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Lifestyle - Beyrouth Insight

Sœur Émilie Jérôme : J’aurais voulu être une artiste, wa choukran

Sa voix fait trembler les murs du couvent et les élèves de son école, et fait rire aux larmes des milliers d’internautes qui la suivent et l’attendent. Si sœur Émilie Jérôme n’est pas une artiste, elle est assurément une star au Liban. Improbable interview...

Sœur Émilie Jérôme : J’aurais voulu être une artiste, wa choukran

Sœur Émilie Jérôme n’est peut-être pas une artiste, mais certainement une star au Liban. Photos Lynn Dagher

Ses phrases sont devenues cultes, sa voix est reconnaissable entre toutes et son caractère franchement mauvais. Si sœur Émilie Jérôme de l’Enfant Jésus est apparue sur les réseaux sociaux un beau jour d’octobre 2019 sans s’annoncer, le 30 exactement, ses messages vocaux sont vite devenus viraux ; un succès confirmé par la série de messages audio qu’elle a créés pour le projet, publié dans L’Orient-Le Jour du 2 mai au 19 juin derniers, visant à démonter les fake news liées au coronavirus. Certains l’aiment et attendent ses éruptions avec impatience, d’autres, inconscients, n’adhèrent pas à son humour irrévérencieux. L’interviewer est un exercice périlleux dans ce couvent du Saint-Sauveur des Ponts et Chaussées où elle vit depuis ses « atorze ans », comprenez 14 ans.

L’établissement, imposant, niché entre les pins d’un village de la montagne libanaise, et auquel on accède par un chemin cabossé, accueille en son sein une école vieille de plus de 125 ans. Le portail sur lequel est gravé CSSPC est lourd, grinçant. C’est Louis(sse), l’homme à tout faire, la soixantaine, à la fois plombier, électricien, urgentiste, mécanicien, concierge, qui nous reçoit les mains couvertes de cambouis. Pas rasé depuis au moins trois jours, de longues moustaches sel et poivre, un bedon visible sous sa chemise à carreau mal lavée, un chapeau en osier sur la tête, il nous lance dans un français approximatif un « bienvenue, prière de me suivre ».


Le quotidien de sœur Émilie Jérôme en trois images.


Quelques pas plus loin apparaît sous un soleil de plomb le dos de sœur Émilie. Elle est penchée sur le moteur d’une voiture qui fume. « Ya Louisse, je ne comprends pas ce qui se passe, tu es nul », dit-elle. Puis, se retournant et balayant l’espace de son regard sévère : « Bonjour cher L’Orient-Le Jour, bonjour madame… Mais… Carla Henoud, c’est toi ? Quelle heureuse surprise, on ne m’avait pas prévenue. Ya habibté vous n’avez pas changé, toujours aussi petite ! Tfadalé. »

Elle est exactement comme on s’en souvient ou comme on l’imagine, sœur Émilie Jérôme de l’Enfant Jésus, qui dit tout haut ce qu’elle pense tout haut… La robe gris-vert, le col blanc Claudine sur lequel son nom et celui de sa congrégation sont brodés en italique, une cornette rigide qui lui donne un air d’ovni prêt à décoller. Puis des gants démesurés, de vaisselle ou de jardinage, rouges, jaunes ou bleus en fonction des saisons, et des bottes assorties, les pieds inversés. « Depuis quelques années, je suis obligée de mettre la droite à la place de la gauche, j’ai un Hallux Valgus, une sorte d’oignon qui me pousse aux orteils et les déforme. En tout cas, ce n’est pas ton affaire… » « Approche-toi, je me souviens de toi, kenté une élève plutôt sérieuse », dit-elle sans sourire.


Le quotidien de sœur Émilie Jérôme en trois images.


Surprenant personnage qui n’oublie rien, sauf son âge, – n’avouant que « soixante-atorze ans, peut-être plus, je ne sais plus » –, mais qui n’a aucun problème à déclarer : « Je suis la laideur incarnée. Mes parents me répétaient souvent “heureusement que tu es unique”. Ils n’étaient doués en rien, mais ils avaient des valeurs, comme moi… »

Derrière ses lunettes rondes, son visage passe d’une relative sérénité à une colère totale sans transition. Très mince, voire maigre, le dos voûté en une bosse qu’elle a « eu sur le tard », une canne pour seule amie, elle marche en vous toisant du regard, balançant ses longs bras d’avant en arrière. Du signe de la Vierge « quoique... », elle précise : « Du signe de la Croix, plutôt ! » Et si l’on ose esquisser un sourire, elle lance immédiatement un « sois sage Carla ! ».

