Le couvre-feu imposé dans le cadre de la lutte contre le coronavirus aidant, il est difficile de ne pas entendre, dans le silence des nuits, le vrombissement fréquent de drones et d’avions israéliens, qu’ils survolent simplement le territoire libanais ou qu’ils utilisent son espace aérien pour mener des frappes en Syrie contre des cibles liées à l’Iran et à ses supplétifs, notamment le Hezbollah.Pas plus tard que mercredi dernier, un drone de reconnaissance israélien a survolé le Liban-Sud et l’Anti-Liban, une opération loin d’être orpheline : tirs de fusées éclairantes, incursions en territoire libanais, survols massifs d’avions de chasse et de drones israéliens, notamment au-dessus de Beyrouth, sont monnaie courante ces dernières semaines. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, l’a relevé mercredi soir dans le cadre de sa présentation sur le Liban devant le Conseil de sécurité. Que signifie ce regain d’activité ? L’État hébreu prépare-t-il quelque chose au Liban-Sud ? Cherche-t-il à modifier le statu quo à son profit dans cette région, à un moment où l’on parle de réduire les effectifs de la Force intérimaire de l’ONU (Finul), en raison de la crise mondiale, ou bien s’efforce-t-il simplement de tester les intentions du Hezbollah parallèlement à l’escalade à laquelle il recourt en Syrie ? De fait, les frappes israéliennes se sont multipliées dans le pays voisin – pas moins de cinq en deux semaines – visant à accentuer la pression sur l’Iran. Outre la fréquence des raids, on assiste à un élargissement du rayon géographique des hostilités, visant désormais des provinces éloignées, comme Alep et Deir ez-Zor. Les attaques sont menées contre des bases militaires, mais aussi contre des convois qui, selon les Israéliens, transportent des armes. Le 15 avril dernier, un véhicule civil appartenant à des combattants du Hezb a été détruit au poste syrien de Jdeidet Yabous, à la frontière avec le Liban, par un drone : ses passagers en ont réchappé de justesse.
Rôle « grandissant » du Hezbollah
Mohanad Hage Ali, chercheur au Carnegie Middle East Center, lie les tensions au Liban-Sud, la question du renouvellement de la Finul et les frappes israéliennes en Syrie au « rôle grandissant du Hezbollah en Syrie et dans la région, notamment en Irak ». Le chercheur estime que ce regain trouve son origine dans l’assassinat en janvier du général Kassem Soleimani, homme fort de l’Iran dans la région, lors d’une opération américaine, et au fait que son successeur à la tête de la brigade al-Qods des gardiens de la révolution, Esmaïl Qaani, est davantage un connaisseur de l’Afghanistan que du Moyen-Orient.
« Cette succession qui s’est faite dans l’urgence a conféré au Hezbollah, plus impliqué dans la région que le nouveau responsable iranien, un rôle grandissant, dit-il. Dès après les funérailles de Soleimani, le secrétaire général adjoint du parti, Naïm Kassem, a déclaré que le Hezbollah se trouve désormais face à de nouvelles responsabilités. Et ce changement s’est fait sentir en Syrie : la présence du parti s’est clairement étendue. On a vu (les combattants du Hezbollah) s’impliquer dans la bataille d’Idleb, ce qui se serait heurté, auparavant, à un refus iranien. »
Selon Mohanad Hage Ali, le Hezbollah chercherait aujourd’hui à « instaurer une présence durable et continue en Syrie par la construction d’infrastructures stables, et les Israéliens, de par leurs attaques aériennes, tentent de l’en empêcher ».
Israël « joue à un jeu bien rodé » avec le Hezbollah, mais il a ses limites, affirme de son côté Mohammad Obeid, analyste proche des vues du parti chiite. « Je pense qu’Israël craint la puissance militaire stratégique du Hezbollah, d’Iran et du régime en Syrie. » Selon lui, « le régime, qui a vaincu les groupes terroristes avec l’aide de ses alliés, garde en tête l’option stratégique de la libération du Golan et, pour ce faire, a réussi à constituer cette force militaire centrale qui inquiète les Israéliens ».
Disant se baser sur des informations et non sur de simples analyses, M. Obeid affirme que les trois alliés ont réussi, en grande partie, à mettre leurs installations à l’abri des frappes israéliennes. « Les bombardements visent souvent des convois considérés comme transportant des armes au profit du régime syrien, dit-il. Mais le Hezbollah connaît bien la tactique israélienne et les bombardements n’atteignent que 10 % de leurs objectifs dans le meilleur des cas. Les avions ciblent souvent aussi les bases militaires et les centres, mais les Israéliens affirment souvent qu’il s’agit d’usines pour la production de missiles de précision, ce qui n’est pas le cas. De toutes les manières, le succès israélien dans l’affaiblissement de la force militaire syrienne et alliée reste limité. »
Attaquer ou laisser faire ?
