Critiques littéraires

Aurel le hardi

Le héros de la série de Jean-Christophe Rufin est aussi atypique que réjouissant. Voici le troisième épisode de ses aventures.

Aurel le hardi

© F. Mantovani, Gallimard

Le Flambeur de la Caspienne de Jean-Christophe Rufin, Flammarion, 2020, 322 p.

Aurel Timescu est un personnage des plus saugrenus, né de l’imagination fertile du romancier Jean-Christophe Rufin, véritable conteur. D’origine roumaine, il a connu la dictature des Ceaucescu, dont il a hérité une allergie farouche à toute oppression ou injustice. Réfugié en France grâce à un échange de bons services, il est devenu diplomate tout à fait par hasard, et fort médiocre. La carrière ne l’intéresse guère, et il enchaîne les postes les plus obscurs, ceux dont les autres ne veulent pas.

Il s’en moque. Lui, son truc, c’est jouer du piano. Il l’a fait, autrefois, dans des bars. Maintenant, il se rêve en concertiste. But inaccessible. Alors il soigne sa mélancolie à grand renfort de vin(s) blanc(s), Tokay ou autres, en attendant l’âme-sœur. Car ce solitaire par force, déjà d’un certain âge et doté d’un physique ingrat, impression renforcée par son accoutrement hérité des pays de l’Est des années 70, a un cœur de midinette. Toute femme qui lui témoigne un peu d’intérêt le fait craquer. Et quand il craque, comme quand il se passionne pour une enquête dont il s’autosaisit alors que personne ne lui demande rien et surtout pas de s’en mêler, ce timide maladif, ce pusillanime peut faire preuve de toutes les audaces, de tous les courages, n’hésitant pas, par exemple, à bousculer la sacro-sainte hiérarchie qui règne dans les administrations françaises, en particulier au Quai d’Orsay. Alors, Aurel peut être hardi.

Après l’Afrique subsaharienne (Guinée, Angola), voici notre ami expédié à Bakou, dans un poste, certes subalterne, d’adjoint de la jeune consule Amélie, dont il se fera une amie et son assistante pour son enquête, mais, pour une fois, agréable en apparence. La capitale de l’Azerbaïdjan, autrefois soviétique, a plutôt bonne réputation. Alors, quel loup se cache là-derrière ? Il a pour nom Gilles de Carteyron, c’est l’ambassadeur de France, et il est ignoble : autoritaire, brutal, prétentieux. Il connaît la réputation d’Aurel (au ministère des Affaires étrangères, tout le monde se connaît) et il s’est juré de le faire renvoyer illico. Il semble que son deuil récent – son épouse, la belle et riche Marie-Virginie, est morte dans un accident, alors qu’elle s’était rendue dans l’enclave reculée et interdite du Nakhichevan pour prendre des photos patrimoniales, semble-t-il – ne l’ait pas rendu plus humain.

Sa curiosité piquée, Aurel, avec cette intuition de chien de chasse qui le caractérise, va flairer quelque chose de louche dans cette histoire. Il enquête sur le parcours de Carteyron et découvre le flambeur qu’il fut au Brésil, ses accointances avec un mafieux qui se faisait appeler là-bas Engin et qui, revenu au pays, a repris son nom de Karimov, trafiquant tous azimuts. Et si Marie-Virginie avait été éliminée parce qu’elle en savait trop ? Et si Karimov était le commanditaire de ce contrat ? Et si l’ambassadeur était mouillé jusqu’au cou ? On n’en dira pas plus, bien sûr.

Si ce n’est qu’Aurel mènera à bien ses investigations sans se laisser impressionner, découvrira la vérité et demandera lui-même au nouvel ambassadeur à quitter Bakou. Pour aller où ? La suite au prochain épisode. Dans la période particulièrement morose que nous vivons tous, le nouveau roman de Jean-Christophe Rufin, polar géopolitique intelligent et nourri d’expériences, nous fait du bien. Le livre remporte d’ailleurs un beau succès dans les librairies françaises récemment rouvertes et qui ont grandement besoin de se refaire. Merci à Aurel l’anti-héros, ni SAS ni James Bond, plutôt cousin d’Hercule Poirot.

Jean-Claude Perrier

Le Flambeur de la Caspienne de Jean-Christophe Rufin, Flammarion, 2020, 322 p.Aurel Timescu est un personnage des plus saugrenus, né de l’imagination fertile du romancier Jean-Christophe Rufin, véritable conteur. D’origine roumaine, il a connu la dictature des Ceaucescu, dont il a hérité une allergie farouche à toute oppression ou injustice. Réfugié en France grâce à un échange de...

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