Le leader du courant du Futur et ex-Premier ministre Saad Hariri a lancé, mardi, une initiative destinée à aider le Premier ministre désigné, Moustapha Adib, à dénouer la crise gouvernementale, alors que ce dernier n'a pas réussi à former son cabinet, trois semaines après sa désignation. Conformément à l'initiative française, qui vise à sortir le Liban de sa crise, M. Adib est appelé à former un cabinet "de mission" restreint, formé de spécialistes indépendants. Le principal nœud rencontré dans les tractations concerne le portefeuille des Finances, que le Hezbollah et le mouvement Amal réclament. Ces deux formations exigent qu'"une personnalité chiite" soit nommée à la tête de ce ministère qui, selon elles, doit être exclu du principe de rotation des portefeuilles défendu par le Premier ministre désigné et soutenu par plusieurs parties.
"J'ai décidé d'aider le Premier ministre désigné à trouver une issue qui consiste à nommer au ministère des Finances une personnalité chiite indépendante que M. Adib choisira lui-même, au même titre que les autres ministres, sur la base des critères de la compétence, de l'intégrité et de la non-affiliation partisane", a annoncé M. Hariri dans un communiqué. Saad Hariri, qui refusait avec les anciens Premiers ministres, Fouad Siniora, Nagib Mikati et Tammam Salam, que les Finances soient confiées à un chiite, a cependant pris soin d’indiquer que sa décision "est valable pour une fois seulement et ne peut pas être considérée comme un précédent valable pour la formation des gouvernements à venir". Elle est motivée, a-t-il dit, par sa volonté d’éviter un effondrement total du pays.
Dans son communiqué, M. Hariri a d’emblée souligné "l’état d’abattement et de confusion des Libanais après la double explosion du 4 août, un sentiment accentué, a-t-il dit, par l’absence de gouvernement, l’échec des institutions publiques et l’isolement arabe et international du Liban". "Le président français Emmanuel Macron a réussi à ouvrir une brèche dans cette impasse, grâce à deux visites consécutives au Liban, où il a proposé à l’ensemble des forces politiques une initiative ultime visant à freiner l’effondrement et à reconstruire Beyrouth. Il a fait assumer à toutes les parties la responsabilité de contribuer à sauver le pays après la tragédie qui s’est abattue sur la population, toutes appartenances communautaires et régionales confondues", a-t-il poursuivi. Il a rappelé les circonstances qui ont conduit à la désignation de Moustapha Adib pour former le nouveau gouvernement ainsi que les critères définis pour le choix de son équipe, "une équipe restreinte, composée de spécialistes réputés pour leurs compétences et leur intégrité et non affiliés à des partis politiques, avec pour seule mission de réaliser les réformes exigées pour freiner l’effondrement". Saad Hariri a aussi rappelé que Moustapha Adib a été "clair avec les groupes politiques au sujet de la procédure suivant laquelle il comptait mettre en place son équipe" et qu’il avait sérieusement progressé dans sa mission "jusqu’à ce qu’un obstacle inattendu apparaisse", en allusion à l’exigence du tandem chiite de nommer le ministre des Finances, "en prétendant qu’il s’agit d’un droit constitutionnel issu de l’accord de Taëf, alors qu’il s’agit en fait d’une hérésie qui ne repose sur aucun texte".
Soulignant que ce blocage menaçait d’"annihiler toute chance de réaliser les réformes exigées par les Libanais" et pour éviter un effondrement "qui risque de déboucher sur un chaos politique, économique, social et de sécurité, à cause d’une flambée du dollar", le chef du Futur a expliqué que c’est à cause de ces menaces qu’il a décidé de lancer son initiative : "Aider M. Adib à nommer au ministère des Finances une personnalité chiite indépendante qu’il choisira lui-même, sur la base des critères de compétence, d’intégrité et de la non-affiliation politique, au même titre que les autres ministres. Cette décision n’implique en aucun cas une reconnaissance du droit exclusif de la communauté chiite ou de toute autre communauté au ministère des Finances. Elle est applicable pour une seule fois seulement et ne peut pas être considérée comme un usage valable pour la formation des cabinets à venir." M. Hariri a insisté sur le fait que son initiative est conditionnée par une réaction favorable du tandem chiite qui devrait, selon lui, faciliter la formation du cabinet.
"La balle est aujourd’hui dans le camp" des chiites
"La pérennité du Liban, la vie et la dignité des Libanais restent plus importantes que les conflits communautaires et politiques. Elles méritent de faire primer l’opportunité de sauver le pays des conflits, aussi importants soient-ils. La balle est aujourd’hui dans le camp de ceux qui entravent la formation du cabinet. S’ils y réagissent favorablement et facilitent la naissance du gouvernement, c’est le Liban et les Libanais qui auront gagné. S’ils maintiennent leur blocage, ils auront à assumer la responsabilité d’avoir fait rater au pays l’occasion de freiner l’effondrement et de sauver les Libanais de leur misère actuelle, appelée à s’aggraver, à Dieu ne plaise", a encore dit M. Hariri, en soulignant qu’il a choisi à titre individuel de "faire cette concession" sans en référer aux anciens chefs de gouvernement. "Certains, a-t-il observé, pourraient considérer ma démarche comme un suicide politique, mais je l’ai prise dans l’intérêt des Libanais et je suis persuadé qu’il n’y a pas d’autre choix pour essayer de sauver la dernière chance qui se présente à nous pour freiner l’effroyable effondrement qui plongera le Liban dans l’inconnu."
"Pas concernés"
Les anciens Premiers ministres sunnites, Fouad Siniora, Tammam Salam et Nagib Mikati, n'ont pas tardé à réagir, indiquant dans un communiqué commun que la démarche de M. Hariri est une "initiative personnelle". Rappelant que la Constitution est "très claire" en ce qui concerne le fait qu'"aucun portefeuille ministériel n'est exclusif à une communauté", ils ont affirmé qu'ils "ne se considéraient pas concernés par cette initiative".
Plus tôt dans la journée, Fouad Siniora avait déjà appelé les responsables à rester attachés à la Constitution et au Pacte national, ainsi qu'à la formation d'un gouvernement restreint de mission conformément à l'initiative française, composé de ministres "non prisonniers des communautés". Réuni aujourd'hui à Dar el-Fatwa, le Conseil supérieur chérié sunnite a de son côté appelé à faciliter la mission du Premier ministre désigné, regrettant que "les divergences politiques se transforment en conflits communautaires et confessionnels".
Lundi, le chef de l'Etat, Michel Aoun, avait renvoyé dos à dos le tandem chiite et le Premier ministre désigné, leur reprochant de ne pas faciliter la formation du cabinet. Le président a pointé du doigt l’insistance du tandem chiite à conserver sa mainmise sur les Finances et a reproché à Moustapha Adib de former son cabinet sans se concerter avec les groupes parlementaires et de n'avoir jusque-là proposé aucune mouture de cabinet. Le président a également critiqué les anciens Premiers ministres sunnites, estimant qu'il était "inacceptable que des ministres ou des portefeuilles soient imposés, notamment par un camp n'ayant pas la majorité parlementaire". "Si un gouvernement n'est pas formé, nous nous dirigeons vers l'enfer", avait prévenu le président Aoun. Une phrase qui a fait le tour des réseaux sociaux et suscité la colère des Libanais hostiles à la classe dirigeante.
commentaires (12)
Non mais quelle mascarade que d’assister à ce jeu de rôles où les protagonistes ne cessent de jouer avec la vie et le destin de plus de 4millions de citoyens juste pour le plaisir d’exister.
Sissi zayyat
11 h 25, le 23 septembre 2020