Est-ce le début de la fin pour les Forces de mobilisation populaire (PMF) en Irak ? Depuis l’assassinat par Washington de l’ancien commandant en chef de la brigade al-Qods au sein des gardiens de la révolution iranienne – Kassem Soleimani – et de l’homme fort du Hachd al-Chaabi, Abou Mahdi al-Mouhandis, la coalition paramilitaire traverse une crise politique liée à l’absence de figures d’envergure pour garantir son unité.
La querelle principale oppose Qom à Najaf ; les tenants du « Velayat-e faqih » aux partisans d’une ligne plus « irakiste ». En filigrane, ce sont deux hommes qui s’affrontent : le guide suprême de la révolution islamique Ali Khamenei et la figure tutélaire qu’incarne en Irak l’ayatollah Ali Sistani, plus haute autorité religieuse chiite du pays.
Les quatre grandes factions qui dépendent de Najaf au sein des PMF – la division Abou al-Fadhl al-Abbas, la division Imam Ali, la brigade Ansar al-Marja’iya et la brigade al-Akbar – ont publié le 23 avril un communiqué dans lequel elles annoncent officiellement leur retrait de la coalition. Une ordonnance du chef du gouvernement sortant, Adel Abdel Mahdi, confirme la décision de les rattacher au commandement en chef des forces armées, soit au bureau du Premier ministre.
Selon le média irakien al-Alam al-Jadeed, Hadi al-Amiri, chef de l’organisation Badr, proche de Téhéran, aurait tenté de ralentir les élans « sistanistes », au cours d’une ultime rencontre tenue le 26 avril avec les dirigeants de ces quatre factions, ainsi qu’avec le représentant de l’ayatollah Ahmad al-Safi. Mais rien n’y fait, la manœuvre échoue.
« Amiri a promis de prendre davantage en compte leurs perspectives mais rien de capital. Le point essentiel n’est pas tant que ces factions se soient retirées mais qu’elles aient affirmé qu’elles sont prêtes à venir en aide à toute autre qui souhaite en faire de même. Cela va bien plus loin qu’un retrait passif », avance Hamdi Malik, analyste politique spécialiste des milices chiites et coauteur d’une étude sur les Forces de mobilisation populaire.
D’après al-Alam al-Jadeed, 10 autres factions pourraient prendre le même chemin. De quoi inquiéter les milices les plus puissantes au sein de la coalition : comment assurer leur pérennité si elles ne disposent plus de la légitimité que leur confère la fatwa prononcée par l’ayatollah Ali Sistani en 2014, dans le cadre de la lutte contre l’État islamique ?
« Lorsqu’il a prononcé sa fatwa, Sistani n’a jamais appelé à rallier les différentes factions. Il a simplement dit que les hommes valides devaient rejoindre le combat sous l’égide des forces de sécurité officielles, qui étaient en train de s’effondrer à l’époque », rappelle M. Malik. « Les factions pro-iraniennes se sont saisies de cette opportunité pour se développer et recruter plus de soldats, accroître leur accès aux armes, aux ressources logistiques et financières, et finalement construire cette organisation parallèle que l’on appelle Hachd al-Chaabi. »
En 2017, dans le sillage de la victoire contre l’EI, Ali Sistani s’est exprimé en faveur de la dissolution des PMF et de l’intégration de leurs combattants aux services de sécurité. Il s’est toutefois montré discret par la suite concernant la mainmise de Téhéran sur la coalition afin d’éviter un conflit interchiite. Mais les morts de Soleimani et de Mouhandis ont rebattu les cartes, les milices qui leur sont proches ayant cherché à profiter de cette perte de repères pour étendre leur influence, sans toutefois y parvenir. La goutte de trop a été versée le 20 février dernier, lorsque l’un des commandants de la milice pro-iranienne Kataëb Hezbollah est désigné comme le successeur de Mouhandis, au grand dam des factions proches de l’ayatollah Sistani.
