Jamais le fameux adage qui dit que « le coup qui fait le plus mal vient des plus proches » n’a paru aussi vrai. Toutes les critiques, voire les insultes et même les fake news fabriquées à son encontre et à l’encontre du Hezbollah, n’avaient pas réussi à faire sortir Hassan Nasrallah de ses gonds, comme l’ont fait les commentaires des alliés et amis du parti après la relaxe et le départ sans gloire de Amer Fakhoury pour les États-Unis. Au point qu’il est apparu vendredi soir, dans un discours télévisé qui avait été programmé à la hâte, pour parler de ce dossier et surtout pour s’adresser directement aux amis et alliés d’un ton tout à fait inédit.
Depuis son élection à la tête du Hezbollah après l’assassinat de son prédécesseur et « professeur » comme il l’avait dit lui-même, Abbas Moussaoui en 1992, jamais « le sayyed » n’était apparu aussi ému et blessé devant ses partisans. Ni quand son fils Hadi avait trouvé la mort dans une opération contre les Israéliens en 1997, ni quand son corps lui était revenu dans le cadre d’un échange avec les Israéliens, ni même quand son ami et compagnon le général iranien Kassem Soleimani avait été tué par les Américains en janvier 2020. Même aussi lors de l’entretien qu’il avait accordé aux jeunes partisans du Hezbollah en souvenir de la mort en martyr de son fils, l’an dernier avant de leur remettre des affaires lui appartenant, il n’avait pas montré autant d’émotion que vendredi soir. Au point qu’il a lancé une phrase qui a dû secouer ceux à qui elle était adressée : « L’ironie du sort a voulu qu’après toutes ces années et après que ma barbe eut blanchi, on vienne me demander des comptes sur le sort d’un agent pour le compte de l’ennemi qui a maltraité et torturé nos gens. » Nasrallah a aussi ajouté s’adressant directement à ses « amis et alliés » pour leur dire que s’ils continuent à mettre en doute la position du Hezbollah dans l’affaire de Fakhoury, ils ne peuvent plus être considérés comme tels. La phrase, dans la forme et le fond, est très forte.
Mais justement, qui étaient les destinataires réels de ces propos, puisque Nasrallah n’a pas donné d’indications précises, estimant que ceux qui ont critiqué l’attitude du Hezbollah dans cette affaire se reconnaîtront rapidement ?
Immédiatement, certains médias et responsables politiques ont désigné le CPL et son chef. Mais une lecture approfondie du discours du leader chiite montre qu’il n’en est rien. Dans une allusion claire au CPL, le secrétaire général du Hezbollah a en effet reconnu que le sujet de Amer Fakhoury avait été abordé avec le Hezbollah et que des discussions calmes avaient eu lieu sur le sort de ce dernier, à l’ombre des pressions impressionnantes exercées par les autorités américaines pour obtenir sa libération. En tant que ministre des Affaires étrangères (il l’est resté dans le gouvernement démissionnaire de Saad Hariri jusqu’à la formation de l’actuel cabinet en janvier 2020), Gebran Bassil a évoqué cette question avec les responsables du Hezbollah, exposant la situation et les choix, ainsi que le processus judiciaire. Selon Hassan Nasrallah, les discussions étaient calmes et utiles. Ce n’est donc pas le fait que le dossier soit évoqué avec le Hezbollah qui l’a dérangé.
D’ailleurs, il l’a dit lui-même dans le discours de vendredi, ce sont les surenchères qui ont suivi la relaxe de Fakhoury et son « exfiltration » à bord d’un hélicoptère américain qui s’est envolé de Aoukar qui ont blessé le secrétaire général du Hezbollah. Il a même précisé que certains « alliés et amis » ont été jusqu’à dire que le parti aurait dû envoyer un missile pour faire tomber l’hélicoptère américain, ajoutant : « Amer Fakhoury mérite-t-il que nous déclenchions une guerre mondiale pour lui ? »
C’est en tout cas la première fois que le numéro un du Hezbollah exprime aussi clairement de violentes critiques à l’égard de ses alliés. Il est souvent arrivé qu’il y ait des frictions et des divergences entre le parti chiite et le CPL, par exemple (lors des élections de 2018, ou encore au sujet du président de la Chambre, dont les relations avec le CPL et son chef ont connu des crises importantes), ou encore entre lui et le PCL, ainsi qu’avec le député Oussama Saad ou d’autres députés de la Rencontre consultative (les députés sunnites qui ne sont pas dans la mouvance du courant du Futur), depuis le déclenchement du mouvement de protestation populaire en octobre 2019. Mais jamais Hassan Nasrallah n’avait formulé publiquement des critiques, se contentant de faire parvenir les messages par le biais de canaux discrets. Les différends étaient ainsi réglés loin des médias.
Cette fois, s’il a choisi d’en parler publiquement, c’est que la blessure est grande. Nasrallah a donc voulu rappeler à toutes ces personnalités du monde politique ou médiatique, qui sont généralement considérées comme proches de lui et auxquelles il fournit un soutien réel et une certaine légitimité populaire, les lignes rouges qu’il ne faut pas outrepasser avec lui. Le message clair est le suivant : « Vous pouvez critiquer, être en colère et agir comme bon vous semble dans les affaires intérieures libanaises, mais mettre en doute la position du Hezbollah dans sa résistance contre Israël, lui qui a sacrifié tant de ses jeunes et moins jeunes tombés en martyrs dans cette bataille, est inacceptable et place ceux qui le font dans la sphère des adversaires. » Depuis ce discours inédit, tous ceux qui lors de la relaxe de Fakhoury et son départ pour les États-Unis avaient multiplié les critiques contre le Hezbollah – l’accusant soit d’avoir été partenaire dans un « deal conclu avec les Américains », soit, ce qui est encore pire, de ne pas avoir été informé de ce qui se tramait, ou d’avoir fait preuve d’un laxisme coupable – ont tenté de se rattraper sur les réseaux sociaux ou à travers des articles sur les sites d’informations électroniques, ou encore en intervenant sur les différentes chaînes de télévision.
Le message est donc parvenu à ses destinataires, mais le dossier de Amer Fakhoury continue à soulever les passions et à contenir des zones d’ombre.
commentaires (17)
C'est du pipeau, il etait au courant mais bien sur il ne peux pas l avouer...its a Deal! Vous imaginez un instant le CPL agir sans le feux vert du Hezb? Le CPL exisite grace au Hezb... Cest du grand theatre!a l iranienne
Jack Gardner
19 h 26, le 26 mars 2020