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Agenda - Hommage

L’affection à distance

Du plus loin que je me souvienne, tu étais pour moi un mythe, une légende. J’en étais même arrivée à douter de ton existence.

Je savais que mon parrain, Rachid Farès, était marquis, et du coup, je me prenais pour une princesse qui vivrait forcément un conte de fées, puisque ces dernières s’étaient penchées sur mon berceau…

Petite, je n’avais pas de souvenirs de toi, hormis deux photos où je trônais sur tes genoux et dans lesquelles tu me couvais du regard. Maman me racontait que tu venais à chaque visite « admirer mes yeux verts » que tu aimais particulièrement. À chaque fois que j’entendais parler de toi au sein de ma famille, les mots étaient teintés d’admiration. Tu étais certes le cousin germain de ma grand-mère paternelle, mais je ne sais pas jusqu’à ce jour si c’est toi qui avais choisi d’être mon parrain ou si mes parents te l’avaient demandé. Qu’importe, ce choix, d’où qu’il provienne, avait été acté. Tes affaires te tenaient loin du pays. Je n’ai, d’ailleurs, aucun souvenir de toi au Liban. Tu étais resté longtemps ce parrain que l’on évoquait, mais que je ne voyais jamais.

Un jour de Noël, juste après avoir fêté mes vingt printemps, tu avais appelé mes parents et avais demandé à me parler. J’étais tout émue. Tu avais été adorable au téléphone, me demandant d’excuser ton absence durant toutes ces années et me promettant de rétablir une communication que tu souhaitais pérenne... Mais il y a eu de nouveau une disparition durant les deux courtes années qui me séparaient de mon mariage.

Cela dit, j’avais régulièrement de tes nouvelles via ta sœur, Saada, qui fut pour moi comme une seconde maman et dont je chéris le souvenir ardemment. Toi, pour les rares fois où j’ai eu l’occasion de te revoir, nos rencontres se faisaient en coup de vent avec aucune possibilité d’aparté. Et puis, il y a eu un silence radio de part et d’autre. Tu avais ta vie solidement construite, très loin du Liban et de ses guerres, j’avais la mienne, en équilibre instable sur un volcan en éruption, avec un drame atroce qui s’était abattu sur ma famille : l’accident de voiture de ma petite sœur, ses trois ans et demi de coma, puis son décès. Mon parcours était chaotique, jalonné d’exils et de retours. Je crois que lorsqu’on est dans un état de survie permanent, on se recroqueville sur soi et on panse ses blessures, in vivo.

Je t’avoue que j’ai mille fois eu envie de t’écrire, parce que tu étais quasiment injoignable autrement, juste pour avoir de tes nouvelles et te donner des miennes. Mais cela ne s’est pas fait. Lorsque j’ai appris l’année dernière le décès de ta sœur Saada qui avait tenu à être inhumée au Liban, j’ai bien sûr accouru pour assister à ses obsèques et revoir ses enfants, tes neveux (mes cousins au troisième degré). J’ai pris sa fille (ta nièce) Alma dans mes bras ; Alma qui était la seule personne de la famille avec laquelle j’étais encore un contact, même en pointillé. J’ai à peine reconnu Amado, et vite repéré Danny, toujours égal à lui-même, chaleureux et aimant, alors que je lui présentais mes condoléances émues.

J’espérais bien sûr te revoir enfin, mais tu étais absent. Tu étais paraît-il fatigué au point de ne pouvoir effectuer le voyage pour l’enterrement de ta propre sœur. Le jour même, j’ai décidé de t’écrire enfin cette fameuse lettre, quitte à ce qu’on te la lise. Et là encore, il y a eu un report qui me coûte aujourd’hui très cher : je n’ai pas eu l’opportunité de te faire mes adieux.

Cette fameuse lettre, je te l’écris aujourd’hui publiquement, mais à titre posthume… Que ton âme repose en paix Rachid, ma consolation réside dans la certitude que tu demeureras mon parrain, dans cet au-delà qui n’est pas soumis aux caprices du temps.

Ta filleule qui n’a jamais cessé de t’aimer, même à distance.


Du plus loin que je me souvienne, tu étais pour moi un mythe, une légende. J’en étais même arrivée à douter de ton existence.Je savais que mon parrain, Rachid Farès, était marquis, et du coup, je me prenais pour une princesse qui vivrait forcément un conte de fées, puisque ces dernières s’étaient penchées sur mon berceau… Petite, je n’avais pas de souvenirs de toi, hormis...