Le président américain, Donald Trump, et son vice-président, Mike Pence, hier à Washington. Evan Vucci/AFP/POOL
Dans ce moment de crise inédite naît un espoir, que l’on décèle déjà dans la plupart des articles et des conversations. Celui d’une remise en question et d’une réévaluation des priorités. Celui d’une réflexion individuelle et collective qui serait le point de départ d’un nouvel ordre international. Cet espoir est sain mais il n’en est pas moins candide. L’histoire a prouvé que les grandes crises pouvaient constituer de véritables tournants et que rien n’était plus efficace pour convaincre les dirigeants et les populations de la nécessité d’un changement que la gifle de la réalité. Mais cela n’est pas toujours pour le meilleur. Après la Première Guerre mondiale et ses millions de morts, on aurait pu espérer que les États-Unis renoncent à leur isolationnisme et que soit mis en place un système fondé sur la coopération et le droit international pour que plus jamais une telle horreur ne se reproduise. On connaît la suite. Les grandes puissances ont toutefois retenu la leçon et ont fait après la Seconde Guerre mondiale ce qu’elles n’avaient pas réussi à faire après la première. Mais malgré les bonnes intentions et malgré le caractère essentiel des institutions, la politique a vite repris le dessus et ceux qui ont façonné le nouvel ordre international ont été les premiers à le fragiliser. Pourquoi revenir aujourd’hui sur ces exemples historiques ? Car c’est le même enjeu qui est au cœur de la gestion de la crise mondiale du coronavirus et qui déterminera en grande partie le monde de demain : celui de la coopération internationale et de sa traduction concrète pour répondre collectivement aux défis globaux du XXIe siècle.
Les moments de crise peuvent transcender un caractère ou au contraire accentuer ce qu’il a de plus médiocre. C’est vrai pour les personnes comme pour la politique d’un État. L’épreuve du confinement peut être révélatrice non seulement de la nature humaine mais aussi de celle d’une politique. Que dire par exemple des États-Unis de Donald Trump qui ont annoncé mardi de nouvelles sanctions contre l’Iran alors que le pays subit de plein fouet l’épidémie du Covid-19 et que cela aurait pu être au contraire l’occasion, quoi que l’on pense du régime des mollahs et de sa responsabilité dans cette crise, d’aider l’Iran à sauver des vies ? Que dire de la France et de l’Allemagne qui ont, au début de l’épidémie en Italie, refusé de transférer leurs matériels médicaux avant de se faire taper sur les doigts par la Commission européenne ? Si les Européens et leur niveau de coopération inédite dans l’histoire de l’humanité n’y arrivent pas, comment voulez-vous que le reste du monde s’en sorte ? Que dire de la Chine qui envoie aujourd’hui de l’aide aux pays qui en ont besoin pour améliorer son image et faire oublier que sa volonté de dissimuler dans un premier temps l’apparition du Covid-19 sur son territoire a peut-être coûté des milliers de vies dans le monde ? Que dire enfin de la guéguerre entre Washington et Pékin, les deux superpuissances de l’époque, quand le premier ne cesse de parler de « virus chinois » et que le second laisse entendre que le coronavirus a été créé et exporté par les États-Unis ?
Ceux qui rêvent que la crise enfante un monde plus juste et plus durable doivent prendre cette réalité en compte : si le temps s’arrête, la politique, elle, suit son cours et est toujours capable du pire.
Dans un premier temps, la pandémie actuelle ne peut être réglée qu’au niveau des États, les seuls à être capables de mettre en place des politiques à grande échelle. Il est du devoir de chaque État d’endiguer l’épidémie sur son territoire. Mais dans un second temps, le danger ne pourra être définitivement écarté que par le biais d’une coopération internationale accrue. Même si un pays réussit à contenir l’épidémie, un seul cas venu de l’extérieur peut la relancer, au moins le temps que l’on trouve un vaccin. Les populistes en concluront qu’il faut fermer complètement les frontières. On peut espérer qu’une autre logique s’impose, celle de la conscience d’appartenir à une communauté de destin qui prévaut, sans pour autant les nier, sur les égoïsmes nationaux. Cela impliquera d’aider les États qui n’ont pas les moyens d’affronter ce défi qui fait trembler les plus grandes puissances mondiales. Cela impliquera, à terme, de mettre en place un nouvel ordre international qui fait notamment de la question de la santé et de la défense de l’environnement une priorité.
Cela impliquera, surtout, de faire renaître un idéal : pas celui, utopique, que le monde change du tout au tout du jour au lendemain, mais celui, réaliste, qu’il s’organise efficacement pour que plus jamais de telles catastrophes ne se reproduisent.
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"Après la Première Guerre mondiale et ses millions de morts, on aurait pu espérer que les États-Unis renoncent à leur isolationnisme et que soit mis en place un système fondé sur la coopération et le droit international pour que plus jamais une telle horreur ne se reproduise." ET, "Que dire de la France et de l’Allemagne qui ont, au début de l’épidémie en Italie, ...... ? Si les Européens et leur niveau de coopération inédite dans l’histoire de l’humanité n’y arrivent pas, comment voulez-vous que le reste du monde s’en sorte ?" Je me suis juré de ne jamais commenter l’actualité européenne pour des raisons personnelles. Il est trop tôt pour tirer des conclusions sur l’épidémie...n’est-ce pas. Les Européens se sont bien gardés de se présenter comme modèle à suivre, et dites-moi la politique de santé dans des cas pareils, relève des Etats-membres ou de la Commission ? Pourquoi le Royaume-Uni, les Pays-Bas, et la Suède n’ont pas suivi les recommandations de confinement ? Comment la France peut porter secours, alors qu’elle n’a pas assez de masques pour son personnel soignant. Et pour revenir à la période de la Première guerre mondiale, n’êtes-vous mieux inspiré pour rappeler la Grippe espagnole qui a fait plus de morts que la guerre, et comment se sont comportés les protagonistes après cette épidémie. https://www.lemonde.fr/livres/article/2020/03/18/retour-sur-la-grippe
L'ARCHIPEL LIBANAIS
20 h 19, le 20 mars 2020