Il est vrai qu’entre les deux hommes, il n’y a pas beaucoup d’affinités personnelles, mais la façon dont le président de la Chambre Nabih Berry s’est adressé au président du Conseil Hassane Diab avant de lever la séance mercredi a marqué les esprits. De mémoire des journalistes qui couvrent les séances parlementaires plénières, jamais auparavant le chef du législatif n’avait utilisé un tel ton, ni avec Saad Hariri ni même avec Omar Karamé et Nagib Mikati, ou encore avec Fouad Siniora que pourtant il ne ménageait pas.
Un rappel du déroulement des faits s’impose : à peine le gouvernement avait-il présenté son projet de loi pour accorder des crédits d’un montant d’un milliard deux cents millions de livres libanais étalés sur un an aux familles et aux secteurs vulnérables que le clash a eu lieu entre les deux hommes. Dès que le moment d’étudier ce projet est arrivé, les députés de la Rencontre démocratique (groupe Walid Joumblatt) et ceux du courant du Futur se sont retirés, visiblement après s’être concertés, et ils ont ainsi fait sauter le quorum. Selon les sources proches de Aïn el-Tiné, Nabih Berry aurait envoyé des messages à ces députés pour qu’ils reviennent dans la salle, mais ces derniers auraient refusé. Hassane Diab, qui était soucieux de faire adopter ce projet qu’il estime être très utile dans la période actuelle, s’est emporté et il aurait pressé le président de la Chambre de tout faire pour ramener le quorum ou sinon de convoquer une séance le soir même pour l’étudier. Il avait d’ailleurs chargé la ministre de la Défense Zeina Acar de l’expliquer en détail aux députés. Mais c’est là que, devant tous les présents, Nabih Berry s’est mis en colère et a lancé violemment à l’adresse du président du Conseil que personne ne peut lui dicter sa conduite, avant de lever la séance sans fixer de nouveau rendez-vous. Députés, ministres et journalistes, tout le monde était sidéré, ne comprenant pas ce qui pouvait justifier un tel éclat de la part du président du Parlement, surtout sur un sujet aussi délicat.
En quittant la grande salle de l’Unesco transformée en siège provisoire du Parlement, les ministres faisaient longue mine. La ministre de la Défense a même écrit un tweet violent dans lequel elle a précisé qu’avec ses collègues, elle a travaillé pour mettre au point ce projet, mais que certains députés ont fait sauter le quorum. « Il semble que certains ne veulent pas que le gouvernement réussisse dans sa mission, ni que les parties populaires vulnérables soient soutenues, pour que les aides restent entre les mains des zaïms... » a-t-elle écrit.
Selon des sources parlementaires, ce tweet ainsi que les réactions des ministres auraient exacerbé la colère de Nabih Berry au point que son bureau d’information a publié un communiqué pour préciser que le projet n’a pas été envoyé au Parlement selon les règles. Or, il faut selon lui respecter les procédures ainsi que les députés. Un tel projet élaboré à la hâte aurait pourtant dû passer par les commissions et non être déféré directement devant l’Assemblée plénière, sans préambule ni explications. Pour lui, le Parlement ne peut pas être traité de cette manière, et le président de la Chambre est responsable de sa dignité et de celle de ses membres.
Du côté du gouvernement, on reconnaît certes qu’il se peut que les règles n’aient pas été respectées. Mais le sujet est trop important et la période particulièrement sensible pour donner la priorité aux questions de forme au détriment du fond.
Immédiatement après ce clash, les milieux politiques ont commencé à spéculer sur de possibles manœuvres du président de la Chambre, qui n’a jamais caché ses préférences pour un gouvernement « techno-politique » présidé par Saad Hariri, pour faire sauter le cabinet présidé par Hassane Diab.
Ces positions en flèche ont fait monter le taux d’inquiétude des Libanais, dont une grande partie craint que le pays ne se retrouve sans gouvernement en fonctions dans une période aussi dramatique. Le plus embarrassé par ce conflit qui a éclaté au grand jour était certainement le Hezbollah, qui, depuis le début, n’a pas caché son appui au gouvernement en dépit de certaines réserves, justement parce que la situation ne supporte pas un gouvernement politique avec les divisions traditionnelles qui ont empêché les précédents cabinets d’être réellement productifs et encore moins une période de gestion des affaires courantes. Ses émissaires se sont donc déployés entre Aïn el-Tiné et le Sérail pour tenter de circonscrire le conflit apparu à la faveur de la séance à l’Unesco. D’ailleurs, mercredi soir, l’adjoint politique du président de la Chambre, l’ancien ministre Ali Hassan Khalil, s’est empressé de déclarer à la télévision que Nabih Berry appuie le gouvernement. Il a même rappelé comment la séance parlementaire pour le vote de confiance a eu lieu grâce à lui, puisqu’il a personnellement demandé aux groupes parlementaires du Futur et de la Rencontre démocratique d’assurer le quorum. C’est aussi lui qui a protégé le gouvernement des attaques des députés en interdisant les discours au début de la séance plénière à l’Unesco, rompant ainsi avec une coutume qui s’est transformée en droit pour les députés.
Plus tard, un communiqué explicatif a aussi été publié par le Parlement, dans lequel les erreurs dans la façon de déférer ce projet de loi ont été détaillées. Le communiqué a ajouté aussi que Nabih Berry a décidé de renvoyer le texte en commission pour qu’il y soit étudié avant d’être soumis au vote de l’Assemblée plénière dans les plus brefs délais. Plus encore, l’ancien ministre Ali Hassan Khalil s’est même rendu hier au Sérail pour s’entretenir avec Hassane Diab, dans une initiative du président de la Chambre pour ne pas laisser le conflit s’envenimer. Les deux parties précisent depuis que le clash de mercredi n’était pas programmé. Par conséquent, il ne s’inscrivait nullement dans un plan pour faire tomber le gouvernement, ni bien entendu pour priver les parties vulnérables de cette aide importante... Toutefois, l’alerte a été rude.
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Tout ça ressemble à une histoire: Ali Baba et sa suite... Pauvre pays.
Stephane W.
16 h 48, le 24 avril 2020