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Lifestyle - Portfolio

Les balcons de Beyrouth

C’est une invitation au voyage que « L’Orient-Le Jour » vous propose, une fois par mois, dans cette ville que l’on aime détester. Pour découvrir ou retrouver les indices de ses changements, retrouver les traces de son charme qui résiste au temps, aux promoteurs voraces ; lui dire qu’elle est belle dans son chaos, courageuse dans son combat contre toutes les guerres qui la meurtrissent dans sa chair. La remercier, enfin, d’exister, d’alléger nos désespoirs en nous séduisant encore, et de retenir nos envies de partir. À travers une conversation entre des photos proposées par des professionnels et les mots de la rédaction, nous dresserons un portrait de cette ville comme ses habitants la perçoivent : unique. Et pour démarrer la série : les balcons, leur charme discret ou indiscret, et leurs multiples visages.

Balcons à Beyrouth. Photo Ayla Hibri

Copies conformes

Ni tout à fait les mêmes ni tout à fait autres, ces façades de vie donnant sur rue (populaire) s’alignent côté à côte, consentantes, les flancs collés, plurielles. Sœurs siamoises, en apparence seulement, elles deviennent multiples et cachent une intimité différente, (sur)peuplée d’histoires, d’ambiances, de bruits et de murmures, qui leur appartient. Mais elles parlent toutes ce même langage des familles nombreuses qui fixent le même horizon, proche, limité. Les gestes se ressemblent, souvent, dans une promiscuité naturelle qui semble ne déranger personne. Et lorsque les rideaux s’ouvrent sur ce désordre organisé, sur cette centaine de vies, on sort, on fixe sans la voir une avenue sans âme, on se parle, entre voisins d’infortune, en grillant une cigarette de plus. On s’invite dans ces intérieurs découpés dans un même moule, eux aussi ni tout à fait les mêmes ni tout à fait différents. Et puis, la nuit venue, comme on tire une dernière révérence, les rideaux se referment sur les jardins secrets de ces familles nombreuses. Les rayures ressemblent alors à des yeux ouverts sur une nuit blanche, cachant derrière leurs regards linge, tapis, chaises en plastique, frigo, bonbonnes de gaz. Les enfants grandiront un jour et seront à leur tour ces adultes qui partagent avec leurs voisins si proches une vie qui n’aura hélas pas trop de chances de changer. Dans une même photo souvenir collective.

C.H.


Un réseau de surveillance

Accoudées à leurs balustrades aux motifs baroques ou jetant un regard inquisiteur à travers les rideaux boursouflés par le vent, dans certains quartiers de la ville, les Beyrouthines tissent de balcon en balcon le plus redoutable des réseaux de surveillance. Ces espaces-là sont leurs yeux indiscrets, posés sur les vies de tout le quartier. De ces visages de passage dont elles ne connaissent même pas le nom, elles scannent et savent pourtant tout, jusque dans les moindres détails. Prises en flagrant délit, elles offriront un tfaddal pour se faire pardonner… En fait, ces vieilles dames se sentent si vulnérables lorsqu’elles sortent, et maintenant plus que jamais avec la pandémie, qu’elles ont fait de leurs balcons leurs seules et uniques fenêtres sur le monde, sur dehors. Entre la mosaïque au sol et les murs fendillés que dévore du lierre, le temps passe à un autre rythme, bercé par le tendre grincement de leurs balancelles ou le ronronnement d’un ventilateur antédiluvien. Les journées s’y étirent au gré de discussions autour d’une partie de cartes, à la cadence d’un vieux panier qui dégringole lentement chez l’épicier, d’une grille de mots fléchés, d’un chapelet paisiblement égrené ou d’un feuilleton mexicain puis, le soir venu, sans doute, la peur de ce que réserve demain à ces espèces en voie de disparition.

G.K.


Bribes de vies

Suspendus, peut-être même flottant entre le privé et le public, entre l’intimité et l’extérieur, entre le caché et l’affiché, les balcons de Beyrouth révèlent des bribes de vies qu’on déchiffre à travers un capharnaüm de plantes ou des rideaux en tergal striés. Doux voyeurisme. Silhouettes d’un couple qui se déchire comme dans une toile de Hockney, tête baissée d’un père de famille face aux vomis de mauvaises nouvelles à 20h, murmure d’un coup de fil secret dans la nuit, chagrin d’amour que l’on vient blottir dans une brise de passage, belle étrangère alanguie et langoureuse dans sa tenue d’intérieur, fantasme de la girl next door, l’imagination se charge ensuite de reconstituer le puzzle domestique qui se trame à l’intérieur. Les balcons montrent ce que cachent les portes closes. Ils sont aussi le berceau des rituels de famille. C’est là même que l’on apprend à faire ses premiers pas, que l’on révise son brevet puis son bac, que l’on souffle en dépliant le journal alors que le café frétille encore dans sa rakwé. C’est là que les tables d’anniversaire ou celles des repas de famille déploient toutes leurs couleurs, que rires et dés jetés résonnent dans la nuit, et que les volutes de cigarettes ou narghilés s’envolent et s’en vont en rejoindre d’autres, sur les balcons alentour.

G.K.


