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Moyen-Orient - Éclairage

Avec la crise sanitaire, l’Arabie fait un pas de plus vers la Chine

Le royaume soigne ses relations avec son principal client en matière d’hydrocarbures, à un moment d’effondrement des prix du baril.


Le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammad ben Salmane et le président chinois Xi Jinping, lors du sommet du G20 en Chine, en 2016. Damir Sagolj/Photo d’archives Reuters

La pandémie de Covid-19 aura permis à Riyad de jouer à fond la carte chinoise. Louanges en série sur la gestion de la crise par la Chine dans les médias saoudiens, envoi de matériel médical pour soutenir Pékin par le centre d’aide humanitaire et de secours du roi Salmane et, plus récemment, signature d’un contrat de 265 millions de dollars entre les deux pays pour la fourniture de tests de dépistage du virus et l’envoi d’experts médiaux dans le royaume saoudien… L’Arabie saoudite n’a pas lésiné sur les moyens pour afficher sa solidarité envers la Chine. Une vidéo diffusée en mars par la chaîne al-Arabiya va jusqu’à affirmer que « la Chine est le seul pays qui a bien réussi à faire face à cette crise », avant de passer en revue les politiques mises en place à travers le pays.

Face à une administration américaine qui semble moins encline à défendre son allié saoudien bec et ongles depuis l’été dernier lors de la hausse des tensions avec l’Iran, « c’est aussi une façon pour l’Arabie saoudite de tenter de ramener l’intérêt des États-Unis à elle en montrant qu’elle va accroître ses relations avec la Chine », remarque Camille Lons, chercheuse associée à l’International Institute for Strategic Studies, basé à Bahreïn, interrogée par L’Orient-Le Jour. Un jeu gagnant-gagnant alors qu’il permet aussi à la Chine de développer son « soft power » dans la péninsule Arabique à coup d’aide médicale et de déclarations exprimant sa volonté de renforcer ses liens avec le Golfe, faisant ainsi jouer la concurrence avec Washington dans une région traditionnellement couverte par le parapluie sécuritaire américain. Le président américain Donald Trump tient Pékin dans sa ligne de mire, souhaitant contrer la menace commerciale et géopolitique que représente la Chine pour Washington. Adoptant une rhétorique agressive à l’égard de la Chine ces dernières semaines, le locataire de la Maison-Blanche est récemment allé jusqu’à menacer de lui imposer de nouveaux droits de douanes, au détriment de l’accord commercial signé entre les deux puissances en janvier.

La faim croissante de la Chine
La bienveillance saoudienne affichée envers Pékin s’inscrit également dans la foulée de la guerre des prix du pétrole entre l’Arabie saoudite et la Russie en mars face à la baisse de la demande en Chine, premier importateur d’or noir au monde, suite à la pandémie de Covid-19. Une diminution qui s’est répercutée directement sur l’ensemble de la chaîne de production de pétrole alors que Moscou et Riyad sont respectivement les second et troisième producteurs derrière Washington. Chamboulant les cours, l’Arabie a inondé le marché suite au refus de la Russie de réguler les quotas de production, faisant chuter le prix du baril aux alentours de 20 dollars en mars, avant qu’un accord pour réduire la production ne soit conclu avec Moscou sous la pression de Washington.

Pour mémoire

Covid-19 : vers un changement de paradigme géopolitique ?

Conséquence parmi d’autres de ce bras de fer : les livraisons de pétrole vers la Chine ont doublé au mois d’avril, a rapporté lundi dernier l’agence Bloomberg. Selon des calculs de l’agence Reuters, les importations chinoises de pétrole brut auprès du royaume saoudien, son principal fournisseur, ont toutefois chuté de 1,6 % pour le mois de mars par rapport à 2019 tandis que les importations depuis la Russie ont augmenté de 31 %. « L’Arabie a adopté une politique agressive en offrant des prix au rabais notamment aux clients asiatiques dont la Chine pour essayer de gagner des parts de marché par rapport à la Russie », note Camille Lons. « Riyad a fait beaucoup d’efforts ces dernières années pour essayer de renforcer et d’approfondir la relation pétrolière avec Pékin. La compagnie nationale Saudi Aramco a fait de gros investissements dans des raffineries chinoises de façon à vraiment créer une relation durable sur le plan énergétique », rappelle-t-elle. « La faim croissante de la Chine pour le pétrole – aussi dans le contexte de la réimposition des sanctions contre l’Iran – arrive à un moment bienvenu pour les pays du Golfe, et surtout pour l’Arabie saoudite, après que la chute des prix sur les marchés de l’énergie eut gravement ébranlé son économie », explique pour sa part à L’OLJ Julia Gurol, chercheuse au centre de réflexion allemand Carpo et maître de conférence à l’Université de Fribourg.

