Il est vrai que depuis quelque temps, nul, dans le monde politique et diplomatique, n’ignorait que le Trésor américain allait imposer des sanctions contre des personnalités politiques proches du Hezbollah. Mais nul n’imaginait que cela tomberait sur deux anciens ministres qui sont, certes, dans la mouvance du 8 Mars et donc indirectement celle du Hezbollah, mais qui sont surtout proches du président de la Chambre, Nabih Berry.
Le secrétaire d’État adjoint pour les Affaires du Proche-Orient, David Schenker, a eu beau expliquer, dans une interview conjointe à plusieurs médias libanais, qu’il s’agit pour Washington de sanctionner des personnalités impliquées dans la corruption et qui ont utilisé leur pouvoir pour aider le Hezbollah, il n’en demeure pas moins que le principal visé est aujourd’hui M. Berry. D’abord parce que l’ancien ministre Ali Hassan Khalil occupe la fonction d’adjoint politique, tout en étant un membre influent du mouvement Amal présidé par Nabih Berry lui-même, et ensuite parce que l’ancien ministre des Transports, Youssef Fenianos, qui est membre du courant des Marada de Sleiman Frangié, est aussi un des canaux de contact privilégiés entre ce courant et le président de l’Assemblée nationale. L’administration américaine a donc décidé de frapper fort et directement, tant par l’importance des personnalités visées que par le message politique qui est transmis en filigrane à travers ces sanctions.
Le premier message se traduit ainsi : nous n’hésiterons pas à frapper fort et nul n’est à l’abri de nos sanctions. Mais en choisissant Youssef Fenianos et Ali Hassan Khalil, il y a plus que cela. Que les accusations de corruption qui sont adressées à ces deux personnalités soient vraies ou non, le choix va bien au-delà. Pour l’ancien ministre des Transports Youssef Fenianos, l’administration américaine montre qu’elle n’a pas oublié le rôle qu’il a joué lors de l’enquête sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, auprès notamment de certains enquêteurs, en essayant, selon les Américains, d’orienter l’enquête vers des pistes différentes de celles qu’elle suivait. À travers sa mise en cause, les Américains règlent donc de vieux comptes et, en même temps, montrent que, dans leur optique, le « châtiment » arrive inéluctablement, même s’il a du retard. En même temps, le ministère du Trésor américain envoie un avertissement au CPL et au chef de l’État, ainsi qu’à toutes les parties chrétiennes proches du Hezbollah, pour leur annoncer clairement qu’il ne craint pas de toucher à eux quels que soient leurs fonctions ou leurs responsabilités.
Mais le message le plus direct est essentiellement adressé au président de la Chambre Nabih Berry, qui occupe traditionnellement le rôle d’interlocuteur chiite privilégié de l’Occident, par opposition au Hezbollah considéré comme une organisation terroriste par de nombreux pays. C’est d’ailleurs justement à ce niveau que la décision d’imposer des sanctions à son plus proche collaborateur et homme-clé, notamment au niveau des relations avec les autres composantes politiques du pays, est surprenante. Le rôle d’interlocuteur chiite agréé par les Américains que remplit M. Berry depuis des décennies serait-il désormais devenu obsolète ? C’est la question qui hantait hier les proches de Aïn el-Tiné, mais aussi les milieux politiques en général. Indépendamment de ce que l’on peut penser du président de la Chambre, cette menace directe que constituent les sanctions sur Ali Hassan Khalil équivaut à un véritable séisme politique, tant Nabih Berry est devenu incontournable sur la scène politique interne. Toutes les décisions prises doivent obtenir son aval et lorsqu’il n’est pas d’accord, rien ne peut être décidé. Un dernier exemple a été donné lorsque après avoir eu plusieurs différends avec le Premier ministre Hassane Diab, il a finalement réussi à le pousser vers la démission, en décidant de convoquer le Parlement le 13 août à une séance de question au gouvernement qui devait aboutir à sa chute, sous prétexte que M. Diab avait appelé à l’organisation d’élections législatives anticipées, dépassant ainsi ses prérogatives et menaçant les équilibres mis en place depuis Taëf. Pour éviter ce scénario, Hassane Diab avait donc préféré annoncer sa démission le 10 août.
En poste au perchoir depuis 1992 et ayant auparavant occupé plusieurs fonctions ministérielles, Nabih Berry (et avec lui Ali Hassan Khalil) connaît donc tous les rouages de l’État et contrôle de nombreuses ficelles, au point qu’il joue un rôle de premier plan, étant ainsi le pivot du camp du 8 Mars, tout en ayant d’excellentes relations avec le chef du PSP, Walid Joumblatt, le chef du courant du Futur Saad Hariri et même avec les Forces libanaises. Sur le plan international, il faut rappeler que lors de sa dernière visite au Liban, David Schenker, qui avait refusé de rencontrer les responsables libanais, avait malgré tout consacré du temps à une rencontre avec le conseiller médias de Berry. On avait eu beau dire, à ce moment-là, que cette exception était destinée à préparer la prochaine visite du secrétaire d’État adjoint pour le Proche-Orient à Beyrouth, dans le courant du mois, qui devrait être consacrée au dossier du tracé de la frontière maritime entre le Liban et Israël, mais les milieux politiques et médiatiques l’avaient aussi interprétée comme un signe de la place privilégiée qu’occupe M. Berry auprès des autorités américaines.
C’est dans ce sens que les sanctions annoncées hier ont constitué une véritable surprise. Les milieux proches d’Amal établissent justement un lien entre cette décision du Trésor américain et les négociations sur le tracé des frontières, dans le sens d’exercer des pressions sur le président de la Chambre, en charge de ce dossier, afin d’accélérer l’aboutissement d’un accord qui permettrait aux Israéliens d’exploiter les ressources pétrolières et gazières dans la zone conflictuelle en toute sérénité.
D’autres milieux politiques estiment que la décision américaine est destinée à compliquer les négociations pour la formation du gouvernement et représente ainsi un coup porté à l’initiative française notamment au niveau du calendrier-programme annoncé par le président Macron. Mais, pour certains, au contraire, les sanctions seraient peut-être destinées à pousser les chiites à renoncer au portefeuille des Finances.
Quelle que soit l’interprétation faite de la portée de la décision américaine, celle-ci a mélangé les cartes internes libanaises. À ce sujet, les condamnations hier sont restées plutôt timides, exception faite de celles du mouvement Amal et du mufti jaafarite...
Attendez ! vous écriviez pas plus tard qu'hier que l'axe Resisto-Moumanaao-Machin était en train de gagner discrètement la partie... et maintenant vous capitulez en rase campagne ?? Allons, allons, je suis sur que le Sayyed vous sortira bien vite de ce mauvais pas LOOOOOOL
14 h 20, le 10 septembre 2020