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La Consolidation de la paix au Liban - Septembre 2020

Témoignages de volontaires

Témoignages de volontaires

Crédits Photo UNDP Lebanon

Dans la poussière et les bris de vitres...

Nassim S. Zoueini


Achrafieh, 25 ans après.

- « Allo maman ? Il y a une grande explosion à Beyrouth. Mais je suis indemne ».

- « Quoi ? ».

- « Il y a eu une explosion à Beyrouth, mais je n’ai rien ! ».

- « Mon Dieu ! Je viens d’entendre le bruit ! Es-tu sûr que tu n’as rien ? ».

- « Oui, oui, c’est pour cela que je t’appelle. Je dois faire vite pour aller voir si mes voisins ont besoin de quelque chose. Je t’aime ! Bye... ».

Je me suis assis un instant. C’est vrai que je n’avais rien, mais le choc quand même. J’ai inspecté mes portes défoncées, mes vitres cassées et les poignées des portes traditionnelles en bois rouge éparpillées sur mes meubles, le sol de ma cuisine et sur mon lit.

Je me suis levé. Je sentais encore les grains de poussière qui avaient éraflé mon oreille. J’ai ouvert ma serviette : une bouteille d’eau, une autre d’alcool, une boîte de mouchoirs en papier, des masques et des gants en latex. J’ai ensuite jeté un coup d’œil du balcon. Le spectacle était terrifiant.

Je me suis alors précipité pour prendre des nouvelles de ma voisine âgée de 80 ans. Elle était heureusement indemne.

Je me suis alors précipité dans les escaliers et je suis arrivé dans la rue... Quelle rue ! J’ai couru vers l’entrée de mon immeuble. J’ai pris le volant de mon vélo, et mon périple a commencé.

A une certaine période, je me promenais dans la rue. Mais cette fois, je roulais sur les débris de verre, des branches d’arbres, des pans d’aluminium brisé, des chaussures, des coussins, des portes déchiquetées et même des antennes satellitaires détruites. Des gens criaient comme des zombies en essayant de se faufiler dans ce désordre total. Mes yeux ne parvenaient pas à croire ce qu’ils voyaient et mes oreilles ce qu’elles entendaient : les dommages, les destructions, la poussière, le sang et surtout les cris des enfants, les gémissements des vieux, tant de bruits qui étaient encore plus forts que les sirènes qui s’étaient toutes déclenchées. Je me souviens encore de tous les visages que j’ai vus à ce moment-là. Les voix de ceux qui m’ont demandé de les aider résonnent encore dans mes oreilles. Je revois aussi avec précision les blessures dont ils étaient atteints. Je me souviens aussi de la satisfaction que m’ont exprimée tous ceux qui m’ont vu indemne et qui étaient heureux que je puisse les aider. Mais dans ce spectacle incroyable de désordre et de chaos, je ne peux pas non plus oublier un détail qui m’a marqué et que même les producteurs d’Hollywood n’avaient pas pu imaginer : l’entreprise des pompes funèbres détruite, avec les cercueils éventrés, dont les morceaux jonchaient le sol et les trottoirs avoisinants.

Mon instinct de survie m’a poussé à courir vers l’hôpital Saint-Georges où je croyais que les blessés s’étaient précipités pour y être soignés. Je voulais donner du sang et contribuer à apaiser les gens tout en aidant à prodiguer les premiers soins aux blessés. En route, j’ai aidé à nettoyer certains visages de passants blessés. Je leur ai même donné des serviettes pour couvrir leurs blessures. J’ai continué à marcher... mais je n’ai pas trouvé l’hôpital... Après 25 minutes, j’ai vu les gens, les blessés et le corps médical quitter les bâtiments détruits, au lieu d’y entrer. Je me suis mis à trembler. Je me suis dit : c’est là que les gens ayant besoin d’aide viennent, mais l’hôpital est devenu hors service... A cet instant précis, la poussière dans mes yeux s’est transformée en brouillard, alors que dans mes oreilles, continuaient de résonner les cris, les sirènes, les vitres en train de tomber et les crissements des morceaux de verre sous les pas des passants... Tout cela en quelques secondes !

