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Société - Professions

Les élections de l’ordre des ingénieurs en eaux troubles

Le vote, reporté en mars pour cause de confinement, devait avoir lieu les 12 et 26 juillet. Une décision de justice a brouillé les cartes, et le scrutin a été repoussé en attendant le recours en appel.


Les élections de l’ordre des ingénieurs en eaux troubles

Une militante scrutant les listes des noms des candidats potentiels aux postes de président, de membres du conseil et de délégués. Photo João Sousa

Une décision de justice est venue perturber une nouvelle fois un scrutin très attendu, celui de l’élection du président et de cinq des membres du conseil de l’ordre des ingénieurs, le plus grand syndicat du Liban. Le scrutin, qui devait avoir lieu les 12 et 26 juillet, a été reporté par décision du conseil de l’ordre, en attendant le recours en appel d’une décision de la juge des référés de Beyrouth sur une prolongation des délais.

Les élections sur cinq membres du conseil de l’ordre et sur le poste de président devaient avoir lieu le 8 mars (première partie, pour le renouvellement de la moitié des délégués) et le 4 avril. La crise du coronavirus, qui en était à ses débuts, a justifié son report. Les nouvelles dates étaient donc fixées pour le 12 juillet (première phase) et le 26 pour l’élection des membres du conseil et du président. À ce propos, le conseil de l’ordre avait décidé à la majorité des votes de ses membres de ne pas prolonger le délai de présentation des candidatures et de paiement des cotisations, malgré le retard accusé en raison de la crise du coronavirus.

Or, coup de théâtre, une décision de justice est venue brouiller les cartes : le 6 juillet, statuant sur un recours présenté par l’ingénieur Nabil Itani, ayant lui-même présenté sa candidature le 24 juin, contre la décision du conseil de l’ordre, la juge des référés de Beyrouth, Hala Naja, a prolongé les délais de paiement des cotisations et de présentation des candidatures jusqu’au 30 juillet, ce qui reportait de facto le scrutin jusqu’après le 14 août (deux semaines après le dernier délai de dépôt des candidatures).

Sous le coup de cette décision, le conseil de l’ordre des ingénieurs, sous la présidence de Jad Tabet, s’est réuni mardi pour discuter du sort des élections. Interrogé par L’OLJ, M. Tabet a confirmé qu’un recours en rappel contre la décision de la juge a bien été présenté et que la tenue des élections attendra le résultat de cet appel. Ce qui la repousse d’emblée vers août. Selon le président du syndicat, le recours en appel a été présenté pour des raisons de fond, mais aussi de forme : l’ordre des ingénieurs estime en effet que ce n’est pas au juge des référés d’intervenir sur ses décisions, mais à la cour d’appel le cas échéant.


Il y avait foule hier au centre-ville pour l'annonce des listes de la "thaoura" aux élections de l'Ordre des ingénieurs. Photo Joao Soussa


Loi de suspension des délais

D’un point de vue purement juridique, l’ingénieur Itani s’est fondé dans sa plainte sur la loi n° 160, parue le 8 mai dernier, qui suspend tous les délais en raison de la crise sanitaire. Lui-même a présenté sa candidature le 24 juin dernier, c’est-à-dire bien après les candidatures qui avaient été présentées avant la première date d’élection en mars. La décision de la juge des référés oblige l’ordre à garder ouverte la possibilité de payer les cotisations jusqu’au 30 juillet (nombre d’ingénieurs ont accusé des retards en raison de la situation économique), tout en soulignant que les retardataires auront le droit de vote (ce qui, dans les règlements de l’ordre, se limite à ceux qui ont payé leurs cotisations à temps, en hiver). De même, la décision fixe au 30 juillet le dernier délai de présentation des candidatures, ce qui recule de facto jusqu’à la mi-août la date des élections.

Annonce d’une liste issue de la « thaoura »

Les enjeux de cette élection ne sont cependant pas qu’organisationnels et juridiques. Comme pour tous les grands syndicats, le scrutin des ingénieurs est particulièrement attendu comme indicateur de la présence des forces politiques sur le terrain. Selon des sources concordantes, Nabil Itani est le candidat du courant du Futur, traditionnellement puissant au sein de cet ordre, mais dont l’influence est en recul. Certaines sources pensent que le Futur, conscient d’être dans une rude bataille contre, d’une part, les forces du 8 Mars (probablement sur une seule liste) et, d’autre part, les candidats issus du mouvement de contestation du 17 octobre, a voulu remplacer ses précédents candidats par un nom plus en vue, précédemment directeur d’IDAL. On chuchote même que, au sein du conseil de l’ordre, certains de ces anciens candidats ont tenté de barrer la route à ce nouveau venu en plaidant contre le report…

Cette dimension politique cache un autre enjeu, confessionnel celui-là. En effet, la présidence de l’ordre obéit à une coutume d’alternance entre chrétiens et musulmans, et elle échoit aux seconds cette fois-ci. Traditionnellement, elle revient à la communauté sunnite. Toutefois, compte tenu des dissensions politiques dans le pays et du recul de l’influence du courant du Futur, il semble que le tandem chiite veuille en profiter pour présenter un candidat chiite cette fois.

