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Moyen-Orient - Éclairage

Malgré le coronavirus, Abou Dhabi joue sur tous les fronts dans la région

Libye, Yémen, Iran, Syrie... Les Émirats arabes unis redoublent leurs efforts pour étendre leur influence.

Des membres de l’armée émiratie sécurisent une zone pendant une opération de déminage à al-Mokha, au Yémen, le 6 mars 2018. Aziz el-Yaakoubi/Reuters

Alors que la région est relativement calme en raison de la pandémie de coronavirus, Abou Dhabi n’a qu’un seul mot d’ordre : jouer sa propre partition. En Libye d’abord, où il continue d’appuyer activement l’Armée nationale libre (ANL) du maréchal Khalifa Haftar aux côtés de la Russie et de l’Égypte, alors que les combats s’intensifient autour de Tripoli, tenue par le Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez el-Sarraj reconnu par la communauté internationale et soutenu par la Turquie et le Qatar. Au Yémen ensuite, où il soutient le Conseil de transition du Sud (CTS), qui a proclamé dimanche l’autonomie du sud du pays, tout en faisant partie d’une coalition avec Riyad pour venir en aide aux forces gouvernementales face aux houthis appuyés par l’Iran. Avec la Syrie et l’Iran enfin, en entretenant des contacts au cours des dernières semaines, sous couvert de coordination dans la lutte contre la propagation de coronavirus.

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Véritable tourbillon politique, militaire et économique, les Émirats arabes unis apparaissent actuellement comme la puissance la plus visible dans la région. Les printemps arabes de 2011 ont laissé une marque indélébile dans l’esprit du prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammad ben Zayed (MBZ), y voyant la nécessité de redoubler d’efforts pour atteindre son objectif principal : lutter à tout prix contre l’islam politique prôné par les Frères musulmans, les mouvements révolutionnaires démocratiques et gagner avec l’Arabie saoudite la guerre pour le leadership du monde sunnite face à la Turquie, reléguant la lutte contre l’influence de Téhéran au second plan pour le moment.Un des pans de « la stratégie régionale des EAU consiste à créer ce qu’ils appellent la “stabilité autoritaire” », remarque Andreas Krieg, professeur au King’s College de Londres, interrogé par L’Orient-Le Jour. « Cette approche contre-révolutionnaire consiste à construire des États forts dirigés de préférence par des dirigeants royaux ou militaires dotés d’un pouvoir absolu. La plus grande crainte à Abou Dhabi est que les États soient “compromis” par la société civile, où la rue a plus de pouvoir que le palais », poursuit-il. Plus réservés et moins médiatisés que leur voisin saoudien, les EAU font profil bas et tirent avantage de leur réputation pour activement placer leurs pions dans la région.

Sécuriser ses paris

Capitalisant sur la pandémie de coronavirus pour améliorer ses liens avec la République islamique, Abou Dhabi a acheminé du matériel médical en Iran en février et mars derniers. Les chefs de la diplomatie iranienne et émiratie se sont également entretenus au téléphone dimanche pour discuter de la lutte contre la propagation du virus et des développements régionaux. Tout en restant en faveur des sanctions américaines contre Téhéran, les EAU se sont démarqués de l’Arabie saoudite en adoptant une attitude plus modérée à l’égard de l’Iran à la suite des attaques contre des navires au large des pays du Golfe en mai et en juin 2019. En septembre, ils s’étaient aussi abstenus de tout commentaire après des attaques contre des installations pétrolières de Saudi Aramco revendiquées par les rebelles houthis. Accusant Téhéran d’être à l’origine de ces opérations, Washington n’a toutefois pas mêlé la parole aux actes, remettant en question la solidité du parapluie sécuritaire américain dans le Golfe.

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« Depuis, les EAU ont cherché à sécuriser leurs paris en restant étroitement alignés sur les États-Unis, ce qui sert leurs intérêts stratégiques, mais qui montre aussi une volonté de réduire la rhétorique anti-iranienne et d’accroître la coordination et la coopération avec l’Iran pour éviter une confrontation directe avec un voisin de taille », souligne Neil Quilliam, chercheur au sein du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House et PDG de Castlereagh Associates. Cherchant à solidifier leurs réseaux hors de la sphère de Washington, les EAU entretiennent également un partenariat stratégique avec la Russie depuis deux ans et veulent renforcer leurs relations avec la Chine. « Leur politique iranienne fait partie de leur stratégie régionale : ils veulent se présenter comme des interlocuteurs-clés entre Moscou, Pékin et Téhéran », note Andreas Krieg.