Qom versus Najaf
La décision des sistanistes est motivée par de nombreux griefs, à commencer par un accès inégal aux différentes ressources au sein de la coalition paramilitaire. « Lorsque Abou
Mehdi al-Mouhandis avait pris les commandes des PMF, il s’était assuré que la majorité des ressources iraient aux groupes pro-Iran. L’EI était en train de gagner du terrain. Ali Sistani avait prononcé une fatwa appelant les gens à combattre le groupe et des milliers de personnes ont alors rejoint la bataille sans être enregistrées », explique M. Malik. « Petit à petit, ils ont commencé à s’enregistrer. Si une faction pro-iranienne présentait, disons, une liste de 5 000 personnes, Mouhandis approuvait toute la liste. Mais si les unités Atabat envoyaient une liste de soldats, alors il se montrait hésitant, les obligeant ainsi à aller chercher ces ressources ailleurs. »
Ce déséquilibre financier et militaire trouve son origine dans les différends idéologiques qui opposent Qom à Najaf. Les factions pro-iraniennes se veulent une composante de « l’axe de la résistance », emmené par la République islamique et son guide suprême Ali Khamenei, tandis que les tenants de la ligne irakiste insistent sur le caractère national de leur combat contre l’EI. Avant même l’avènement du groupe jihadiste, les quatre grands ayatollahs de Najaf, dont Ali Sistani, se sont prononcés contre les interférences miliciennes irakiennes dans la guerre en Syrie, considérant que ceux qui y prennent part pour accomplir le jihad « désobéissent au commandement des autorités religieuses ».
Défenseur d’un nationalisme irakien qui dépasserait les appartenances confessionnelles, partisan d’un État civil et d’un islam quiétiste, Ali Sistani s’est également prononcé à plusieurs reprises en faveur des revendications sociales au sein du soulèvement populaire amorcé en octobre 2019 – et dont l’un des mots d’ordre exige la fin de l’emprise iranienne sur le pays –, allant jusqu’à dénoncer les violentes attaques contre les manifestants, dont la plupart ont été perpétrées par des milices affiliées à Téhéran.
Consensus
Le retrait des factions sistanistes de la coalition paramilitaire pourrait enclencher des dynamiques contradictoires. D’une part affaiblir les PMF, et d’autre part les rendre plus jusqu’au-boutistes. En prenant ses distances aussi ostensiblement avec le Hachd, l’ayatollah Ali Sistani dépouille la coalition de sa raison d’être, rien ne justifiant désormais le financement d’une entité explicitement extranationale par le gouvernement irakien.
Téhéran a néanmoins la main longue dans le pays et a déjà démontré par le passé sa capacité à retomber sur ses pattes après un coup sévère. Dans la période qui suit l’assassinat de Kassem Soleimani, il a rapidement mis sur pied de nouvelles milices dont Osbat al-Tha’irine qui s’est notamment illustrée par l’attaque le 11 mars dernier contre la base militaire américaine Taji, dans laquelle deux soldats américains et un réserviste britannique ont été tués.
« L’impact de ce retrait sur les PMF est tributaire de plusieurs facteurs. La question du nouveau chef de gouvernement pourrait poser problème. Depuis l’époque de Haïdar al-Abadi, nous savons qu’un Premier ministre qui n’est pas disposé à soutenir les FMP peut réellement leur nuire. Comme Abadi était en désaccord avec elles sur de nombreux aspects, il ne leur a pas donné d’argent et a notamment limité leurs déplacements d’Irak vers la Syrie. Elles ont dû aller à Bassora, puis de là-bas se rendre en Iran avant de rejoindre la Syrie. Si elles n’ont ni le soutien de Ali Sistani ni celui du nouveau Premier ministre, cela peut réellement leur porter atteinte », décrypte Hamid Malik.
Sous le gouvernement de l’ancien Premier ministre Haïdar al-Abadi, une loi a bien reconnu fin 2016 les PMF comme faisant partie des forces armées sous le contrôle du Premier ministre. Mais cette intégration relève davantage du discours que d’une réalité pratique. Galvanisées par leur combat contre l’EI, les factions pro-iraniennes sont montées en puissance et se sont même pourvues d’une branche politique, l’Alliance Fatah, en lice pour les élections législatives de 2018.
Pour l’heure, c’est à Moustafa Kadhimi que revient la lourde tâche de former un gouvernement, après des semaines d’atermoiements et de revirements. Téhéran et ses alliés semblent s’être résolus à cette option, non pas qu’elle leur soit idéale, mais du moins est-elle le fruit d’un consensus qui prend en compte leurs intérêts. Les pro-iraniens ont par le passé écarté la carte Kadhimi à deux reprises, une première fois en 2018, lui préférant Adel Abdel Mahdi, et une seconde fois, après que ce dernier a présenté sa démission en novembre 2019, allant jusqu’à insinuer qu’il aurait, en tant que chef des services de renseignements, joué un rôle dans l’assassinat de Kassem Soleimani et d’Abou Mahdi al-Mouhandis en début d'année.