Soudain un cri a brisé ce chaos silencieux : « S’il vous plaît que quelqu’un vienne m’aider ! S’il vous plaît faites vite ! ». J’ai regardé à droite et à gauche. Puis j’ai vu une femme qui voulait entrer dans son appartement en essayant de sauter par le balcon de l’étage supérieur. J’ai compté les étages. Il s’agissait du septième. J’ai commencé à monter les escaliers, en sautant au-dessus de portes effondrées, de barres d’aluminium, de débris de verre et de pans de plafonds. Je montais tout en comptant les étages pour atteindre le 7ème. J’ai vu à ce moment-là, 5 lignes rouges parallèles sur le mur et je me suis dit pour me rassurer : « C’est bon, la personne qui a tracé ses lignes avec son sang a au moins survécu à ses blessures.

Le septième étage

« Madame, madame, je suis là », ai-je crié en arrivant. La dame m’a répondu en suppliant : « S’il vous plaît, venez par ici, ma fille est enfermée à l’intérieur. La porte s’est refermée violemment et Jane ne me répond pas. Mon Dieu faites quelque chose ! ». J’ai franchi les meubles détruits par terre pour atteindre la porte en question. Je me suis dit : je ne vais quand même pas trouver une personne qu’il est impossible d’aider. Mon Dieu, s’il vous plaît, ne me faites pas cela, pas maintenant ! » J’ai crié : « Jane, si vous m’entendez, éloignez-vous de la porte ! ».

J’ai ensuite secoué la poignée jusqu’à parvenir à ouvrir la porte. À ma droite, une jeune fille d’une vingtaine d’année, aux cheveux châtains était allongée sur le sol. Son teint était pâle et ses yeux fermés. Il n’y avait pas de sang sur son corps, mais son genou était défoncé. Derrière moi, la mère criait, croyant sa fille morte. J’ai touché le poignet de Jane, le pouls était faible, mais bien là. « Rassurez-vous madame, elle est vivante », ai-je dit à la mère. Avant de dénicher une serviette et de l’asperger d’alcool. Je l’ai ensuite mise sur le nez de la jeune fille, tout en l’appelant. Elle a ouvert les yeux. A ce moment-là, j’ai oublié ces images de fin du monde et je me suis contenté de lui demander : « Comment vous appelez-vous ? ».

« Jennifer », a-t-elle répondu. Je me suis aussitôt tourné vers la mère en lui disant : « Vous voyez, elle va bien. C’est une héroïne ! ». Puis je me suis de nouveau approché de Jane qui s’accrochait à la serviette trempée d’alcool pour caler son cou. Je l’ai regardée ensuite dans les yeux et je lui ai dit : « Voilà, je vous fais un grand sourire. Faites-moi confiance, grande héroïne ! ». Je n’ai pas réussi à la bouger et j’étais très inquiet pour son genou. Je l’étais aussi encore plus au sujet de son transport surtout qu’elle devait être portée depuis les sept étages, à travers des escaliers détruits. Mais plus grave, je me suis demandé quel hôpital allait pouvoir l’accueillir... Je me posais ces questions, en essayant de faire pression sur sa main pour qu’elle reste éveillée, lorsque soudain, un proche de la famille s’est précipité à travers la porte. Je me suis alors senti rassuré. Elles n’étaient plus seules et je pouvais donc me diriger vers une autre mission, dans un coin que je ne connaissais pas...

J’ai raconté cette histoire à mes amis et à ma famille de nombreuses fois. Je l’ai aussi racontée à tous ceux qui m’ont demandé des détails sur les moments vécus lorsque je me suis porté volontaire pour aider dans ces quartiers sinistrés. Je me dévouais sans relâche, ne prenant un peu de repos que la nuit. Il y avait tant à faire et je ne voulais pas perdre une minute... sans jamais songer à une récompense.

Beyrouth, vu par un volontaire

Ghadi Bechnak

Mont-Liban

D’une ville de tourisme, d’amour et de joie de vivre, à une ville de désastre, de décombres et de larmes. Après l’explosion du 4 août qui a détruit chaque fenêtre, chaque porte et tout espoir à des kilomètres de l’endroit de l’explosion, Beyrouth est devenue un champ de ruines.

En tant que volontaire dès le premier instant qui a suivi l’explosion, je souffre quand je vois une partie de mon cœur verser du sang innocent en raison de la corruption et de l’incurie du gouvernement.

