Critiques littéraires Bande dessinée

Un air de Greta gothique

BD Doumit

Lorsque René Goscinny, scénariste d’Astérix, Lucky Luke, Iznogoud, Le Petit Nicolas (mais la liste serait longue) mourut à 51 ans le 5 novembre 1977, la question de la poursuite des aventures du Gaulois le plus célèbre de la bande dessinée se posa. Albert Uderzo, son dessinateur, décida de reprendre seul le flambeau, assurant tant bien que mal textes et dessins de dix albums aux qualités inégales.

Lorsqu’à l’orée des années 2010 il décida de passer le relais, c’est naturellement vers son premier assistant, Frédéric Mebarki, encreur des derniers albums et illustrateur d’un bon nombre de dessin dérivés de la série, qu’il se tourna. Las ! Habile à reproduire le style du maître, Mebarki n’avait pas pour lui le sens de la narration et de la mise en séquence.

Une nouvelle équipe fut alors constituée. Jean-Yves Ferri serait en charge des textes, Didier Conrad des dessins, tous deux adoubés par Uderzo et Anne, la fille de René Goscinny, romancière et gardienne du temple (et notamment auteure du Bruit des clefs, concentré d’émotion qui revient sur la perte de son père). Lorsqu’ils reprennent les aventures d’Astérix, Ferri et Conrad ont une longue carrière derrière eux et des faits d’armes remarqués et remarquables.

Les lecteurs connaissaient Jean-Yves Ferri pour De Gaulle à la plage, série de gags décapants mettant en scène le général à la retraite, s’adaptant avec difficulté à l’oisiveté du bord de mer, mais aussi Le Retour à la terre, série à succès dont il signe le texte pour Manu Larcenet.

Didier Conrad quant à lui s’était forgé un nom avec son comparse Yann depuis les années 80, animant la série à l’humour sans filtre Les Innommables, ou agrémentant les pages du journal Spirou de « notes de haut de pages », commentaires grinçants plus irrévérencieux les uns que les autres.

Tous deux nous ont habitués à des récits au ton moins prudent qu’Astérix. Et voilà qu’ils entraient dans un temple, une institution. Tous les risques étaient à prévoir, et notamment celui de voir nos deux auteurs inhibés par la tâche et paralysés par le regard permanent d’Uderzo. Le défi fut pourtant relevé avec un certain brio. Ferri joue avec une aisance palpable dans le registre de l’humour référencé et à plusieurs niveaux de lecture qui fait l’identité d’Astérix. Ses gags ne manquent pas d’élégance et reflètent sa nature pince sans rire que Goscinny entretenait aussi jusqu’à ses prises de parole en interviews. Conrad quant à lui reprend le dessin avec une fidélité qui est en soi un défi, tant le style d’Uderzo n’obéit pas à des codes systématiques et balance du réalisme à l’humour de manière somme toute assez intuitive.

Quatrième album des deux compères, La Fille de Vercingétorix apporte une note contemporaine à la série. À travers le personnage d’Adrénaline, fille du célèbre chef gaulois, le récit offre une place de choix aux adolescents du village, oubliés de la totalité des autres aventures. Fidèles au principe qui veut qu’Astérix parle bien autant du monde contemporain que de l’époque gallo-romaine, ce n’est rien d’autre qu’une certaine jeunesse actuelle qui est ici mise en scène. Un album sur deux des aventures d’Astérix se passe au village (c’est un principe immuable) et c’est le cas de celui-ci. Ce n’est pas pour déplaire à Jean-Yves Ferri, qui semble plus à son aise dans les épisodes casaniers, petits théâtres aux personnages bien connus et propices au commentaire social.

Bon nombre de séries d’un certain âge d’or, de Blake et Mortimer à Ric Hochet en passant par Alix ou Les Schtroumpfs sont aujourd’hui reprises par de nouveaux auteurs. Entre les reprises appliquées et professionnelles, celles en forme d’hommage ou celles proposant un virage volontaire, celle d’Astérix est la seule qui installe, sur le long terme, un duo d’auteurs uniques, amenant doucement leur pâte au fil des épisodes. Lorsqu’ils auront la légitimité de prendre quelque liberté, il y a de fortes chances qu’ils sauront raviver une flamme qu’ils entretiennent encore sagement aujourd’hui.

La Fille de Vercingétorix (Astérix) de Ferri et Conrad, éditions Albert René, 2019, 48 p.

Lorsque René Goscinny, scénariste d’Astérix, Lucky Luke, Iznogoud, Le Petit Nicolas (mais la liste serait longue) mourut à 51 ans le 5 novembre 1977, la question de la poursuite des aventures du Gaulois le plus célèbre de la bande dessinée se posa. Albert Uderzo, son dessinateur, décida de reprendre seul le flambeau, assurant tant bien que mal textes et dessins de dix albums aux...

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