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Moyen-Orient - Reportage

À Gaza, le coronavirus a un effet accélérateur sur les mariages

Dans l’enclave palestinienne, les jeunes couples doivent souvent emprunter de l’argent pour pouvoir organiser le mariage de leurs rêves, au risque de ne pas pouvoir rembourser leurs dettes. Les restrictions imposées pour endiguer toute propagation du coronavirus ont paradoxalement poussé de nombreux couples à précipiter la tenue de leurs noces pour organiser de petites cérémonies à domicile et ainsi économiser des milliers de dollars.

Des mannequins vêtus de robes de mariée, dans une vitrine à Gaza. Mohammad Abed/AFP

Rawan el-Helou en rêvait depuis son plus jeune âge. Une grande salle de réception au bord de la mer, une robe crinoline immaculée, la musique qui se mêle au murmure des vagues : ce serait le plus beau jour de sa vie. « Je voulais être heureuse et avoir un beau mariage, comme les autres filles. Puis le coronavirus est arrivé », soupire la jeune femme de 23 ans. Ce soir, l’homme qui va devenir son mari viendra la chercher ici, dans la maison de ses parents, pour la conduire dans son nouveau foyer. Il y aura aussi un petit repas à domicile pour les proches et une réception dans la maison des voisins avec les femmes, mais – pandémie oblige– pas la grande célébration dont elle avait imaginé chaque détail.

« Ma fille et moi aurons donc eu le même genre de mariage : elle pendant la crise du coronavirus et moi lors de la première intifada. Il y avait un couvre-feu à l’époque, donc moi non plus je n’ai pas pu organiser une vraie cérémonie. Je me souviens encore de l’éclat des coups de feu, raconte avec un petit rire Imane, la mère de Rawan. Ce n’est pas ce que je voulais pour elle, mais nous ne pouvions pas non plus repousser le mariage indéfiniment. Elle est fiancée depuis neuf mois tout de même et nous ne savons pas quand cette crise prendra fin. »

La bande de Gaza a enregistré 61 cas, dont un décès, depuis l’annonce d’une première contamination au Covid-19 le 22 mars, selon les autorités locales. Si une contagion de masse pourrait avoir des conséquences désastreuses dans cette enclave densément peuplée, pauvre et au système de santé moribond, le blocus décennal imposé par Israël a finalement constitué un bouclier particulièrement efficace pour éviter toute infiltration du virus. En plus de fermer ses « frontières » et d’imposer une quarantaine obligatoire aux nouveaux arrivants, le Hamas, l’organisation islamiste en charge du territoire, a également interdit les grands rassemblements, dont les mariages.

Et pourtant, les noces se multiplient dans une bande de Gaza enclavée et confinée. Paradoxalement, les restrictions imposées pour endiguer les contaminations ont poussé de nombreux amants à organiser de petites cérémonies à domicile et ainsi économiser des milliers de dollars. « Si vous décidez que les apparences sont si importantes, alors les dépenses seront nombreuses. Et dépenser tout cet argent pour une fête, c’est prendre le risque de s’endetter, souligne Moamen, le mari de Rawan. Mais si vous organisez un mariage à moindre coûts, vous pouvez à la place utiliser cet argent pour assurer votre avenir. »

Traditions

En temps normal, ne pas organiser de mariage fastueux serait particulièrement mal vu dans la société gazaouie. La pression est telle que de jeunes hommes n’hésitent pas à emprunter de l’argent auprès de sociétés spécialisées et contractent des dettes qui s’élèvent parfois à plusieurs milliers de dollars - une fortune dans un territoire où plus d’un habitant sur deux vit sous le seuil de pauvreté, soit avec moins de 5$ par jour. La crise sanitaire liée au Covid-19 est donc devenue l’excuse parfaite pour se marier à moindre coût tout en évitant l’opprobre.

« Je connais de nombreux Gazaouis qui ont réussi à dépenser moitié moins en organisant leurs noces durant cette période », assure Jihan Abou Okal, qui gère dans le camp de Jabaliya un salon de coiffure et de maquillage spécialisé dans les mariages. Une tendance qu’elle voit d’un bon œil, tant les noces peuvent devenir un fardeau économique pour les familles précaires. Cette éminente experte en unions sacrées met en garde contre les sociétés de prêts qui « escroquent les jeunes Gazaouis en leur chargeant des taux d’intérêt mirobolants », martèle-t-elle entre deux gorgées de thé, une fois son salon vidé de ses dernières clientes. « Mon conseil : mariez-vous avec l’argent que vous avez et essayez de réduire les coûts, mais ne vous tournez pas vers ces compagnies. Il vaut mieux être patient et attendre un an ou deux, le temps d’économiser suffisamment d’argent », avise Jihan.

Yasser Ahmad el-Basyouni, 31 ans, garde un souvenir amer de sa célébration de mariage, payée grâce à un prêt. « Je n’avais pas l’argent pour louer une salle ni pour préparer la nourriture pour les invités, comme c’est la tradition dans notre société palestinienne. Je suis l’aîné de ma famille, donc je me devais d’apporter de la joie dans notre maison. Mais la joie s’est transformée en pleurs », regrette-t-il. En avril 2017, ce vendeur dans un magasin de vêtements emprunte 25 000 shekels (environ 7 000$) auprès d’une agence de crédit pour pouvoir organiser son union. « Parfois, le propriétaire de l’agence se montrait compréhensif, alors que je ne travaillais que par intermittence, et repoussait mes échéances d’un mois ou de deux. Parfois pas. J’ai été arrêté une première fois et gardé en prison jusqu’à ce que je paye le montant dû ce mois-là. » Yasser est alors contraint de vendre l’or qu’il avait offert comme dot à sa femme. Mais les recouvrements de créance se succèdent. Il sera arrêté six fois en tout. « Le juge n’a pas tenu compte de ma situation financière ni du fait que je venais tout juste de me marier. Ça m’a beaucoup déçu. J’espère qu’aucun jeune homme qui s’apprête à franchir le pas ne traitera avec ces sociétés. »

Rawan el-Helou en rêvait depuis son plus jeune âge. Une grande salle de réception au bord de la mer, une robe crinoline immaculée, la musique qui se mêle au murmure des vagues : ce serait le plus beau jour de sa vie. « Je voulais être heureuse et avoir un beau mariage, comme les autres filles. Puis le coronavirus est arrivé », soupire la jeune femme de 23 ans. Ce soir,...

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