En venant de la montagne pour aider tous mes frères libanais, j’ai aperçu un aspect du Liban que je n’avais pas vu depuis longtemps. En plus des cœurs brisés, du grand besoin d’argent pour les réparations, des larmes des blessés physiquement et psychiquement, j’ai vu de l’espoir et l’unité d’une nation qui craignait la guerre civile. Les gens ramassaient Beyrouth, une pièce après l’autre. Ils déblayaient ce qui fut un chantre de l’économie, en espérant édifier à l’intention des Libanais patriotes, un État qui ne soit ni endetté, ni corrompu.

Venez qu’on construise une nouvelle nation pour les gens qui méritent ce pays et qui ne l’ont pas détruit.

Venez qu’on libère les esprits de tout ce qui nous a mené jusqu’ici.

Venez qu’on construise un État sans obstacles ni contraintes.

Venez qu’on verse des larmes de joie et d’espoir dans un pays où les gens aiment vivre.


Et l’espoir demeure…

Sandra Chehayeb

Mont-Liban

Depuis quelques mois, à l’université, j’ai consacré plusieurs poèmes en langue anglaise à la ville de Beyrouth. J’ai composé des poèmes qui décrivent tous ses détails. Ses bâtiments anciens et nouveaux. Ses rues, et cet esprit poétique qui imprègne le moindre de ses recoins.

L’habitante de la montagne que je suis a toujours ressenti une attirance particulière envers cette ville. J’avais échafaudé un plan sur ce que serait ma vie, mon parcours, mon avenir à Beyrouth.

Aujourd’hui, s’il me fallait décrire la première semaine qui a suivi l’explosion, je dirais que les jours se suivaient et se ressemblaient. Je me réveillais. Je prenais le bus. Je me rendais à Beyrouth. Nous nous répartitions en groupes. Nous participions aux aides et aux secours. Nous rentrions à la maison. Le groupe qui faisait l’aller-retour quotidien de Aley à Beyrouth comptait de nombreux participants. Nous prenions les précautions nécessaires, nous assurant d’avoir des masques et des gels hydroalcooliques à tout moment.

Je dois avouer que je n’étais pas très concentrée en cette période, tout ce qui m’importait était d’aider autrui. J’ai proposé mes services les premiers secours, en ma qualité d’étudiante infirmière. J’ai aidé à lever des portes et des fenêtres brisées, à nettoyer les taches de sang sur les lits ou sur le sol.

En cette première semaine, j’ai perdu toute sensation, tant j’étais absorbée par le bruit du verre brisé en train d’être balayé. Ce n’est que plusieurs jours plus tard que j’ai soudain compris : Beyrouth est désormais, dans nos souvenirs comme dans nos rêves, dévastée. Je ne crois pas que les mots peuvent décrire cet effroyable sentiment.

Mais, par la force de la jeunesse, l’espoir demeure. Nous avons l’espoir de rebâtir Beyrouth.


Est-ce ainsi que l’on traite Beyrouth ?

Doja Mkahal

Beyrouth, premier cri de la mer, comme l’a dit le poète Mahmoud Darwiche, et Dame du monde comme le chantait le grand Nizar… Beyrouth de la modernité, de l'art et de la civilisation… Beyrouth a pleuré de douleur, et combien dur est le cri des grandes villes. Est-ce ainsi que l’on traite Beyrouth ? Est-ce ainsi que l’on traite les grandes métropoles ? « Je n'ai pas pu voir ce qui t’est arrivé, ô Beyrouth, tes maisons, tes gens, tes avenues, tes rues et tout ce que tu as subi. Le lendemain du jour de l’accident, je n’ai pu m’empêcher de donner toute mon énergie et mes efforts pour quelque aide que ce soit, même si mon énergie s’est brisée lorsque je t’ai vue détruite, ô Beyrouth. Mais je l’ai vite récupérée, parce que je croyais que personne n’allait ramasser tes ruines à part tes jeunes, tes proches, et quiconque porte en lui les beaux souvenirs de tes rues. Ceux-là seuls peuvent te ramener à la vie. En tant que volontaires, nous nous sommes fixés un délai d'une semaine pour panser tes plaies et essuyer tes larmes, ô Beyrouth. Ramasser les décombres, nettoyer tes routes au balai et à la pelle, le tout porté à même les épaules de jeunes filles et garçons, engagés à gommer cette laideur qui t’a défigurée, ô douce Beyrouth, parce que tu le vaux bien !