Inconnue
La bataille qui oppose khameinistes et sistanistes en Irak ferait presque oublier qu’il y a un troisième homme dans le pays qui ne se résoudra certainement pas à ce que la suite de l’histoire s’écrive sans lui. Moqtada Sadr, le puissant leader chiite, a depuis 2003 tour à tour joué la carte de la lutte armée contre l’occupation américaine, avant de se faire le chantre du nationalisme chiite, puis de revenir à la suite de la mort de Kassem Soleimani au discours qu’il manie le plus habilement, celui de l’union sacrée contre les États-Unis. Lui dont la liste Sa’iroun avait remporté les élections législatives de 2018 sur une ligne nationaliste a appelé en 2020 à l’unité des factions armées irakiennes et étrangères contre Washington. Lui qui avait soutenu à demi-mot le soulèvement populaire le désavoue aujourd’hui, au point que de nombreux sadristes ont déserté les places fortes de la révolution avant même le déclenchement de la pandémie liée au Covid-19. Le personnage est imprévisible et ses volte-faces passées ne peuvent en rien présager ses positionnements futurs, d’autant plus que la brigade dont il est à la tête – Saraya al-Salam – est l’une des puissantes factions qui composent le Hachd al-Chaabi et semble être à l’image des tribulations politiques de ce clerc populiste soutenu par Téhéran, dont elle est cependant moins proche que les factions pro-iraniennes qui composent la coalition. « Tout comme les unités Atabat, Saraya al-Salam ne s’est jamais perçue comme faisant partie des PMF, très précisément parce que les factions iraniennes ont le monopole sur tout », commente Hamid Malik. « Moqtada Sadr n’acceptera certainement pas d’être sous le commandement que souhaitent mettre en œuvre les quatre factions. Mais il pourrait se retirer lui aussi des PMF et lier Saraya al-Salam au bureau du Premier ministre. En même temps, il est complètement indépendant en ce moment. S’il dépend du commandement en chef des forces armées, il n’est pas dit qu’il puisse toujours bénéficier de la même autonomie. »
Dix miliciens du Hachd al-Chaabi tués dans des attaques de l’EI
Dix combattants d’une coalition de paramilitaires chiites intégrée aux forces régulières irakiennes ont été tués samedi par des jihadistes du groupe État islamique au nord de Bagdad, ont annoncé les troupes irakiennes qui enregistrent leurs pertes les plus lourdes depuis des mois. « Six combattants ont d’abord été tués par des tirs de terroristes de l’EI sur un check-point du Hachd al-Chaabi » dans la province de Salaheddine, qui borde Bagdad au nord, a indiqué le commandement militaire irakien dans un communiqué. « Puis, alors que des renforts arrivaient, une bombe a visé leur convoi et tué trois combattants du Hachd », selon le texte. Un dixième combattant du Hachd a été tué dans une autre attaque de l’EI dans la même province, à moins de 200 kilomètres de Bagdad, est-il ajouté dans le communiqué. Cette attaque, la plus meurtrière depuis des mois, intervient après que l’EI a multiplié incursions, assassinats et violences ces dernières semaines. « Depuis un mois environ, les attaques de l’EI sont de plus en plus audacieuses : les jihadistes s’en prennent directement aux troupes irakiennes et parfois même en plein jour », note Sam Heller, spécialiste de l’EI.
commentaires (4)
En espérant que cela donnera des idées à Nabih Berri, en effet Amal malgré de très nombreux défauts s’est toujours revendique d’un pur Libanisme comme le voulait feu Moussa Sadr (ce qui lui a d’ailleurs coute la vie). Nabih Berri doit vaincre sa peur des iraniens comme d’autres l’ont fait avant lui et se souvenir de l’intérêt de ses ouailles surtout ceux d’Afrique la faillite du système libéral et son remplacement par des banques à l’iranienne lui sera fatal
Liban Libre
14 h 27, le 04 mai 2020