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Espérant tirer profit des conflits régionaux, les EAU ont rebattu leurs cartes en réchauffant leurs relations avec la Syrie et en intensifiant leurs efforts en Libye et dans le sud du Yémen au cours de ces dernières semaines. Marquant son premier appel depuis le début de la guerre en Syrie en 2011, MBZ s’est entretenu avec le président syrien Bachar el-Assad à la fin du mois de mars à propos de la pandémie de coronavirus. Aidé par Moscou, le parrain de Damas, Abou Dhabi a amorcé un rapprochement en rétablissant ses relations diplomatiques fin 2018, qui devrait avoir des retombées politiques et économiques juteuses pour les EAU. Selon le site Middle East Eye, qui entretient des liens avec le Qatar, le prince héritier émirati aurait également tenté de convaincre le dirigeant syrien de rompre le cessez-le-feu à Idleb conclu en mars entre les présidents russe et turc en lui faisant miroiter des millions de dollars, dans le but de coincer la Turquie en Syrie et la distraire de la bataille de Tripoli. En Libye, Abou Dhabi est accusé d’avoir violé l’embargo sur les armes selon des experts de l’ONU, acheminant plusieurs milliers de tonnes de matériel militaire au maréchal Haftar ces derniers mois et d’employer des mercenaires soudanais pour combattre aux côtés de l’ANL. Au Yémen, Abou Dhabi a pris ses distances avec Riyad, annonçant le retrait partiel de ses troupes l’été dernier, tout en conservant, depuis, une importante influence dans le sud du pays en finançant et formant les troupes du CTS basées dans la ville portuaire de Aden. « Avec une vision stratégique sur le long terme, Abou Dhabi a massivement investi au Yémen et dans la Corne de l’Afrique pour sécuriser l’accès aux ports et avoir l’autorisation de construire des bases navales, ce qui confère non seulement une profondeur stratégique aux EAU, mais aussi un moyen de rendre le pays indispensable au développement de l’initiative chinoise “Route et ceinture” (nouvelle route de la soie) », indique Neil Quilliam. L’émirat dispose déjà de bases navales dans les ports d’Assab en Érythrée et de Berbera au Somaliland, qui lui servent aussi de bases arrières pour ses opérations au Yémen.

« Poignardés dans le dos »

Une stratégie qui pourrait toutefois se révéler à double tranchant pour leurs relations avec leur principal allié, l’Arabie saoudite. Proclamant dimanche l’autonomie du sud du Yémen, le CTS – groupe aux velléités sécessionnistes – a rompu l’accord de Riyad signé en octobre avec le gouvernement yéménite sous l’égide de l’Arabie saoudite dans le but d’afficher un front uni face aux houthis. Emboîtant le pas au royaume wahhabite, les EAU ont aussi désavoué hier la déclaration d’autonomie. « Nous avons pleinement confiance dans l’engagement de l’Arabie saoudite à mettre en œuvre » l’accord de Riyad, a écrit sur Twitter le ministre d’État émirati aux Affaires étrangères, Anwar Gargash. « La frustration suscitée par le retard dans la mise en œuvre de l’accord n’est pas une raison pour changer unilatéralement la situation », a-t-il souligné.

Cet épisode éclaire un peu plus les divergences entre les agendas émirati et saoudien au Yémen alors que des observateurs estiment que ces opérations nécessitent l’aval d’Abou Dhabi. « C’est instructif car cela révèle à quel point MBZ a perdu confiance dans le leadership de Mohammad ben Salmane et qu’il est prêt à poursuivre des intérêts stratégiques et à risquer de mettre leurs relations à rude épreuve », estime Neil Quilliam. En août dernier, la coalition entre l’Arabie et les EAU avait déjà été fragilisée par une offensive des forces séparatistes qui s’étaient emparées des positions des loyalistes dans le Sud et à Aden, capitale temporaire du Yémen, alors que Sanaa est aux mains des rebelles. La stratégie émiratie « a continuellement causé des problèmes dans la coalition avec les Saoudiens qui ont eu le sentiment d’être poignardés dans le dos par les EAU », indique Andreas Krieg. « Mais Riyad et Abou Dhabi ont une alliance régionale plus large que le Yémen et cet épisode ne la rompra pas », conclut-il.


Alors que la région est relativement calme en raison de la pandémie de coronavirus, Abou Dhabi n’a qu’un seul mot d’ordre : jouer sa propre partition. En Libye d’abord, où il continue d’appuyer activement l’Armée nationale libre (ANL) du maréchal Khalifa Haftar aux côtés de la Russie et de l’Égypte, alors que les combats s’intensifient autour de Tripoli, tenue par le...

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