« Personne ne peut t’assassiner, ni jamais effacer ton sourire, ô Beyrouth. Ils en ont été capables un jour ou deux, mais tu nous reviendras comme avant… Pour la civilisation, pour la mer bleue, pour les gens qui ont côtoyé la culture et appris l'art dans cette grande ville ».

Pardonne-nous, ô Beyrouth… Pardonne-nous.


Une tragédie indescriptible

Ramona Khoury

C’est l’un de ces souvenirs qui s’accroche à la mémoire pour devenir un cauchemar. Quelques minutes, quelques secondes pèsent parfois plus que des années entières.

C’était une journée ordinaire. J’étais au dépôt de l’association où je travaille. J’étais particulièrement enthousiaste ce jour-là, un sentiment qui s’est évaporé en un instant, me laissant perdue, déroutée. J’étais comme déconnectée de la réalité. Est-ce un tremblement de terre ? Une explosion ? Une tornade ?

J’ai grimpé quatre à quatre les escaliers interminables du dépôt pour retrouver mes collègues, pour voir s’il y avait encore une vie dans ce chaos indescriptible. Je pouvais entendre les battements de mon cœur, chargés d’inquiétude. Quelle tragédie ! Un voile sombre venait d’envelopper l’espoir de noirceur. Je devais appeler ma famille, mes amis, tous ceux que j’aime pour m’assurer qu’ils étaient encore en vie…J’étais bouleversée.

Le lendemain, j’ai fait une tournée à pied dans les ruelles de Beyrouth. Je cherchais, la main sur le cœur, les petits enfants qui n’avaient de mère que la rue…


Du simple devoir à la fraternité

Darine Darwiche

Lorsque l'explosion s'est produite, nous avons du coup été tous envahis par la peur. Puis par le sentiment immédiat de vouloir aller directement sur le site de l'explosion et se précipiter pour aider. Malgré la mauvaise situation sanitaire, le sens des responsabilités a saisi tout le monde, et j’étais moi-même l’un d’entre eux.

On peut dire que notre état psychologique après l'explosion nous a incités à penser de façon négative, et cela nous a également tous affectés, en particulier les riverains du port de Beyrouth.

Mais à l’arrivée dans les zones touchées, votre langue se retrouve incapable d’exprimer ou de comprendre l'ampleur des pertes humaines et matérielles ! Ce qui étonne, c'est que malgré la tragédie omniprésente, on voit des habitants aider ceux qui sont encore plus touchés qu’eux.

Tout cela vous pousse à oublier la peur et à apprendre la force des habitants de Beyrouth. Vous voyez aussi votre sentiment du simple devoir enfin libéré et devenir fraternité et appartenance.


Beyrouth, ma ville

Hassan Chamoun
Nabatiyé

Ce fut une tragédie pour le Liban. Je n’aimais pas me rendre à Beyrouth. Mais après avoir connu l’esprit de ses habitants, je suis tombé amoureux de cette ville. Nous travaillions avec des inconnus de communautés, milieux et villages différents, comme si nous formions une même famille. Je ne me suis jamais senti en sécurité dans une ville, victime de surcroît d’une explosion, comme je l’ai senti à Beyrouth. Et ceci, à cause de la nature de la population et de l’unité qui est née de cette tragédie. Bien que je sois natif de Nabatiyé, je sens aujourd’hui que Beyrouth est bien ma ville.


Beyrouth... née à partir des décombres

Perla Rahy

Beyrouth que mes yeux ont vue n'est pas la Dame du monde. La Dame est redevenue une enfant dans un monde d'enfance misérable. Ses traits sont passés d'une vieille femme solide, cohérente et résistante à une enfant fragile, obstinée et affaiblie. Son visage a pâli, son rire s'est assombri et son innocence s’est dissipée. Après avoir abrité les milliers, elle est aujourd’hui une enfant sans abri, versant des larmes de sang dans les décombres. Est-ce ainsi que se définit l’enfance ? Celui qui donne naissance à une enfant privée de vie la verra inévitablement s'indigner et se révolter un jour contre lui. Mais Beyrouth n'a pas été en reste. Ses jeunes ont balayé ses cendres et tentent toujours de faire de sa malheureuse naissance une résurrection et un renouveau pour leur patrie. Elle grandira sous leurs mains, et son cœur battra au rythme de la révolution. Ne reste plus à « l'enfant Beyrouth » qu’à apprendre l'importance de la reddition des comptes pour devenir une Dame invincible.


