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Politique - Les Échos de l’Agora

Un kairós appelé Emmanuel Macron

Les Grecs anciens parlaient de « kairós » pour dire : occasion opportune, instant propice mais fugace, momentum, etc. Tous ces termes n’épuisent pas la richesse du sens de ce nom qu’on donnait à la figure d’un dieu représenté en jeune homme aux talons et aux épaules ailés, ayant une longue touffe de cheveux sur la tête. Passant rapidement, très rapidement, il fallait pouvoir attraper son insaisissable chevelure qui flottait au vent. Kairós représente l’instant opportun qui ne repasse pas deux fois. C’est celle du « right time », distincte de celle de Chronos le dieu du « time ». Kairós est hors de la durée qui s’écoule de manière fluide et continue. Il est ce moment unique où le cours des choses du monde converge et se suspend en un point qu’il faut pouvoir discerner. C’est le point de rupture du temps linéaire, grâce à l’action de l’homme libre qui décide de métamorphoser le destin tragique, qui le domine et l’accable, en une histoire dont il est lui-même le sujet et non l’objet. Savoir saisir le kairós en politique consiste en l’art subtil de prendre, avec courage, des décisions douloureuses au bon moment.

L'édito de Michel Touma

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Monsieur Macron, qui vient en ce jour centenaire du Grand Liban, est à l’image de ce kairós ailé qui passe au milieu de Libanais hagards, otages de toutes les occasions manquées de leur histoire récente et dont l’apothéose sinistre eut lieu le 4 août dernier. L’explosion du port de Beyrouth est le résultat de modes criminels de gouvernance qui font fi du politique et de la recherche du bien commun. Qui dit « le » politique dit « le » vivre-ensemble et non la bonne entente d’une loya jirga. Il est clair que le président de la République française n’est pas à Beyrouth pour jouer le médecin-thérapeute au chevet d’un grand malade qui s’obstine à refuser les remèdes que les amis qui lui restent lui recommandent.

Emmanuel Macron est au Liban pour servir les intérêts de son pays en Méditerranée orientale qui est, avec le Levant, la zone de chalandise traditionnelle de l’Europe et son verrou stratégique à l’est. Notre Méditerranée « bouillonne » actuellement, comme au lendemain de la chute de Constantinople en 1453. Notre « mer blanche » était alors un enjeu crucial pour les Ottomans face aux Mamelouks d’Égypte, aux Perses séfévides, à la sérénissime Venise, à la papauté et au Saint Empire. La diplomatie française, dès Louis XII en 1500, sut saisir au vol le kairós et entamer des négociations avec les Ottomans qui seront couronnées en 1536-1537 sous François Ier par les fameux traités des Capitulations qui accordaient des concessions importantes aux Français au sein de l’Empire ottoman. Aujourd’hui, les données géostratégiques en Méditerranée orientale sont encore plus complexes, vu le nombre des acteurs et leurs intérêts divergents. Mais, pour la France d’Emmanuel Macron, le Levant demeure géostratégiquement crucial. Ce n’est donc pas le Liban en soi qui est un enjeu. Pour la France, et l’Union européenne avec elle, l’État libanais est une carte importante dans leur propre stratégie. Après tout, l’UE a une frontière commune avec le Levant au milieu de la mer qui sépare Chypre des côtes levantines.

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Sous les Séfévides, la Perse sunnite choisit politiquement de se convertir au chiisme. Cela s’explique par le fait que la Perse ne pouvait pas être contrôlée à partir de la Méditerranée par le biais du calife à Constantinople. La Méditerranée orientale demeure la « mer supérieure » de la Perse, sa « mer inférieure » étant le Golfe. Emmanuel Macron réussira-t-il à stabiliser le pouvoir libanais et à protéger la façade maritime du pays de toute hégémonie venue de la profondeur du continent ?

Mais la visite d’Emmanuel Macron s’inscrit dans un cadre culturel beaucoup plus large, celui du partenariat euro-arabe. Le président français est un homme de grande culture ; aujourd’hui, il plantera un cèdre sur les pentes du Mont-Liban, indiquant son attachement à la pérennité de ce pays que la France a tenu sur les fonts baptismaux. Ce geste renvoie à la finitude de l’entité libanaise actuelle dont le symbole est cet arbre imputrescible tant chanté par la Bible.

Mais surtout, il rendra visite à la grande dame de la chanson arabe, Feyrouz, qui fait l’unanimité non seulement au Liban mais chez tout individu du vaste monde arabe. Par ces deux gestes hautement symboliques, Emmanuel Macron se révèle en homme de culture pétri de l’humanisme universel si cher à la pensée des Lumières. L’homme venu de cette Europe, porteuse du nom d’une princesse phénicienne et héritière de cette culture hellénistique qui nous est commune, vient aussi rendre hommage, à travers Feyrouz, à cette culture arabe dont le Liban est la vitrine.

