Rechercher
Rechercher

Moyen-Orient - Syrie

À Idleb, la colère monte contre Hay’at Tahrir al-Cham

Alors qu’il tente d’améliorer son image vis-a-vis de l’extérieur, le groupe jihadiste use de méthodes de plus en plus contestées à l’intérieur de la dernière province rebelle.


Deux jeunes Syriens sur le toit endommagé d’un immeuble à Nayrab, une ville de la province d’Idleb. Bakr Alkasem /AFP

« La trêve, c’est haram et le point de passage, c’est halal ? » Dans les provinces d’Idleb et d’Alep, de nouvelles tensions entre la population et le groupe jihadiste Hay’at Tahrir al-Cham (HTC- ex-branche d’el-Qaëda en Syrie) sont apparues ces dernières semaines, après que des habitants furent descendus dans les rues de plusieurs villes, pour dénoncer le projet des autorités d’ouvrir un point de passage vers des territoires tenus par le régime. En pleine crise mondiale du coronavirus, les habitants craignent notamment que la maladie ne se répande dans les territoires sous contrôle rebelle (qui ne déplorent aucun cas mortel), alors que les zones loyalistes sont touchées. Mais la crainte d’une contamination n’explique pas tout. Alors que le président Bachar el-Assad s’est dit déterminé à reprendre les territoires tenus par les jihadistes dans le Nord-Ouest, un point de passage destiné au commerce avec les zones sous contrôle du régime menace directement la sécurité des millions d’habitants refusant de vivre sous son joug. « Les gens ont rejeté catégoriquement cette initiative parce qu’ils ont une peur bleue du régime et qu’il y ait des arrestations », explique via WhatsApp Nizar, un activiste d’Idleb. Face à la contestation, des combattants de HTC ont interpellé des activistes et des journalistes, et des manifestants ont été la cible de tirs.

Lire aussi

Coronavirus : un "désastre en gestation" en Syrie

« À Maarret al-Naaman, leurs jeeps roulaient sur les gens et des soldats ont tiré en l’air pour disperser la foule, ce qui a entraîné la mort d’un jeune et blessé plusieurs autres », poursuit Nizar. HTC et son gouvernement du salut (sa vitrine politique formée en novembre 2017 qui concurrence le gouvernement provisoire établi par l’opposition en exil à Gaziantep) sont largement contestés dans leur fief mais il reste le groupe armé le plus puissant. Au terme d’une offensive en janvier 2019 contre les factions rebelles regroupées au sein du Front national de libération (FNL), une coalition appuyée par la Turquie, HTC était parvenu à son objectif : devenir seul maître à bord d’Idleb, le dernier grand bastion de l’opposition anti-Assad. Depuis, le groupe a souvent été accusé de n’avoir pas défendu son fief face à l’offensive des forces loyalistes, laissant d’autres factions rebelles en première ligne. « HTC cherche à ouvrir un passage avec le régime syrien tout en continuant à prétendre qu’il est son ennemi », estime quant à lui Hamza Tekin, un journaliste turc. Les quelque trois millions d’habitants d’Idleb, qui vivent dans un dénuement total, doivent payer d’importants impôts aux autorités. Ils estiment qu’ils ne verront jamais la couleur des bénéfices engendrés grâce au point de passage commercial avec le régime. Alors que le groupe est souvent accusé de vols et de corruption, « beaucoup reprochent aujourd’hui à HTC de ne penser qu’aux dollars en voulant tirer profit de ce passage », explique Louay, un journaliste de la ville d’Idleb. « Pour HTC, le but principal de ce genre de point de passage est économique mais sert aussi à mettre la pression sur les différents acteurs. Quand ils contrôlent ça, ils contrôlent tout et deviennent donc incontournables », explique Nawar Oliver, chercheur et analyste au centre Omran, un groupe de réflexion basé à Istanbul. Face au tollé provoqué par le projet, HTC a fait volte-face en annonçant le 1er mai la suspension du point de passage.