Une lueur d’espoir…

Fatima NAÏM

Le 5 août, au lendemain de l’explosion du port, Beyrouth, la capitale, ne s’est pas réveillée à la voix de Feyrouz, mais plutôt sur fond des lamentations des mères et des sanglots des pères. Quant à moi, je me suis réveillée avec une douleur à la poitrine et une voix intérieure qui me disait : « Arrête de pleurer. Lève-toi et trouve-toi un moyen pour aider. »

Je me suis dirigée vers la place des Martyrs, où plusieurs jeunes, hommes et femmes, étaient réunis pour apporter une aide, selon les capacités de chacun. Nous avons été divisés en trois groupes. Le premier a été chargé d’enlever les gravats et les débris, le deuxième de distribuer la nourriture, alors que le troisième groupe rassemblait les produits paramédicaux. J’ai rejoint le premier groupe et j’ai attendu mon tour pour obtenir un balai et des gants similaires à ceux utilisés sur les chantiers de construction, ainsi qu’un casque pour me protéger la tête. Mon attente fut longue. Les équipements ne suffisaient pas pour tout le monde. Nous avons eu du mal à trouver quelqu’un qui en faisait don. Après trois heures d’attente, une voiture chargée de ce matériel est arrivée et j’ai pu récupérer mes outils de travail.

Je me suis rendue avec un groupe de filles dans la région de Jeïtaoui. Une fois arrivées, j’ai été choqué par la scène. Comme si l’univers s’était arrêté pendant un moment. Est-ce vraiment la même ville qui bourdonnait de fêtes ? Est-ce les mêmes personnes qui n’ont jamais perdu le sourire au cours des derniers jours ? Par où allons-nous commencer et comment allons-nous finir ? La douleur est grande et la destruction encore plus. Nous avons commencé par nettoyer la rue qui était jonchée de verres et d’autres objets tombés des maisons, comme le livre d’un homme de 20 ans qui avait dû le lire deux minutes avant l’explosion, le jouet d’une petite fille dont j’ignore le sort, et le médicament d’une vieille femme qui, probablement, n’avait pas les moyens de s’acheter autre chose.

Après un certain temps de travail, l’heure était venue de remettre les outils à quelqu’un d’autre, qui n’avait pas encore eu la chance d’aider. Je suis partie, les larmes coulant tout au long de mes joues. Toute personne qui a visité Beyrouth sait qu’elle est la belle épouse du Liban et une Dame qui ne vieillit pas, malgré les jours de tempête. Mais maintenant, la mariée a perdu son époux et la Dame a pris un coup de vieux…

Cependant dans chaque catastrophe, il y a une lueur d’espoir. Cet espoir, je l’ai vu dans les yeux du jeune homme qui nous a offert à manger et des automobilistes qui nous ont généreusement fourni de l’eau ou qui, du moins, nous ont lancé un gentil mot d’appréciation pour le travail assidu que nous faisions…


Quelque chose en nous s'est brisé

Ghinwa Melhem

Petromin – Koura

Je m'appelle Ghinwa Melhem, j'ai 19 ans, et je suis en 3ème année universitaire. Je suis étudiante en physiothérapie et j'habite à Petromin-Koura.

Le 4 août, je me trouvais à Jbeil à 6h08. J'ai entendu deux fortes détonations, et je pensais que quelque chose s'était passé dans la localité même. En même pas cinq minutes, mon père et ma mère ont commencé à m'appeler insistant pour que je rentre immédiatement à la maison. Les deux détonations sont restées mystérieuses pour moi, et je n’en connaissais ni la raison ni la source. Les nouvelles et les spéculations se sont rapidement succédé jusqu'à ce que je rentre chez moi, et j'ai pu alors constater à quel point l'explosion était puissante. Je me suis aussitôt arrêtée net : « C’est quoi ce désastre ! ».

