Critiques littéraires Bande dessinée

Monsieur tout le monde

Monsieur tout le monde

Paul à la maison de Michel Rabagliati, éditions de la Pastèque, 2020, 208 p.

La bande dessinée québécoise, jusqu’aux années 90, tournait en large partie autour d’aventures de presse, souvent initiées par des collectifs d’auteurs (cristallisés notamment autour de la revue Croc). Lorsque Michel Rabagliati lance modestement, sous forme d’album, son personnage et alter-égo Paul, le temps d’une aventure diffusée à tirage limité par une structure naissante (les éditions de la Pastèque), difficile d’imaginer que la série deviendra phénomène, et occupera une place centrale dans un renouveau de la bande dessinée montréalaise désormais résolument tournée vers le livre. Au fil de plus de vingt années, Paul et les éditions de la Pastèque ont grandi ensemble, au rythme d’albums au succès grandissant et d’adaptation au cinéma.

C’est que le Québec est attaché à ce monsieur tout le monde qu’est Paul. La série est, en filigrane, une véritable déclaration d’amour à la vie québécoise. Michel Rabagliati ne s’en cache pas : il aime la vie de citoyen moyen de Montréal, et s’attache dès lors à raconter ce qui fait le quotidien, se délestant de l’obligation de trouver un sujet hors-norme pour toucher le lecteur. L’amour, les vacances, la venue d’un enfant, la relation adolescent-parents : ces ingrédients, dans toute leur banalité, constituent la matière première d’une série dans laquelle chacun se retrouve.

Si des cas similaires ont déjà conquis les lecteurs de bande dessinée (on pense au Monsieur Jean du tandem Dupuy-Berberian), la particularité de Paul réside dans le fait que chaque album s’intéresse (et pas nécessairement de manière chronologique), à un âge particulier du personnage. Si bien qu’au bout d’une dizaine de volumes, c’est le panorama d’une vie, couplée à la peinture d’une société, qui s’offre à nous. S’il y a dans Paul une floppée de personnages récurrents, la configuration de leurs relations, à chaque album, les âges changeants, est chaque fois empreinte de nouvelles subtilités.

Dans Paul à la maison, le dernier volume de la série, Paul a la cinquantaine et sort d’une séparation. Quasi-autobiographique comme le reste des événements vécus par le personnage, cette séparation est le miroir de celle qu’expérimente l’auteur et est d’autant plus communicative que le lecteur a, dans les albums précédents, lu avec affection le récit de la rencontre amoureuse, de la vie de couple et de l’aventure parentale. Ajoutons à cela que Paul accompagne le déclin physique de sa mère, en phase terminale d’un cancer qu’elle refuse de traiter, et nous comprenons que cet album est le plus sombre de la série.

Sur plus de deux-cent pages dans lesquelles le rythme du quotidien s’imprime en prenant son temps, Michel Rabagliati saupoudre pourtant son récit d’autodérision, à travers des pages délirantes tournant autour des visites médicales du personnage et d’un running gag lié à son obsession de deviner le nom des typographies utilisées dans les enseignes qu’il croise dans les rues de Montréal.

Paul continue, pour ce dixième album, à mêler plaisir et émotion.

Ralph Doumit

Paul à la maison de Michel Rabagliati, éditions de la Pastèque, 2020, 208 p.La bande dessinée québécoise, jusqu’aux années 90, tournait en large partie autour d’aventures de presse, souvent initiées par des collectifs d’auteurs (cristallisés notamment autour de la revue Croc). Lorsque Michel Rabagliati lance modestement, sous forme d’album, son personnage et alter-égo Paul, le...

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