L’ombre de Washington
Des relations qui vont toutefois au-delà du secteur énergétique, alors que la Chine et l’Arabie saoudite ont conclu un partenariat stratégique global en 2016, annoncé lors d’une visite du prince héritier Mohammad ben Salmane pour rencontrer le président chinois Xi Jinping. Les intérêts économiques des deux puissances convergent : Riyad cherche à diversifier son économie dans le cadre du plan Vision 2030, tandis que Pékin souhaite étendre son influence de l’Asie à l’Europe, en passant par l’Afrique et le Moyen-Orient par le biais de son projet « La Ceinture et la Route », nouvelle Route de la soie. Une initiative qui représente une opportunité pour l’Arabie saoudite, qui table sur le complexe industriel de Jizan et son port au large de la mer Rouge. Les effets de la pandémie de Covid-19 et le ralentissement de l’économie mondiale pourraient toutefois pousser la Chine à revoir ses ambitions à la baisse pour quelques temps. Dans ce contexte, « les pays du Golfe restent parmi ceux de la “Ceinture et la Route” qui ont le plus de capital pour financer eux-mêmes ou cofinancer ces projets, donc il pourrait aussi y avoir un approfondissement des relations avec les pays du Golfe », remarque Camille Lons. Un rapprochement qui avait déjà été entamé ces dernières années, facilité par la nature autoritaire du régime chinois et des pays de la péninsule Arabique. Moins regardant sur la question des droits de l’homme que les Occidentaux, Pékin s’est gardé de commenter l’affaire du meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat de son pays à Istanbul en 2018, ou encore l’intervention de la coalition menée par Riyad au Yémen pour appuyer le gouvernement face aux rebelles houthis soutenus par l’Iran. Le royaume wahhabite, qui se présente comme le leader du monde musulman, s’est aussi gardé d’intervenir sur la question du traitement des Ouïgours et d’autres minorités musulmanes dans la région chinoise du Xinjiang. En visite l’année dernière en Chine, MBS a surpris le monde musulman en affirmant que Pékin avait le droit de « prendre des mesures antiterroristes et antiextrémistes ».

Des facteurs qui pourraient favoriser un resserrement des liens entre Riyad et Pékin, mais l’ombre de Washington persiste en toile de fond. « Les pays du Golfe, surtout l’Arabie, sont très prudents pour ne pas non plus aller trop loin dans leur relation avec la Chine afin de ne pas contrarier les États-Unis », nuance Camille Lons. Les avertissements américains en matière de technologies n’ont toutefois pas fait leur effet, alors que les pays de la péninsule Arabique ont tout de même des contrats faramineux avec l’entreprise chinoise Huawei pour le développement de la 5G sur leurs territoires.

« Une ligne rouge pourrait être d’approfondir les relations sur le plan militaire par exemple, avec l’établissement d’une base chinoise dans le Golfe », explique la spécialiste. « Pour la Chine, la question de l’Iran est également un non-dit : ses stratégies dans la région se sont révélées être une tentative difficile et prudente pour équilibrer (ses relations) entre Riyad et Téhéran et stratégiquement sécuriser ses paris », souligne Julia Gurol. Souhaitant garder ses options ouvertes avec l’ensemble des pays de la région, la Chine entretient des liens avec la République islamique, vend des armes tant à l’Arabie qu’à l’Iran et a mené l’année dernière des manœuvres navales conjointes avec les deux pays.

La pandémie de Covid-19 aura permis à Riyad de jouer à fond la carte chinoise. Louanges en série sur la gestion de la crise par la Chine dans les médias saoudiens, envoi de matériel médical pour soutenir Pékin par le centre d’aide humanitaire et de secours du roi Salmane et, plus récemment, signature d’un contrat de 265 millions de dollars entre les deux pays pour la fourniture de...
commentaires (3)

Y'a de la rumba dans l'air. Qui des 2 de ce couple usa/bensaoud va dégainer le 1er ? Pour la Chine les fournisseurs prioritaires sont les russes et les IRANIENS. Au prix où est le pétrole, c'est un buyer's market. Les bensaouds devront faire la queue comme tout le monde devant eux d'ailleurs , le monde a glissé en l'espace de de 2 mois .

FRIK-A-FRAK

15 h 37, le 11 mai 2020

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Commentaires (3)

  • Y'a de la rumba dans l'air. Qui des 2 de ce couple usa/bensaoud va dégainer le 1er ? Pour la Chine les fournisseurs prioritaires sont les russes et les IRANIENS. Au prix où est le pétrole, c'est un buyer's market. Les bensaouds devront faire la queue comme tout le monde devant eux d'ailleurs , le monde a glissé en l'espace de de 2 mois .

    FRIK-A-FRAK

    15 h 37, le 11 mai 2020

  • SE DONNENT-ILS LA MAIN OU PERFORMENT-ILS UNE FIGURE DE DANSE ?

    LA LIBRE EXPRESSION SE DECONNECTE

    10 h 22, le 11 mai 2020

  • Cette analyse veut ignorer que la première puissance économique mondiale, les Etats-Unis est devenue le premier producteur mondial d'hydrocarbure, alors que la deuxième, la Chine n'a aucune autonomie pétrolière, dépendant de plus en plus des pays du Golfe- alliés de premier plan de Washington. Quant à la Russie, elle ne fait pas partie des trois premiers leaders économiques mondiaux, le troisième étant l'Europe.

    Saab Edith

    10 h 17, le 11 mai 2020

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