Le lendemain, après avoir vu toute la dévastation sur les réseaux sociaux, j'ai ressenti quelque chose d'étrange en moi, comme une boule qui me nouait l’estomac. Je participe toujours à des activités sportives humanistes (comme le basket-ball en fauteuil roulant) ou à toute aide dont les gens ont besoin. Mais cette fois, c'était différent. Je sentais qu'il y avait un devoir national qui m'appelait, aussi important que le devoir humanitaire. J'ai appelé mon père pour lui dire que je voulais aller à Beyrouth. Il a d'abord hésité à cause de la distance et de la situation sanitaire, mais il a finalement accepté et m'a acheté une paire de gants épais.

Le jour suivant, je me suis réveillée à cinq heures du matin, je me suis préparée et suis allée à Batroun. Là, je me suis intégrée à un groupe et nous nous sommes tous dirigés vers Beyrouth.

Lorsque nous avons entamé notre plongée dans les zones touchées, j’ai perçu l’ampleur des destructions et senti l’angoisse augmenter à mesure que nous avancions vers les zones dévastées.

Je suis arrivée à l'hôpital Jeïtaoui, encore sous le choc de ce que je venais de voir. J’aperçois aussitôt le bâtiment, ou plutôt le lieu dans lequel un patient est normalement censé se sentir rassuré par la disponibilité des services qui contribuent à son rétablissement. Ce lieu est quasiment détruit. Il y a du sang dans les cages d’escalier, des bris de verre partout, sur les lits des malades, dans les urgences où les cas sont reçus pour être traités rapidement ou en attendant d’être hospitalisés… Tout est dévasté.

Le nettoyage a commencé. Nous étions tous, jeunes filles et garçons, parfaitement soudés, montant un étage après l’autre, investissant chambre après chambre. Nous avons pu ressentir l’ampleur de l’épouvante qui avait saisi ce lieu au moment de l'explosion.

Après cela, je suis allée au centre « Appui » à Achrafieh. C'est un centre de physiothérapie/orthopédagogie/orthophonie et dortoir. J'ai été arrêtée par quelque chose que je ne pourrai oublier. Il y avait un bureau tout en verre, et sous le souffle de l'explosion, des morceaux de verre étaient restés coincés dans le mur en face, le criblant de petits trous. J'imaginais juste s'il y avait eu là un adulte ou un petit garçon… Le verre aurait pu le blesser.

Les chambres des dortoirs étaient toutes dévastées et en ruines…

Au moment de la pause, j'ai trouvé que mon front était recouvert de poussière de verre. Qu’en était-il alors des victimes littéralement déchiquetées ?

Je me suis arrêtée, à l’écoute des histoires des gens dans les quartiers. J’ai vu des blessés prostrés devant leur habitation détruite, assis dehors sur une chaise, et une femme qui a perdu à la fois sa famille et sa demeure. Elle n’avait pour tout bagage qu'un sac qu'elle emportait pour aller habiter chez sa sœur.

Face à tout cela, mes larmes me trahissaient.

Quand j’allais à Beyrouth, je ne pensais pas à la distance, au danger, bien que je prenais le bus sur le chemin du retour et que je n'avais pas peur. La distance dans une même patrie est une, et nous sommes tous unis à travers le Liban quand quoi que ce soit affecte la patrie.

Les circonstances ne m'ont pas permis d’aller souvent à Beyrouth. Mais je n'ai pas abandonné, j'ai participé aux opérations d’aide pour la capitale et j’ai aussi été à l'université. La plupart d'entre nous n'étions pas présents au moment de l'explosion, mais nous avons senti quelque chose qui s’était détruit dans nos cœurs. Le bruit de la déflagration, le craquement des destructions, les cris des mères et des enfants, les larmes des proches des martyrs, ne seront jamais oubliés.

« Je poursuivrais le travail jusqu’à ce que Beyrouth se relève de nouveau »

Dima Kassem

Kobbé, Tripoli

Je m’appelle Dima Kassem. J’ai 19 ans. Je suis originaire de Kobbé, à Tripoli, et je suis étudiante en première année de gestion des affaires à l’Université libanaise. Je suis bénévole dans le cadre de la campagne « Ensemble pour Beyrouth », lancée par l’association Shift et ayant pour but d’atténuer les effets de la terrible explosion du port de Beyrouth, qui a lourdement affectée la région et toute une nation.