Vu de l’intérieur

Derrière les volets en bois qui grincent et murmurent les douleurs du temps qui passe, derrière la cuisine où les femmes de ce foyer, de grands-mères en filles, passent le plus clair de leur temps à se donner des recettes anciennes, le balcon devient une extension de leurs intérieurs, la continuité de leur quotidien et de leurs rituels, une douce expression de soi. Réchauffés par les murs en pierre, en hiver, rafraîchis en été, les bottes d’ail cloués au mur, les légumes secs, les bouquets d’oignon et autres mounés de saison trouvent leur place naturellement auprès du linge suspendu, lavé à la main, et qui sent bon la lavande. Suspendues, également, avec des pinces à linge de toutes les couleurs, des bribes d’une vie simple. Le sac à dos du fiston qui lui sert de cartable, les chiffons et les serpillières usés par trop de poussière, les slips, les pyjamas, les chaussettes, les collants et le bonnet de douche… Le tout dans une cohabitation réussie, teintée d’un humour involontaire qui ressemble à de la tendresse. Les vieilles marmites en acier brûlées par trop d’utilisation sont adossées au mur, prêtes à servir. Toute cette intimité cachée loin de la rue, loin du bruit, respire le silence et souffle au visiteur toujours bienvenu les parfums épicés et colorés du passé.

C.H.



Des histoires de départ

Que raconte un balcon vide ? De la pudeur, la peur de se dévoiler, des envies d’isolement ou des horreurs domestiques recluses derrière des volets baissés ? Tout cela, au choix, et plus sans doute. Mais à Beyrouth, un balcon désert évoque essentiellement l’idée de départ qui nous colle à la peau depuis toujours. Vidés de leurs meubles, de leurs plantes et du linge qu’on y étend, vidés de leurs vies, ces espaces dépeuplés disent l’histoire d’une famille partie tenter sa chance ailleurs, sur les chemins de l’émigration. Celle d’une maison qui s’apprête à être vendue et pleure sa vie d’avant. Celle d’un propriétaire qui a finalement gagné son procès contre ses vieux locataires ou d’une vieille dame envoyée dans une maison de retraite. Les balcons vides fleurent bon les boulettes blanches de naphtaline. On les déverse dans chacun des recoins de la maison, dans les armoires, au creux des tapis enroulés ou des meubles recouverts de draps blancs, avant de s’en aller retrouver les maisons d’été qui dorment le restant de l’année. Les balcons vides sont une invitation à larguer les amarres, claquer la porte et rouler dans le vent, loin, vers la mer ou la montagne. Ils sont des planches de théâtre endormies qui attendent d’être réveillées, une fois le rideau levé par un retour ou une nouvelle histoire (de famille) à jouer.

G.K.


Le seuil de la maison

Deux petites marches, presque au niveau du trottoir, et nous voici dans un autre monde teinté de nostalgie, déjà, même si à l’extérieur. Dans les vestiges d’une maison qui n’en peut plus de vieillir et de perdre son lustre passé et que personne ne se décide à sauver. Ici, au haut de ces deux petites marches, devant une porte presque toujours ouverte, l’hospitalité est de mise, le ahlan wa sahlan au bout de tous les sourires. Ce balcon est déjà une modeste salle de réception pour les chaudes après-midis qui transpirent. Pour le frère qui passe, crasseux, pressé de repartir fermer son garage. Pour la jara qui ne jouera pas aux cartes aujourd’hui. Pour la petite-fille, de passage dans le quartier, qui a juste le temps d’embrasser sa grand-mère, assise dans le coin, en train de tricoter. Alors pour tout décor, dans cette architecture traditionnelle que les grues des entrepreneurs menacent d’anéantir, les graines sont semées dans des pots de toutes tailles, tout ce qui se trouve à portée de main. Les boîtes en fer de lait Nido en poudre, de Crisco, qui ont bercé nos enfances, ont été remplacées par du plastique. Et, coronavirus oblige, les plantes décoratives par des légumes et des fruits à consommer au nom d’une vie plus saine. Comme pour donner à ce balcon l’espoir de l’immortalité.

C.H.

Copies conformes Ni tout à fait les mêmes ni tout à fait autres, ces façades de vie donnant sur rue (populaire) s’alignent côté à côte, consentantes, les flancs collés, plurielles. Sœurs siamoises, en apparence seulement, elles deviennent multiples et cachent une intimité différente, (sur)peuplée d’histoires, d’ambiances, de bruits et de murmures, qui leur appartient. Mais...

commentaires (1)

Les photos affichées sont assez folko et traditionnelles. Ce n'est pas mal. comme batisses Cependant, la première photo représentant les 2 immeubles siamois comme vous dites: avec tout le bazar exxterne: c'est tout simplement "une pollution visuelle". On peut vivre dans des immeubles anciens, modestes voire pauvres mais respecter et faire respecter l'aspect externe. C'est un concept qui n'existe pas au proche orient c'est vrai. En france, pauvres ,modestes ou non, les immeubles sont "nickels" de l'extérieur et des obligations d'entretien sont imposées aux propriétaires ou gérants d'immeuble. Oui c'est une autre mentalité mais au final, la ville respire et elle parait plus belle. C'est un effort collectif bref... On ne refera pas le pays et les modes de vie :)

LE FRANCOPHONE

01 h 31, le 30 mai 2020

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Commentaires (1)

  • Les photos affichées sont assez folko et traditionnelles. Ce n'est pas mal. comme batisses Cependant, la première photo représentant les 2 immeubles siamois comme vous dites: avec tout le bazar exxterne: c'est tout simplement "une pollution visuelle". On peut vivre dans des immeubles anciens, modestes voire pauvres mais respecter et faire respecter l'aspect externe. C'est un concept qui n'existe pas au proche orient c'est vrai. En france, pauvres ,modestes ou non, les immeubles sont "nickels" de l'extérieur et des obligations d'entretien sont imposées aux propriétaires ou gérants d'immeuble. Oui c'est une autre mentalité mais au final, la ville respire et elle parait plus belle. C'est un effort collectif bref... On ne refera pas le pays et les modes de vie :)

    LE FRANCOPHONE

    01 h 31, le 30 mai 2020

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