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Lifestyle - Un peu plus

Je veux reprendre une vie normale

Je veux reprendre une vie normale

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Je veux retrouver ma vie d’avant. Sortir de ce cauchemar et ne garder de ces derniers mois que le meilleur. Le meilleur que nous avons accompli depuis 8 mois. L’incandescence des premiers jours de la thaoura; les minivictoires qui se sont succédé; les gens que j’ai rencontrés ; les regards que j’ai croisés ; les sourires et les larmes que j’ai échangés avec les enfants de ce pays qui est le mien.

J’aimerais sortir de ce néant qu’est le nôtre aujourd’hui. Retrouver mon insouciance, même si on la perd quand on devient adulte. Retrouver la légèreté. Cette légèreté qui n’existe plus. Sauf pour certain(e)s qui vivent dans La La Land, jonglant avec les dollars qu’ils ont réussi à sortir du pays, conseillés probablement par leurs amis banquiers qui ont senti l’odeur du soufre bien avant le crash ; dansant sur les tables à Faraya ou chantant le sourire aux lèvres le taux du dollar à Batroun. La vulgarité et l’indécence à leur paroxysme. J’aimerais avoir la même légèreté qu’eux, des œillères m’empêchant de voir ce qui se passe réellement autour de nous. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas ne pas pleurer quand je vois des gens manger dans les poubelles ; quand je vois les jeunes privés d’avenir ; quand je vois des mères mendier pour pouvoir nourrir leurs enfants. Quand je vois les gens terrifiés, tout comme je le suis. J’aimerais vivre dignement.

J’aimerais reprendre une vie normale. Me réveiller le matin et aller à la radio pour y présenter mon émission. Parler du temps qu’il fait, des derniers gossips des people, du nouveau morceau de Benjamin Biolay. Mais je ne peux pas parce que mon émission n’émet plus. Et à quoi bon ? J’aimerais aller au bureau et prendre mon Nescafé avec mes collègues et néanmoins amies. Parler de nos futurs voyages, nos futures vacances. Et revenir, des souvenirs plein les yeux et plein les poches. Mais je ne peux pas. Il n’y a plus de magazines au Liban. Je ne peux même pas/plus me payer un billet d’avion ni dépenser de l’argent sur une plage grecque. Et même si je le pouvais encore, je n’ai plus, moi, comme la majeure partie de mes concitoyens, la possibilité d’accéder au peu d’argent qui me reste. J’aimerais ne plus entendre et lire de mauvaises nouvelles, checker mon WhatsApp pour savoir ce qui se passe, mais regarder une série sur Netflix tout en douceur.

J’aimerais reprendre une vie normale. Sortir le soir, prendre un verre, aller danser jusqu’à des heures indues, finir au petit matin, une man’ouché dans une main, un laban ayran dans l’autre, entourée des gens que j’aime. Mais je ne peux pas. Ceux que j’aime sont en train de partir. Ou d’essayer. Ils s’en vont tenter leur chance ailleurs. Reprendre une vie normale. Mais pas ici. J’aimerais ne pas avoir à leur dire au revoir mais je ne peux pas. Et je ne leur en veux pas. Parce qu’ils ont tout donné. Tout donné à ce pays qui leur a tout repris. J’aimerais reprendre une vie normale et ne plus me réveiller le matin une boule au ventre. Une boule qui grandit jour après jour.

Ce que je sais, c’est que ma vie d’avant ne reviendra pas. Parce que c’est comme ça. Parce que le régime qui nous gouverne depuis 30 ans en a décidé autrement. Parce que ce que j’ai construit et accompli durant ces 25 dernières années est parti en fumée. Je ne sais pas non plus quand je reprendrai une vie normale. Une vie normale complète. Pas juste des moments normaux. Ces petits moments qui me font tenir. Ces petits moments où j’oublie le monde dans lequel je vis, dans lequel on vit. Ces instants où je ris avec ceux, celles et celui que j’aime. Malgré tout. Ces instants où je regarde mon fils et que j’oublie où il est en train de grandir. Ces instants où j’écris. Ces instants où je prends la tangente pour respirer et reprendre des forces. Ces instants-là me permettent d’attendre le lendemain.

Mais ce que je ne sais pas, c’est de quoi seront faits mes lendemains. Je ne sais pas si je tiendrai longtemps. Mais ce que je sais, c’est que je continuerai à descendre dans la rue pour me battre et retrouver ma/notre dignité. Jusqu’à la dernière seconde. Et le jour où je m’en irai, je pourrai me dire : « Au moins, j’aurai essayé. »

Je veux retrouver ma vie d’avant. Sortir de ce cauchemar et ne garder de ces derniers mois que le meilleur. Le meilleur que nous avons accompli depuis 8 mois. L’incandescence des premiers jours de la thaoura; les minivictoires qui se sont succédé; les gens que j’ai rencontrés ; les regards que j’ai croisés ; les sourires et les larmes que j’ai échangés avec les enfants de ce pays...

commentaires (2)

Chère Medea merci de continuer de nous faire part de vos émotions...vous êtes une vraie de vraie et un exemple dont devrait continuer à s'inspirer de nombreux compatriotes surtout comme vous dites si bien ceux qui vivent à La La Land et qui comme les nobles en France à la veille de la révolution ou les apartchiks à la veille de la chute du mur de Berlin ne veulent surtout pas que le peuple dérange leurs soirées endiablées. Yalla courage l'avenir appartient à ceux qui sont émotionnellement intelligents

Liban Libre

20 h 56, le 06 juillet 2020

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Commentaires (2)

  • Chère Medea merci de continuer de nous faire part de vos émotions...vous êtes une vraie de vraie et un exemple dont devrait continuer à s'inspirer de nombreux compatriotes surtout comme vous dites si bien ceux qui vivent à La La Land et qui comme les nobles en France à la veille de la révolution ou les apartchiks à la veille de la chute du mur de Berlin ne veulent surtout pas que le peuple dérange leurs soirées endiablées. Yalla courage l'avenir appartient à ceux qui sont émotionnellement intelligents

    Liban Libre

    20 h 56, le 06 juillet 2020

  • Chère Médéa, juste pour vous dire que votre voix, le matin à la radio, nous manque ! Courage et de tout coeur: continuez d'écrire et de nous enchanter avec vos mots si justes !!! Irène saïd

    Irene Said

    15 h 35, le 06 juillet 2020

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