Depuis que j’ai entendu parler de ce bénévolat, j’ai été prise d’un énorme élan pour aider dans n’importe quel domaine. J’ai passé le test du premier jour. Depuis lors, je sens que ma présence est importante et que ma participation l’est encore plus, surtout lorsque l’une des victimes m’a dit : « Tu m’as fait oublier mes problèmes. Nous sommes fiers de vous et vous êtes la fierté du Liban ». Cela m’a donné encore plus d’enthousiasme et d’encouragement pour participer à la campagne. Mes conversations quotidiennes tournaient autour de Beyrouth, de l’explosion et des familles affectées. Ce qui a encouragé mes sœurs à prendre part à cette campagne, elles aussi. C’est ainsi que le voyage familial du bénévolat a commencé.

Pour la première fois de ma vie, je participe à un travail de volontariat. Cette expérience m’a beaucoup appris. Elle m’a enrichie et m’a apportée de l’expérience et de nouvelles connaissances, comme l’organisation, le leadership et l’esprit de coopération en société. Aujourd’hui, je suis fière de moi-même en ce qui a trait à sensibiliser mes jeunes sœurs et les encourager à prendre part à de telles initiatives. Je remercie l’association Shift pour son soutien moral et développemental. Je suis persévérante et je poursuivrais le travail dans le cadre de cette campagne jusqu’à ce que Beyrouth se relève de nouveau. J’apprendrai et maîtriserai toutes les activités qui pourraient profiter aux zones affectées.

Du fond du cœur, paix à Beyrouth

Marah Atieh

La maison a été secouée et mon cœur a tremblé de peur. Je me suis précipitée vers la télévision, pensant à un tremblement de terre. Sur le petit écran, c’était une surprise. La majorité des chaînes satellite rapportaient une même histoire : « Une énorme explosion secoue la capitale libanaise, Beyrouth ». Les détails commençaient à être dévoilés. L’explosion était survenue dans le port de la ville. Il m’a semblé qu’un monstre avait avalé et brûlé la mariée du Liban, aspergeant de tristesse et de tragédie nos cœurs brisés avec toi, ô Beyrouth.

Beyrouth est une ville qui a toujours brillé de mille feux, nichée entre la mer endormie et la montagne sur laquelle elle est adossée.

Le lendemain, en plein milieu des événements, j’ai reçu une invitation à rejoindre une initiative de jeunes au centre « al-Jana » à Wadi el-Zeina. L’annonce a clairement indiqué que l’initiative était soutenue par l’Unicef, avec pour objectif celui de panser les blessures et nettoyer les zones dévastées de Beyrouth.

J’ai rejoint l’initiative aux côtés de nombreux jeunes, hommes et femmes. Une fois arrivés dans les zones touchées, j’ai réalisé la différence qui existe entre une image vue à la télévision et une réalité constatée sur le terrain. Les rues des secteurs les plus touchées par l’explosion, comme Gemmayzé, la Quarantaine et Mar Mikhaël, étaient difficiles à décrire. Elles étaient couvertes d’une cendre noire, comme si la terre portait le deuil de notre Beyrouth adorée. J’ai vu des habitations dont les murs se sont effondrés, dressées au milieu de nulle part. Le verre était éparpillé partout. Les cris des mères à la télévision et leurs gémissements dans les maisons lorsque nous sommes entrés m’ont transpercé les tympans. Des années de dur labeur, disparues en un instant.

Peut-être que notre présence en tant que volontaires dans le cadre de cette initiative – ainsi que d’autres initiatives lancées par diverses régions, religions et communautés – a contribué à atténuer les blessures de Beyrouth et de ses habitants. Dans une maison dont les propriétaires ont perdu leur seul abri, les visages des jeunes sont devenus eux-mêmes un abri, ne serait-ce que moral. Ces familles ont senti qu’elles n’étaient pas laissées à leur propre compte et qu’un groupe comme le nôtre, composé de Palestiniens, de Libanais et de Syriens, a nettoyé les rues et les maisons, déblayé les décombres et essuyé une larme sur la joue d’une mère qui souhaitait pouvoir nous embrasser, un par un, comme elle l’a confié.

