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Lifestyle - Portrait

Janis Sarraf photographie l’espoir

Comme pour laver un peu nos regards saturés de fumée, de poussière, de verre et de sang, une image puissante, de tendresse et d’espoir cette fois, a fait le tour du monde : celle de « bébé Georges », l’enfant miracle, reliant les deux syllabes de Beyrouth dans une photo de Janis Sarraf.

Janis Sarraf photographie l’espoir

Georges reliant les deux syllabes de Beyrouth.

Elle aurait pu être mannequin avec sa taille altière et ses traits parfaits, mais elle a choisi l’autre côté de l’objectif. Enfant timide, démesurément attachée à sa mère, Janis Sarraf découvre sa vocation de photographe à l’âge de dix ans, quand elle reçoit sa première caméra. Ce déclencheur, somme toute banal dans tout parcours de preneur d’images, s’accompagne pourtant de persévérance. Sans cesse la jeune femme développe ses techniques, en invente de nouvelles, se sert de l’objectif pour idéaliser un réel qu’entre filtres et cadrages elle teinte de glamour et de douce nostalgie. Bien qu’éloignée de la photographie brute dans un monde qui consomme et remâche les images douloureuses jusqu’à les dépouiller de toute émotion, la production de Janis Sarraf, certes manucurée, ne manque jamais de toucher en nous les rares fibres qui peuvent encore sourire.

À l’âge d’entrer à l’université, elle choisit le design graphique qu’elle étudie à LAU avant de poursuivre son master en photographie à Milan. L’époque est aux derniers feux des magazines de mode qui avalent sans répit des kilomètres de pellicule numérique. La jeune artiste fait ses premiers pas dans le magazine de la holding familiale Malia Group, encouragée par un père dont le talent est de mettre à profit le talent de chacun dans l’effort collectif. Elle fait merveille avec des shoots à la fois naturels et sophistiqués, une touche Harcourt à la sauce 2000.

Georges conjurant le champignon chimique.

Parler à l’oreille des nouveau-nés

Le véritable tournant de sa carrière survient quand naît son premier enfant, Adriana. La fillette devient aussitôt la muse de sa maman qui charge son objectif de bonheur et d’amour pour saisir le moindre instant de cette période si fugitive du premier âge : « J’ai tout appris avec elle, et avant tout, la patience qu’exige le métier de parent. J’ai été ma première cliente ! » confie la photographe qui ouvre son studio personnel en 2007, à l’insistance de ses professeurs d’université et de ses proches. Les clichés publiés sur son compte Instagram, suivi par près de 37 000 abonnés, lui attirent des clients de partout, souvent exprimant leur impatience de se rendre à Beyrouth pour y faire photographier leurs enfants sous l’objectif de Janis. Très vite, elle se partage entre deux espaces, l’un dédié aux nouveau-nés dans son propre appartement, l’autre dans l’immeuble de Malia, où elle accueille les particuliers, familles et femmes enceintes. Dans sa maison, elle installe ses palettes qu’elle compose au gré de ses inspirations. Véritables petits nids, concentrés d’univers poétiques traversés de licornes et d’arcs-en ciel, ces carrés de bonheur, tapissés de matière duveteuse, réinventent les bébés en personnages de conte. Au gré des saisons, les palettes évoluent du pastel au fauve, de l’éthéré à l’automnal. L’inspiration de la photographe Ann Geddes n’est pas loin. Première à immortaliser les débuts de la vie en mettant en scène des nouveau-nés, le plus souvent dans un univers végétal, l’Australienne a lancé une thématique que de nombreux artistes ont par la suite développée. Mais ne parle pas à l’oreille des nouveau-nés qui veut. Janis Sarraf a dû apprendre avec Adriana les gestes qui mettent les petits êtres en confiance, les incitent à l’abandon. Une caresse entre les yeux, une manière de bercer, d’envelopper de chaleur douce, d’emmailloter en position fœtale, un bruit blanc imitant le bain sonore amniotique… et tout à coup, l’enfant s’endort comme dans un cocon, absorbé dans un rêve heureux.

Nabil, « Rêvons ensemble sous les étoiles ».

Georges, ou le premier miracle

Ainsi allait la vie de Janis Sarraf, désormais maman de trois enfants qu’elle continue à photographier d’un objectif amusé, partageant encore et encore leurs sourires, leurs petits chagrins, leur inventivité et l’extraordinaire vitalité de leur âge. Vint l’explosion. Tout comme l’innombrable foule de ceux qui ont subi d’énormes dégâts, la photographe passe sous un silence pudique les fenêtres envolées, les murs éventrés et les meubles détruits. Les survivants n’évoquent pas ces choses. En revanche, elle brûle d’apporter sa contribution à la consolation collective, d’ouvrir dans sa chambre noire un puits de lumière et d’espoir. L’occasion se présente d’elle-même quand les parents du petit Georges, l’enfant miracle né au moment même où Beyrouth s’effaçait, la contactent trois jours après le drame. Georges est arrivé à l’instant où sa maman, en fin de travail, était déjà ensevelie sous les vitres brisées de la maternité. Son papa croyait filmer le bonheur ordinaire de tout couple à l’apparition de son premier enfant. Il s’est retrouvé documentant la tragédie de toute une ville, anéantie en quelques secondes. Georges donc – et Janis qui secoue ses talents de graphiste – invente les icônes de la tempête provoquée par l’explosion, transforme les bris de verre en étoiles, et en vagues le souffle maléfique, fait apparaître une nouvelle calligraphie de Beyrouth, blanc espoir sur fond rouge sang. Au cœur de cette mise en scène où la douleur ne saute pas tout de suite aux yeux, Georges, enveloppé de toile imitant la gaze, vient panser, en incarnant l’espérance, les deux syllabes de la ville que de son petit corps, dessinant la voyelle waw en arabe, il rattache l’une à l’autre. Aussi vrai qu’une naissance est peut-être ce que la vie fait de mieux pour nous permettre d’entrevoir l’avenir, d’autres bébés miracles se succéderont au studio relocalisé de Janis. John arrive 14 jours après l’explosion. Enroulé dans une étoffe rouge, il dort paisiblement sous un arc-en-ciel et des mots, ponctués d’un cœur frappé du drapeau libanais, qui disent : « Ici est la maison. » Viendra ensuite Nabil 25 jours après l’explosion. Il sera placé sous le vocable du rêve : « Rêvons ensemble sous les étoiles », dit l’affiche sur laquelle il s’endort serein. Sans doute le rêve est-il la première énergie à réactiver en ces temps d’horizon fermé.

Elle aurait pu être mannequin avec sa taille altière et ses traits parfaits, mais elle a choisi l’autre côté de l’objectif. Enfant timide, démesurément attachée à sa mère, Janis Sarraf découvre sa vocation de photographe à l’âge de dix ans, quand elle reçoit sa première caméra. Ce déclencheur, somme toute banal dans tout parcours de preneur d’images, s’accompagne...

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