Cela fait un mois. Un mois que nous sommes dans cette immense salle d’attente où s’empilent jour après jour des revues d’une autre époque. Une époque où it bags hors de prix, stilettos vernis et vestes en agneau retourné que l’on rêvait de s’offrir, faisaient les beaux jours des magazines de mode. Une époque où l’on courait dans tous les sens pour prendre son café, sa douche, ses fringues, sa voiture, ses airpods, son laptop, pour s’engouffrer dans les embouteillages. Arriver au bureau, se taper les remontrances de notre boss à cause de 10 minutes de retard, puis s’asseoir, griffonner, écrire, rédiger, appeler, raccrocher, manger une salade sur le pouce, aider les enfants avec leurs devoirs en vidéo call ; rappeler, regarder l’heure, ranger ses affaires, reprendre la voiture ; se taper une heure de route pour faire 10 kilomètres, trouver une place pour se garer, enfiler son short et ses baskets, filer à son cours de spinning, suer son âme ; revenir à la maison, répéter 15 fois à son ado de petit garçon de rentrer prendre sa douche ; essayer de ne pas manger trop lourd, continuer la saison 5 de Peaky Blinders, fermer les yeux et recommencer.
Un mois (ou un peu plus) que, pour la moitié de l’humanité, la vie est on hold. Un mois que l’on attend que le docteur sorte de son bureau et qu’on entend la secrétaire nous dire, « yalla, c’est bientôt à vous ». Ce bientôt qui peine à arriver. Et dans cette salle d’attente, entre une partie de Candy Crush ou de Scrabble, on feuillette d’un œil hagard tout ce qui fut notre vie d’avant. Va-t-on y revenir ? Sera-t-elle la même ? Et que gardera-t-on de cette page d’Histoire que nous vivons sans vraiment l’écrire ? On aura appris beaucoup sur nous-mêmes mais on aura également appris un tas de choses. Tas de choses qu’il serait important de garder en mémoire.
Qu’il faut se laver les mains plus souvent. En rentrant chez soi, après le repas au lieu de s’affaler sur le canapé après avoir trempé ses doigts dans le hommos, en frottant les ongles dans la paume et en chantant Happy Birthday deux fois. Qu’il faut appeler plus souvent nos proches, nos amis, leur dire qu’on les aime, qu’ils nous manquent, qu’on pense à eux. Que si l’économie mondiale est en train de collapser, c’est tout simplement parce que les gens n’achètent plus que ce dont ils ont besoin et que le reste est superficiel. Que le covoiturage est nécessaire et que l’alternance des plaques impaires et paires pourrait désengorger les routes libanaises. Que les femmes qui sont employées dans nos maisons ont souvent besoin d’aide et pas d’engueulade quand la mini tache de café traîne depuis 3 jours sur notre table de chevet. Que ça fait du bien et du bon de cuisiner. Qu’un Foul mouddamas est mille fois meilleur qu’un Black Cod sur son lit de fenouil. Que l’on a mille trucs à faire à la maison. Que l’on peut s’éclater avec ses potes des quatre coins de la planète sur Zoom. Que sur Zoom, de chez soi, on peut travailler, étudier, danser et même flirter.
Que finalement, sortir n’est pas indispensable. Combien de sociétés et d’entreprises sont en train de constater qu’aujourd’hui, on peut quasiment tout faire à distance ? Sauf bien entendu le travail manuel. Combien de directeurs ou de PDG comprennent qu’aujourd’hui, le rendement peut être plus bénéfique quand on est confortablement installé chez soi. Qu’il n’est pas obligatoire de se confiner dans une salle de réunion pour débattre du prochain budget de la boîte et que l’on soit à Paris, Jakarta ou Beyrouth, cela ne changera en rien à notre productivité. Combien d’institutions scolaires ont également compris que les élèves pouvaient facilement étudier de chez eux, en ayant à leur disposition tous les outils pédagogiques dont ils ont besoin. Qu’éventuellement, les examens de fin d’année n’ont plus vraiment d’importance ; que l’imagination des enfants s’épanouit aussi dans les 12 mètres carrés de leur chambre et que s’ils n’ont pas lu Les Misérables, ils en connaissent un paquet sur la misère du monde actuel. Que discuter avec les membres de leur famille les nourrit tout autant qu’un manuel scolaire.
Et qu’être au naturel et en jogging peut être tout aussi séduisant qu’une paire de talons aiguilles ou un costume trois pièces.
oui ,ce que les révoltes humaines n'ont pas réussi à faire ,la (les) révolution virale le fera ,à plus ou moins long terme;J.P
09 h 09, le 11 avril 2020