Le spectacle m’a affectée. C’est comme si une partie de moi a été martyrisée. Malgré tous les événements douloureux, nous sommes restés unis, nous soutenant les uns les autres. Beyrouth, nos maisons sont ouvertes pour tes habitants.

Ô Beyrouth. Je suis une fille venue d’un camp. J’ai vécu en tant que réfugiée palestinienne en Syrie et je suis venue au Liban pour échapper à la guerre. Beyrouth, ce qui t’es arrivé est une tragédie. C’est comme si c’était la guerre… Et toi, Beyrouth… Ô Beyrouth, tu es habituée aussi bien à l’amour qu’à la guerre… Comme tu nous as fait souffrir, Beyrouth… Comme nous t’aimons, Beyrouth…

Du fond du cœur, paix à Beyrouth…

Beyrouth, ville sinistrée

Anthony Feghali, 20 ans

Achrafieh, Beyrouth

5 août 2020, premier jour après une nuit noire où nous n'avons pas pu dormir. Premier jour après la dévastation qui a affligé la ville de Beyrouth, provoquant de grands dégâts dans la capitale. Je n'ai pas hésité à me rendre à la rue Mar Mikhaël et à Gemmayzé pour aider, même si j’habite dans le quartier d'Achrafieh et que ma maison a été gravement endommagée.

Mar Mikhaël et Gemmayzé n'étaient pas comme à leur habitude. Ces deux quartiers étaient mornes, une véritable zone sinistrée : des voitures ont été détruites, des bris de verre jonchaient toutes les rues et les habitations ressemblaient à des bâtiments sortis d’une guerre, dépouillés de leurs fenêtres et balcons. Je me demandais si un jour cette zone reviendrait à ce qu'elle était avant la catastrophe et connaîtrait à nouveau la vie nocturne. Nous étions deux et n'avions pas sur nous du matériel de nettoyage, aussi distribuer des produits alimentaires était pour nous le premier moyen par lequel nous pouvions aider les habitants de ces quartiers. Jusqu'au moment où nous avions fait la connaissance d'un certain nombre de jeunes, qui s’étaient également rencontrés dans la rue. Ensemble, nous nous sommes dirigés vers une maison au bout du quartier de Jeïtaoui.

« Vous venez vraiment nous aider sans contrepartie ? ». C'était la première question que l’habitant de la maison détruite a posée. Il était réellement surpris par notre présence et il s’est mis à parler de nous aux voisins.

- « Vous vous êtes parlés et avez amené avec vous des balais ? ».

- « Non monsieur, nous ne nous connaissons pas. Chacun de nous vient d’une région différente, et nous ne sommes pas tous de Beyrouth ».

Effectivement, nous ne nous connaissions que depuis quelques minutes, et les jeunes filles et garçons présents sur le terrain étaient réellement originaires de toutes les régions et appartenaient à toutes les confessions. Tous joignent leurs efforts en vue de redonner à Beyrouth son aspect d’avant. C’est la première fois que je vois ma ville dans cet état : des dégâts et des destructions dans tous les quartiers. Et c’est ce sentiment qui nous a poussés à proposer notre aide tout au long de la semaine. L’État c’est le peuple, et c’est cet État que souhaite chaque citoyen.

Une phrase que j’ai entendue durant toute mon enfance me revient : « Que peut donner une génération paresseuse, une jeunesse pendue toute la journée au téléphone ? ». Cette génération est aujourd’hui en train de rebâtir Beyrouth, et elle poursuivra le travail jusqu’à ce que Beyrouth devienne pour de bon la Suisse de l’Orient.



Dans la poussière et les bris de vitres... Nassim S. Zoueini
Achrafieh, 25 ans après.
- « Allo maman ? Il y a une grande explosion à Beyrouth. Mais je suis indemne ».
- « Quoi ? ».
- « Il y a eu une explosion à Beyrouth, mais je n’ai rien ! ».
- « Mon Dieu ! Je viens d’entendre le bruit ! Es-tu sûr que tu n’as rien ? ».
- « Oui, oui, c’est pour cela que je...

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