Mais peut-on craindre que le front du Liban-Sud ne s’embrase à nouveau ? « Telle est la grande question, répond Mohanad Hage Ali. Il faut retenir un certain nombre d’indicateurs. D’une part, il y a cette escalade en Syrie. D’autre part, on ne peut occulter les développements à l’intérieur d’Israël. Après de longues tractations, nous assistons à la formation d’un gouvernement d’union nationale suite à une entente entre le Premier ministre Benjamin Netanyahu et son ex-adversaire politique Benny Gantz. » Or, selon le chercheur, l’histoire a montré que les gouvernements d’union nationale en Israël sont plus enclins à se lancer dans des guerres, peut-être en raison du fait que le consensus est plus facile à obtenir dans ce cas, trouvant que la configuration ressemble à celle qui avait précédé l’attaque de juillet 2006.
Toutefois, rappelle M. Hage Ali, « un indicateur n’est en aucun cas une preuve formelle ». « Il existe un autre scénario, tout aussi plausible, poursuit-il. Les Israéliens peuvent ne pas passer à l’offensive et regarder tranquillement le Liban se désagréger. Ce pays, après tout, se débat dans des crises multiples : économique, financière, sociale, du fait de la contestation populaire, sanitaire avec le coronavirus… Il y a quelques années, un analyste israélien écrivait, parlant des pays arabes, qu’il fallait les “laisser se suicider”. Cette option pourrait paraître d’autant plus séduisante aux yeux du nouveau gouvernement israélien que sa priorité est le redressement économique interne, notamment en vue de juguler les conséquences de la pandémie. »
Il se demande cependant si la tentation de l’aventure guerrière ne se manifesterait pas du côté libanais, en d’autres termes si le Hezbollah lui-même ne provoquerait pas de conflit, pour sortir d’une impasse interne. « Cette option serait cependant très risquée pour le Hezb, souligne-t-il. On lui reprocherait de précipiter un pays en crise dans une guerre, et il devrait alors assumer intégralement le poids de l’effondrement qui s’ensuivrait. »
L’expert pense donc que le risque d’une escalade au Liban-Sud existe, mais qu’il reste limité pour le moment. « On remarque notamment que les frappes israéliennes en Syrie se concentrent jusqu’ici sur la destruction d’infrastructures construites par le Hezbollah, plutôt que de cibler des combattants, ce qui aurait pu l’obliger à riposter, explique-t-il. C’est comme si l’objectif de ces frappes est d’empêcher qu’il ne s’installe durablement dans ce pays, plutôt qu’autre chose. D’ailleurs, comme le remarquait récemment James Jeffrey, représentant spécial des États-Unis pour l’engagement en Syrie, l’Iran et ses alliés sont moins puissants en Syrie qu’au Liban et en Irak, peut-être en raison de l’influence russe ou encore de la nature du régime syrien qui possède les outils pour limiter l’ingérence dans ses affaires internes. Ou encore compte tenu du fait que le milieu chiite est moins présent en Syrie que dans les deux autres pays. »
Brèches ouvertes sur la frontière
De son côté, et malgré l’intensification des frappes, Mohammad Obeid estime qu’il n’y a rien de vraiment nouveau dans le conflit entre les deux parties, notant cependant « l’instabilité politique sur la scène interne israélienne ». « Netanyahu profite du temps perdu et de la diversion créée par la crise mondiale du coronavirus pour mener ses opérations », poursuit-il.
Il ajoute cependant que « la seule nouveauté en l’occurrence est celle de l’action du Hezbollah qui a suivi le ciblage du véhicule de ses militants en Syrie le 15 avril dernier. Les médias ont relevé que le Hezbollah a ouvert une brèche sur la ligne frontalière, mais en vérité, il en a ouvert trois, assure-t-il. Cette action est, d’une part, un message à l’ennemi, qui montre que le Hezbollah peut changer les règles du jeu à n’importe quel moment, et, d’autre part, que le parti a clairement lié le front syrien au Liban-Sud ».
N’est-ce pas mettre le Liban en danger d’un embrasement du front méridional ? « Je ne pense pas qu’une guerre, ni même une bataille limitée soient une option, répond M. Obeid. Israël ne peut se lancer dans une aventure que ni les États-Unis ni personne ne peuvent couvrir dans les circonstances actuelles. D’autant plus que le Hezbollah a tout à fait les moyens de riposter. »
commentaires (12)
Ils sont rusés et fourbi comme on dit en Italien les sionistes laissent les pays arabes à se déchirer et ils reussîssent , les gagnants sont les sionistes
Eleni Caridopoulou
21 h 04, le 17 mai 2020