Outre cette lutte entre partis au pouvoir et partis dans l’opposition (depuis la démission du cabinet de Saad Hariri sous la pression de la rue en novembre), un nouvel acteur est désormais incontournable : les candidats issus du mouvement de contestation du 17 octobre. Hier a été annoncée, sur la place des Martyrs, la naissance d’une liste de la contestation, « L’ordre se révolte ». Cette mouvance fera tout, selon Abdel Halim Jabr, ingénieur et membre du Bloc national, afin de présenter ces candidats comme étant une véritable alternative, au-delà des luttes confessionnelles qui sous-tendront les campagnes des autres listes. « Nous lancerons un processus suivant lequel les ingénieurs des forces de la révolution pourront filtrer eux-mêmes puis choisir les candidats au final, suivant leurs qualités propres et sans autres considérations », explique-t-il.

La mouvance du 17 octobre peut espérer percer face aux autres partis. À Tripoli, le 8 mars dernier, les élections s’étaient tenues à temps, contrairement à Beyrouth. Sur les dix sièges vacants, la liste « L’ordre se révolte », représentant les contestataires du soulèvement du 17 octobre, en a remporté cinq. « La révolution ne peut plus compter que sur les rassemblements dans les places, il faut adopter une vision et un plan de travail et être actifs à plusieurs niveaux, affirme M. Jabr. Et je pense que cette liste d’indépendants doit en inquiéter plus d’un, d’où l’enthousiasme de certains en faveur des reports depuis mars. »

Manque de clarté autour des alliances

Outre l’annonce de cette liste hier, la topographie des élections n’est toujours pas claire. Selon Abdel Halim Jabr, le « chaos » règne sur les potentielles alliances en prévision de ce scrutin. Pierre Geara, ancien membre du conseil de l’ordre et partisan du Parti national libéral, estime pour sa part que cette échéance est secouée par plusieurs conflits politiques, n’écartant pas le risque de dispersion des voix. « Pour la première fois, nous avons 30 candidats, du jamais-vu », s’exclame-t-il.

Selon le syndicaliste, la dimension confessionnelle jouera bel et bien un rôle dans ce scrutin. Le Hezbollah présentera en effet un ingénieur partisan (et non un proche), Hassan Hijazi, qui pourrait récolter aisément les voix du camp du 8 Mars, apparemment soudé dans cette échéance. De son côté, le candidat présenté comme celui du courant du Futur, Nabil Itani, n’attirerait pas tous les votes d’ingénieurs indépendants, dont beaucoup lui préféreraient les candidats de la « thaoura ». « Je vois d’ores et déjà une cohésion des voix, d’un côté, et une dispersion quasi certaine des votes, de l’autre, les partis dits de l’opposition et la contestation se disputant un même territoire », dit-il.

Pierre Geara serait d’avis qu’une coalition plus large soit formée autour d’un candidat indépendant ayant les qualités requises pour mobiliser une grande majorité des indépendants, ceux-ci ayant la particularité de voter pour une personne et non pour une ligne politique.

Une décision de justice est venue perturber une nouvelle fois un scrutin très attendu, celui de l’élection du président et de cinq des membres du conseil de l’ordre des ingénieurs, le plus grand syndicat du Liban. Le scrutin, qui devait avoir lieu les 12 et 26 juillet, a été reporté par décision du conseil de l’ordre, en attendant le recours en appel d’une décision de la juge...

commentaires (1)

"ce qui, dans les règlements de l’ordre, se limite à ceux qui ont payé leurs cotisations à temps, en hiver). " Covid-19 ou pas, les cotisations annuelles doivent être payées entre le 1er mars et le 30 juin! Que vient faire l'hiver là-dedans? NB- Je sais de quoi je parle: je fais partie de l'Ordre depuis septembre 1969...

Georges MELKI

13 h 06, le 09 juillet 2020

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Commentaires (1)

  • "ce qui, dans les règlements de l’ordre, se limite à ceux qui ont payé leurs cotisations à temps, en hiver). " Covid-19 ou pas, les cotisations annuelles doivent être payées entre le 1er mars et le 30 juin! Que vient faire l'hiver là-dedans? NB- Je sais de quoi je parle: je fais partie de l'Ordre depuis septembre 1969...

    Georges MELKI

    13 h 06, le 09 juillet 2020

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