour offert qui a provoqué un changement complet de mon projet de vie : il n’est plus question de m’expatrier mais de revenir sur ma terre natale pour fonder une famille.

Toi, tu restes néanmoins le point de départ de notre histoire, la source (nabaa) à laquelle nous aimons revenir, avec nos quatre enfants maintenant. Retrouver nos familles de cœur, nos amis. Partager ensemble nos souvenirs, notre présent, nos questions et nos incertitudes face à l’avenir... Prendre le temps, simplement.

Pendant des années, tu as été le plus grand chantier du monde. Je constatais l’avancée des travaux à chacun de mes voyages. La reconstruction d’après-guerre allait bon train mais, tu sais, j’ai eu souvent peur qu’avec ce rythme effréné, tu n’en viennes à perdre ton âme ! J’étais partagée entre l’émerveillement face à la capacité de résilience de tes habitants, leur accueil chaleureux, et la colère devant le culte des apparences et le bétonnage à haute valeur économique au détriment de l’essentiel...

Depuis le 4 août 2020, te voilà à nouveau à genoux : ville dévastée, rasée, détruite ! Il n’y a pas de mots pour exprimer l’horreur de ce désastre... L’inimaginable s’est produit, traumatisme supplémentaire pour ton peuple ! Est-ce le coup de grâce pour ton pays déjà en mode survie depuis plusieurs mois ? Comment une telle explosion a-t-elle été possible ? Tant de questions actuellement sans réponses. Tant de souffrances, tant de désespoir... Je suis touchée en plein cœur, je pleure avec toi les morts, les nombreux blessés, les sans-abri et l’enlisement économique et politique de ta nation. J’ignorais qu’on pouvait souffrir autant pour sa ville et son pays, fussent-ils d’adoption : être déchirée par la souffrance des nôtres en toute impuissance...

Je me souviens, il y a 20 ans, d’une photo reçue en cadeau : un coucher de soleil sur ton bord de mer, avec ces quelques mots écrits au verso : « Chaque fois que tu contempleras cette image, je serai là, à côté de toi, pour sécher tes larmes. » Aujourd’hui, c’est à mon tour de te dire : « Je suis avec toi », même si le Covid m’a empêchée d’accourir à ton chevet et de rejoindre physiquement les miens pour partager leur peine... Ô « Beyrouth, mille fois morte, mille fois revécue », pour reprendre les mots poétiques de Nadia Tuéni. Je veux croire que l’heure de ta 1 001e vie est venue ! Je ne peux céder moi aussi au désespoir et je m’accroche de toutes mes forces à la toute petite flamme qui me reste de la fougue et de l’insouciance de ma jeunesse. Je veux espérer pour toi une aube nouvelle, celle qui marquera, une fois encore, ta reconstruction, mais, cette fois aussi, la naissance d’une nouvelle nation libanaise. Dans la paix et le respect des différences. Inch’Allah.

Be’hebik ya Beyrouth. Be’hebak ya Loubnan.

Jocelyne MÉTRAILLER

Suisse

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Ô Beyrouth, Je me souviens toujours de notre première rencontre. Je t’ai aperçue pour la première fois depuis un hublot, lors de l’atterrissage de l’avion, en juillet 1998... Ville lumière dans l’obscurité de la nuit et de la mer. Venir à ta rencontre ? Un rêve de petite fille. Visiter le Liban ? Un cadeau pour mes 20 ans. Quelle émotion la première fois que j’ai posé le pied...

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