Patrouilles de surveillance

Ce n’est pas la première fois que le groupe est confronté au rejet de la population sous son autorité. Des manifestations à la fois contre HTC et le régime ont notamment éclaté fin 2019. « Nous n’avons plus aucune confiance en eux. Que Dieu nous vienne en aide pour nous en débarrasser », s’insurge Nizar. En deux ans, de nombreux activistes et civils ont dénoncé une administration totalitaire qui n’aurait rien à envier à celle établie par le régime, entre arrestations des voix dissidentes et imposition de son idéologie. « Déjà en 2017, quand on manifestait contre HTC à Saraqeb, et qu’on appelait à la chute de Jolani (le leader du groupe), on avait eu des frayeurs. Ils ont des services secrets très puissants et on sait de quoi ils sont capables », confiait déjà l’année dernière à L’OLJ un journaliste basé à Idleb. Le groupe n’a pas hésité à procéder à des arrestations arbitraires et à imposer son idéologie. Dimanche, des patrouilles de surveillance de l’agence al-Falah, contrôlée par les autorités, ont été mises en place, dans le but de « promouvoir la vertu » et « lutter contre le mal », à Idleb et ses environs. « Ils débarquent chez les coiffeurs en sommant les hommes de ne pas se couper la barbe ou séparent par exemple les hommes et les femmes dans les restaurants. Honnêtement, ça me choque. Il n’y a pas plus urgent en ce moment ? » peste Nizar. Louay, en revanche, estime que ces nouvelles mesures ne risquent pas de scandaliser les habitants d’Idleb qui forment une société très traditionnelle et religieuse.

Lire aussi

À Idleb, la prison comme dernier refuge

Le groupe jihadiste semble avoir renoncé à ses ambitions régionales et tente de contrôler son emprise sur son territoire, qui s’est réduit comme peau de chagrin. En témoigne l’interview de son chef, Abou Mohammad al-Jolani, à l’International Crisis Group (ICG), un cercle de réflexion sur les conflits dans le monde en février dernier. La faction armée, classée terroriste par l’ONU et plusieurs pays, tente de se façonner une nouvelle image, en ouvrant l’accès de sa région aux journalistes étrangers à Idleb. Dans l’interview à ICG, Jolani présente le groupe comme indépendant des racines qaëdistes, et explique n’avoir qu’un programme strictement national, s’inspirant du modèle des talibans. Le leader de HTC tente également de faire preuve de réalisme vis-à-vis d’Ankara – qui l’a placé dans la liste de groupes terroristes en 2018 – en ne critiquant pas les accords de cessez-le-feu conclus avec la Russie. Mais dans les faits, des tensions subsistent avec la Turquie et les groupes rebelles sous sa tutelle. Le 15 avril, une vidéo, montrant des membres de HTC sur l’autoroute M4 (reliant Alep à Damas) menacer de décapiter des soldats turcs a circulé, a contraint les cadres du groupe à publier, en turc, une condamnation totale. Fin avril, la région d’Idleb a connu la première confrontation militaire entre les forces turques et des militants pro-HTC rejetant les accords de trêve, et le déploiement de patrouilles conjointes russo-turques. « Si quelqu’un essaie de violer l’accord, il y aura une forte réponse militaire turque », estime Hamza Tekin. L’organisation connaîtrait en ce moment une lutte interne. « Une partie de HTC soutient l’idée de rejoindre l’Armée nationale syrienne et de se débarrasser de l’idéologie extrémiste tandis que l’autre partie persiste à rester sur la même ligne. L’avenir de HTC dépend de deux scénarios : le premier est dans quelle mesure le groupe va se détruire de l’intérieur. Et le second est que HTC commette une erreur poussant ainsi l’ANS et Ankara à une offensive militaire », ajoute le journaliste.

« La trêve, c’est haram et le point de passage, c’est halal ? » Dans les provinces d’Idleb et d’Alep, de nouvelles tensions entre la population et le groupe jihadiste Hay’at Tahrir al-Cham (HTC- ex-branche d’el-Qaëda en Syrie) sont apparues ces dernières semaines, après que des habitants furent descendus dans les rues de plusieurs villes, pour dénoncer le projet des...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut