Critiques littéraires

Quête d’amour entre deux âges

Quête d’amour entre deux âges

D.R.

Le Cœur synthétique de Chloé Delaume, Seuil, 2020, 208 p.

Adelaïde Berthel a 46 ans. Cette attachée de presse travaillant aux éditions David Séchard vient de se séparer de son compagnon de vie, Élias. Neuf ans qu’ils formaient un couple. Mais Adelaïde n’en pouvait plus. La passion avait laissé la place à une sorte d’habitude morne. Pour elle, il fallait à tout prix s’extraire de ce carcan conjugal avant qu’il ne soit trop tard. C’était question de vie ou de mort. À 46 ans, Adelaïde croit fermement que tout est encore possible. Elle veut, elle peut repartir à zéro. Vivre enfin.

Quittant le confortable appartement où elle vivait avec Élias, voici qu’Adelaïde aménage dans un 35 mètres carrés du 20e arrondissement de Paris. Il lui a fallu se résoudre à laisser derrière elle son canapé qui, faute d’espace, n’aurait pu trouver sa place. La salle de bains est minuscule. Les parois de douche sont en plastique. Les livres débordent de partout. Peu importe, Adelaïde ne regrette pas son choix. Elle se sent bien. Libre ! L’avenir redevient un horizon acceptable. Et pour l’amour, ce sera affaire de rencontres et de hasard... Qu’il est délicieux pour Adelaïde de se sentir en vie et jeune à la façon d’une adolescente. « L’inconnu lui est accessible, la voici prête à s’y lancer » avec armes pour ses premières soirées de célibataire d’une petite robe noir, d’un décolleté affirmé et de quelques gouttes d’essence de chez Dior. Le quatuor de ses meilleures amies, Judith-Bérangère-Clotilde-Hermeline, valident le choix d’Adelaïde. Toutes sont d’accord sur le fait qu’il vaut mieux vivre seule que périr à deux.

Dans Le Cœur synthétique, Cloé Delaume dresse le portrait émouvant d’un personnage qui se jette bille en tête dans une nouvelle vie. Tout n’est au début qu’attente, désir, frémissements et renouveau. Mais le temps qui passe et qui fait vieillir inexorablement notre héroïne en la conduisant vers les rives de la cinquantaine en décidera autrement.

En suivant les péripéties d’Adelaïde tout au long des saisons, nous la découvrirons tenter une pitoyable sortie en boîte de nuit au mois de septembre et revenir bredouille, devoir supporter en octobre les caprices de ses auteurs qui espèrent un prix littéraire – l’un se voit goncourable et l’autre remporter le prix 30 millions d’amis ! –, passer un premier Noël toute seule. Et ainsi de suite. Janvier, février, mars. Adelaïde se met au bio, elle sort et expérimente. Invitée dans une fête elle se fait ravir sous son nez l’homme qu’elle convoitait depuis le début de la soirée par une jeune fille blonde (ce sont les pires rivales). De déconvenues en maladresses, Adelaïde découvre que le chemin de vie qui s’ouvre à elle est moins glorieux qu’elle ne l’imaginait.

Heureusement, il reste les fidèles amies. Elles sont le secours et le socle à partir duquel une vie peut encore s’imaginer et se bâtir. « Sans cette sororité, elle sait qu’elle serait en miettes, étalée sur le parquet. »

À la fois comédie hilarante lorsqu’Adelaide observe sa coiffure dans le miroir, « une pieuvre de kératine brunâtre décédée sur la tête », et conte cruel lorsqu’un amant s’avère bander mou dans son lit, Le Cœur synthétique provoque de grands éclats de rires et quelques sanglots retenus.

Est-ce que c’en est fini des grands émois amoureux ? À qui se donner et pourquoi ? Quel sera l’avenir d’Adelaïde dans sa deuxième partie de vie ? Est-ce qu’elle va se trouver un conjoint et poursuivre sa carrière ou deviendra-t-elle une femme célibataire, « un cœur tranquille, ne battant que pour lui-même » ?

Osant affronter sans ciller l’épreuve du miroir où se reflète l’image d’une beauté qui s’étiole, Chloé Delaume trouve les mots et les situations justes pour traduire les doutes d’une femme entre deux âges. « C’est l’histoire d’une fleur bleue qu’on trempe dans de l’acide. Adelaide Berthel, c’est une femme comme une autre. Qui, à quarante-six ans, entend sonner le glas de ses rêves de jeunes filles. » Entre grâce et ivresse, Le Cœur synthétique tangue. Un roman qui convie au vertige d’une bascule sur escarpins.

Denis Gombert

Le Cœur synthétique de Chloé Delaume, Seuil, 2020, 208 p.Adelaïde Berthel a 46 ans. Cette attachée de presse travaillant aux éditions David Séchard vient de se séparer de son compagnon de vie, Élias. Neuf ans qu’ils formaient un couple. Mais Adelaïde n’en pouvait plus. La passion avait laissé la place à une sorte d’habitude morne. Pour elle, il fallait à tout prix s’extraire...

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