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À mon amour

À mon amour

D.R.

Une double et terrible déflagration se fait entendre dans Beyrouth en ce 4 août 2020, accompagnée d’un souffle très grave. Mon immeuble est complètement secoué. Tétanisée, je reste clouée sur place. Une colonne de feu s’élance dans le ciel suivi d’un énorme champignon de fumée noire avec des tons rougeâtres. Sa vue ramène de l’oubli le champignon de l’explosion dévastatrice du film Hiroshima mon amour d’Alain Resnais, scénario de Marguerite Duras qui a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le ciel cinématographique.

Une quête s’installe en moi doublée d’une grande colère : pourquoi Beyrouth ? Quelle est la cause ? Pourquoi cette mise à feu et à sang ? Puis commence sur les médias le défilé de l’extermination d’une ville tant aimée avec l’impossibilité de décrire l’indicible et l’impossibilité de comprendre.

De cette ville sinistrée, il ne reste que des squelettes d’immeuble, des carcasses de voiture, des corps ôtés à la vie, un paysage apocalyptique. Ville complètement démolie avec son patrimoine, ses musées et ses rues historiques. La force cataclysmique de l’explosion provoque l’effondrement de multitudes d’immeubles, de maisons traditionnelles, de luxueux hôtels et de charmants restaurants, des universités, des écoles, des ateliers d’artiste et des boutiques. Une atteinte cruciale à l’environnement et au paysage urbain.

Révolté depuis le 17 octobre 2019, le peuple libanais souffre d’une crise sans précédent. La corruption mène à une faillite qui vient s’ajouter à la crise de l’épidémie du Covid-19. Les gens s’appauvrissent et perdent leur travail. Un grand pourcentage de Libanais est à présent sous le seuil de la pauvreté et leur compte en banque est bloqué. Alors qu’en 1963, le Liban comptait parmi les quatre pays les plus prospères de la planète avec la Suisse, l’Allemagne de l’Ouest et les États-Unis. Dans l’établissement de ce rapport, il a été tenu compte du nombre des habitants par rapport au nombre des banques et des dépôts qui proviennent de l’intérieur et de l’étranger. Le Liban est en faillite forcée, orchestrée par la volonté de ses politiciens. Il ne manquait que ce séisme explosif pour briser le reste des rêves de tout un peuple et bloquer ses horizons.

À l’intérieur d’un Orient en ébullition, le Liban est sans conteste le pays qui a connu les bouleversements politiques et géographiques les plus importants. Depuis 1975 une succession de guerres suivies de périodes d’accalmie entrecoupées d’attentats et de voitures piégées. La tension permanente provoque des flux de migrations surtout parmi de jeunes diplômés, éduqués et d’une créativité étonnante. La catastrophe qui s’est abattue dernièrement sur Beyrouth va réactiver une nouvelle vague. Les gens sont dans le désespoir et ne pensent que quitter définitivement le pays. L’importance de cette prochaine émigration est due à la destruction d’une capitale, à la situation politico-économique, mais aussi au tempérament libre du Libanais et son besoin de lever l’ancre et de rejeter toute soumission.

Beyrouth, ville rebelle qui refuse les plans et les modèles imposés. Ville débordante de vie avec sa gastronomie raffinée, sa jeunesse branchée et ses femmes élégantes. La misère ne lui sied pas ! Ville conviviale avec sa douceur de vivre, sa liberté de pensée, sa richesse affichée avec frivolité. Le désespoir ne lui va pas !

Beyrouth, ton attachement dépasse en moi la sublimation des pulsions originelles. Je ne peux cacher l’amertume de te voir réduite à un champ de ruine !

Beyrouth, en ces durs moments, j’ai besoin de ton visage, de ton ciel, de tes bruits et de tes odeurs. Je voudrais fusionner avec tes avenues en souffrance. Je suis envahie par les noms de tes rues à présent défigurées, invivables, détruites. Beyrouth relève-toi de tes décombres ! Relève-toi pour l’amour de la vie.

Une double et terrible déflagration se fait entendre dans Beyrouth en ce 4 août 2020, accompagnée d’un souffle très grave. Mon immeuble est complètement secoué. Tétanisée, je reste clouée sur place. Une colonne de feu s’élance dans le ciel suivi d’un énorme champignon de fumée noire avec des tons rougeâtres. Sa vue ramène de l’oubli le champignon de l’explosion...

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