Dans un coin de la terrasse, une table couverte d’une nappe en toile cirée fleurie est dressée, avec quatre verres de sirop de mûres et une assiette de douceurs arabes. « Pourquoi vos collègues ne sont pas venus avec vous ? » lance-t-elle, jugeant probablement l’attention qui lui est accordée pas à la hauteur. Elle s’installe, passant sans cesse du vous au tu, en poursuivant : « Ce couvent est ma maison. Ma mère m’y a envoyée quand j’avais atorze ans. Elle était très croyante. Elle pensait que j’y trouverais l’inspiration et, surtout, que je ne pourrais jamais me reproduire. Elle m’aimait, à sa manière… »


Le quotidien de sœur Émilie Jérôme en trois images.


Une odeur de sainteté

Après avoir achevé sa scolarité au couvent, obtenu son brevet, puis son bac, « première et deuxième partie, sans mention », elle rejoint les ordres, même si elle avoue : « Moi, j’aimais chanter. J’aurais voulu être une artiste. » « Lorsque j’ai intégré le couvent, c’est mère Marie Clytemnestre, qui était alors la mère supérieure, qui s’est occupée de moi. Aujourd’hui, elle a un pied dans la tombe et se déplace en chaise roulante ; elle perd un peu la tête, entend quand elle veut et oublie tout. D’ailleurs, je dois la récupérer, je l’ai attachée à l’arbre il y a deux heures pour sa sieste. Elle a peut-être cramé. » « Ya Louisse, ramène-la dans sa chambre, vite… Et assure-toi qu’elle respire encore ! » Et d’ajouter : « J’ai l’air dure, mais j’ai du cœur… » Il nous a semblé l’avoir entendue marmonner : « Je veux être ma mère avant ma mort, à la place de mère Ernestine, une vraie atastrophe. » Mère Ernestine dont elle se plaît à dire : « Elle mesure un mètre atre-vingt-atorze, pèse une tonne atre-vingt-atorze, et nous a servi de barricade pendant la guerre civile. »

Mais tout le monde au couvent sait que le cœur de sœur Émilie penche surtout pour frère Émile, « un saint », qui lui a tout appris. La générosité, l’enseignement – « je donne même des cours d’éducation sexuelle », dit-elle –, la prière, la gestion du couvent, de l’orphelinat, les lignes rouges et la discipline. « Je dois reconnaître qu’il est un peu plus doux que moi. » C’est d’ailleurs lui qui, le premier, a envoyé un message vocal qui a fait le tour des réseaux sociaux, dans lequel il demande aux élèves de se rendre à l’école malgré la fermeture des routes aux premiers jours de la thaoura libanaise. La réponse de Monsieur Khalifé, parent d’élève, au frère Émile fait alors sortir sœur Émilie de ses gonds. Assistée de Louis qui lui apprend les rudiments de WhatsApp, elle lance alors son premier : « Ceci n’est pas possible, ceci est inadmissible, inacceptable, inconcevable, paradoxal, incohérent, insoutenable, absurde… »

Depuis, et lorsqu’elle n’est pas en train d’engueuler sœur Luth, « mononote, elle fait partie de la chorale et chante comme un pied » ; sœur Huguette, qui oublie souvent de porter ses chaussures ; Jonathan Jason Khalifé ou d’autres élèves indisciplinés, sœur Émilie Jérôme de l’Enfant Jésus – « je ne mérite pas d’avoir le Seigneur dans mon nom, confie-t-elle — continue de partager ses coups de colère contre un monde dont elle voit tous les dysfonctionnements. « Tout ce qui m’énerve, j’en parle, puis je bois un coup de Black Jack Daniels et je descends me confesser dans la foulée. »

Lorsqu’on la quitte, après avoir partagé quelques souvenirs d’enfance, en jetant un dernier regard sur cette sœur qui se veut plus méchante qu’elle ne l’est réellement et qui est beaucoup plus drôle qu’elle ne le croit, on l’attrape en flagrant délit d’humanisme : un regard tourné vers le vide, un signe de croix, et un voile de mélancolie. Sans doute ses propres souvenirs d’enfance qui la saisissent au détour d’un silence et qu’elle ne partagera avec personne. Sauf, peut-être, frère Émile.