Réussira-t-il dans son volet politique ? Rien n’est moins certain tant ses interlocuteurs libanais « qui se phagocytent entre eux », selon monsieur Le Drian, sont prisonniers de l’état de nature de Hobbes, celui de la guerre de tous contre tous qui les empêche de voir que Kairós passe.

Réussira-t-il symboliquement ? Oui et au-delà de ce qu’on peut espérer. Il gagnera l’opinion publique de tous les Arabes que la voix de Fayrouz a bercés. Mais c’est surtout en France et en Europe qu’il faudra juger des résultats de cette utilisation peu commune de la culture et de l’humanisme en géopolitique. L’enjeu n’est pas en Orient, mais en Occident.


Les Grecs anciens parlaient de « kairós » pour dire : occasion opportune, instant propice mais fugace, momentum, etc. Tous ces termes n’épuisent pas la richesse du sens de ce nom qu’on donnait à la figure d’un dieu représenté en jeune homme aux talons et aux épaules ailés, ayant une longue touffe de cheveux sur la tête. Passant rapidement, très rapidement, il...

commentaires (7)

Excellent article ΚΑΙΡΟΣ en grec

Eleni Caridopoulou

18 h 55, le 01 septembre 2020

Tous les commentaires

Commentaires (7)

  • Excellent article ΚΑΙΡΟΣ en grec

    Eleni Caridopoulou

    18 h 55, le 01 septembre 2020

  • Excellent décryptage de  la situation. Merci M. Corban. Nous espérons simplement que la Grande Bretagne s’associera au sauvetage pour faire la balance entre la pédagogie de la France et la sévérité des anglais. Ma peur est que M. Macron se laisse hypnotiser par les loubards locaux et leur permet de remettent au calendes grecs les réformes et les travaux sérieux pour assainir nos institutions et sauver ce pays. Le gouvernement et sa formation n’ont jamais était le symbole d’une quelconque volonté de sauver le pays c’est un leurre comme tant d’autres qu’ils ont en poche et qu’ils gratifient les libanais avec pour arriver à leur fin. Leurs complot contre l’état commence à s’affiner puisqu’ils parlent d’état laïc en utilisant comme porte-voix Aoun comme si le moment était opportun pour aborder des sujets de cette importance et de cette gravité qui risquent d’envenimer la situation au lieu de la dénouer.

    Sissi zayyat

    15 h 30, le 01 septembre 2020

  • JE PARLERAIS PLUTOT DU SYMBOLE DE L,OPPORTUNITE DE LA DERNIERE CHANCE. TOUS VEULENT LA SAISIR A L,EXCEPTION DES SUPPOTS DE FORCES ETRANGERES PROVOCATRICES ET QUI NE VEULENT POINT DU BIEN A CE LIBRE PAYS QU,EST LE LIBAN.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 52, le 01 septembre 2020

  • Je vous cite : ""Pour la France, et l’Union européenne avec elle, l’État libanais est une carte importante dans leur propre stratégie. Après tout, l’UE a une frontière commune avec le Levant au milieu de la mer qui sépare Chypre des côtes levantines"". C’est le talon d’Achille de votre analyse. Sans commenter l’attitude décevante de la France et de l’Europe, qui ont d’autres frontières plus importantes dans cette région du monde, et ce n’est pas, sans ironie aucune, notre excédent commercial qui nous rend plus intéressant. Quant à la visite de courtoisie de M. Macron à la chanteuse, elle relève du coup de com’. Le président français a d’autres soucis en politique intérieure, et les Français des Dom-Tom ou ailleurs, diront de cette deuxième visite (en moins d’un mois) dans un pays qui est dans la même situation qu’eux, qu’à défaut de relance du couple franco-allemand, il essaie de plaider le ""multilatéralisme"" (voir sa déclaration sur le Hezbollah, reprise ce matin dans des journaux français), dans un pays qui ne peut compter même sur lui-même.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    10 h 27, le 01 septembre 2020

  • On ne peut effectivement savoir si le “traitement Macronien” réussira sur le Grand malade! Et s’il est certain que la France défend ses intérêts en Méditerranée, elle pouvait certainement le faire pour “ moins cher” politiquement!!! Emanuel Macron , à travers son engagement personnel, engage son avenir politique sur la scène internationale et dans l’hexagone oú de nombreux français se demandent ce que fout leur président dans cet "orient compliqué “!!! Merci MR Macron pour votre engagement. Nous sommes très nombreux à vous faire confiance. Les intérêts de la France sont aujourd’hui ceux du Liban.

    Nammour Raymond

    07 h 49, le 01 septembre 2020

  • Excellent et éclairant article, merci.

    Christine KHALIL

    07 h 49, le 01 septembre 2020

  • Fabuleux article de monsieur Corban. J'ivite tous les lecteurs de ce texte de partager le link avec leurs connaissances sur les réseaux sociaux.Et bravo encore.

    Tamari Wadih

    02 h 15, le 01 septembre 2020

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