Quelques phrases cultes

« Ceci n’est pas possible, ceci est inadmissible, inacceptable, inconcevable, paradoxal, incohérent, insoutenable, absurde... »

« Cette pauvre prof de mathématiques, Madame Racine, elle marche en tangente, toujours en train de chercher X. »

« Si ton mari est un dinosaure, tu es un cataclysme, une catastrophe, une calamité, un désastre, une tragédie, l’apocalypse, la fin du monde. »

« Mère Marie Felix, éloignez-vous du confessionnal, diminuez vos péchés, dépêchez-vous... et arrêtez de prêcher ! »

« Son colon est tellement irrité que ses pets sont plus concentrés que ses élèves ! Ses pauvres élèves qui sont décapés et presque décapités. Ils essayent de s’adapter, mais ils n’arrivent pas à capter ! »

« J’aimerais bien avant ma mort devenir ma mère à la place de ma mère. »

« N’est-ce pas qu’à force de mordre on devient morderon ? »

« Donnez-leur un coup de main avant que je ne vous envoie un coup de poing ! »

« Arrêtez vos recettes de grandes merdes… »

« Melania bonjour… Je voudrais bien avoir un rendez-TFOU avec le Dr Trump... votre mari. »

« Nous avons perdu atorze religieuses d’intoxication préventive et les autres suivent… »

« Il a bu de la mauvaise bouteille... il a 2araté son coup ! »

« Le nez en dehors de la muselière, c’est comme un caleçon sans bandoulière ! »

« Serait-il le Saint-Esprit en un comprimé ? »

« J’ai été attrapée en flagrant délice... »

« Sœur Blanche est devenue bleu gitane ! Si elle pète, elle désinfecte le couvent. »

« Wa choukran ! »



Ses phrases sont devenues cultes, sa voix est reconnaissable entre toutes et son caractère franchement mauvais. Si sœur Émilie Jérôme de l’Enfant Jésus est apparue sur les réseaux sociaux un beau jour d’octobre 2019 sans s’annoncer, le 30 exactement, ses messages vocaux sont vite devenus viraux ; un succès confirmé par la série de messages audio qu’elle a créés pour le projet,...

commentaires (8)

C'est un croisement de beécassine et de la Sidonie de Bob et Bobette.

Christine KHALIL

01 h 20, le 06 juillet 2020

Tous les commentaires

Commentaires (8)

  • C'est un croisement de beécassine et de la Sidonie de Bob et Bobette.

    Christine KHALIL

    01 h 20, le 06 juillet 2020

  • Excellent!!

    Yammine Darine

    23 h 10, le 02 juillet 2020

  • ha ha pensais que "Soeur Emilie Jerôme" était juste un pseudo

    Zebouni Joelle

    15 h 03, le 02 juillet 2020

  • On vous adore ??! Continuez ! Vous êtes une pouffée de sauvetage pour le peuple libanais Que le Bon Dieu vous donne toutes les graces pour que vous puissiez continuez à nous amuser et pour que vous soyez une future ma mère modèle , exemplaire , incommensurable , extraordinaire Amen !?

    Noha Baz

    12 h 56, le 02 juillet 2020

  • Il faut certainement payer un droit pour voir le visage qui passe d’une relative sérénité à une colère totale sans transition…

    Hippolyte

    09 h 29, le 02 juillet 2020

  • Très drôle mais il y a quand même un mystère et je vous saurais gré de l'éclaircir: Alors que premier message paraissait crédible (en tous cas j'ai cru à son authenticité probable sinon possible), tous les suivants sont comme d'une autre personne, surjoués, excessifs et donc inopérants pour moi.

    M.E

    09 h 00, le 02 juillet 2020

  • TRES DROLE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 00, le 02 juillet 2020

  • Un délice..."wa un choukran hénorme!"

    Wlek Sanferlou

    04 h 06, le 02 juillet 2020

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