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Culture - Théâtre

Quand Joe Kodeih incarne « Emm el-Kel »...

Grimé en octogénaire tricoteuse et « embigoudée », l’ex-« Jagal d’Achrafieh », ex-« Abou el-Ghadab » livre, sur les planches du théâtre Gemmayzé, un one-(wo)man-show aussi drôle que finement troussé.

Joe Kodeih incarne une Emm el-Kel amusante et attachante. Photo DR

Silhouette voûtée et petits pas prudents, cette vieille femme qui s’avance sur scène emmitouflée dans un châle à franges, les lunettes sur le bout du nez et les bigoudis sur la tête a tout de la typique « tante libanaise de voisinage ». Et si la carrure est épaisse et le mollet saillant – sous la jupe droite assortie d’un corsage imprimé –, la voix fatiguée au débit lent et haché qui s’échappe d’une bouche aux lèvres peintes en rouge vermillon complète la désopilante transformation de Joe Kodeih en personnage féminin du troisième âge. Cette Emm el-Kel (mère de tous) que l’auteur-acteur et metteur en scène a composée à partir d’un mélange de caractères réels et de personnes âgées de son entourage, et dont il a repris, de certaines la démarche et les manies, et d’autres les petites histoires, entre moments marquants et illusions meurtries, pour fabriquer son personnage.

Une sorte de contre-pendant à l’autoproclamé « Bay el-Kel » (père de tous), ne peut-on s’empêcher de penser. Alors que son auteur préfère, lui, évoquer une figure allégorique et cocasse de cette thaoura libanaise à visage largement féminin. Toujours est-il que dans ce rôle apparemment à contre-emploi, mais en réalité parfaitement dans son registre de caricaturiste social, Joe Kodeih donne toujours libre cours à sa jubilation et son aisance sur les planches.


(Pour mémoire : Quand Joe Kodeih ressuscite la Bête moyen-orientale)


Une pasionaria aux cheveux blancs
Dès les premières minutes du spectacle, le public est pris par le bavardage de cette amusante et émouvante vieille dame qui évolue dans un décor désuet, sobrement réduit à un fauteuil, un guéridon et une lampe à abat-jour des années soixante. Une pasionaria aux cheveux blancs que la révolte du 17 octobre 2019 a sorti de son isolement et réveillé de la léthargie patriotique dans laquelle elle s’était réfugiée depuis la désillusion vécue un certain 13 octobre 1990. Et qui, s’étant redécouverte un sentiment d’appartenance et de solidarité nationales, tente désespérément de convertir à sa cause sa voisine du 2e étage, laquelle visiblement ne partage pas ses sympathies révolutionnaires…

Voilà pour les grandes lignes de ce « seul en scène » dans lequel l’auteur et comédien a mélangé son habile propension à croquer les travers et autres stéréotypes de la société libanaise avec des témoignages glanés sur le terrain de l’actuelle révolution. Mais aussi auprès de… « personnes qui ont visité le général Michel Aoun dans les années 90 au palais présidentiel ».


Sous le rire, la tendresse…
On ne vous en révélera pas plus de ce one-man-show d’une petite soixantaine de minutes. Mais ceux pour qui Joe Kodeih est synonyme de rire gras et d’allusions salaces en seront pour leurs frais. Sa Emm el-Kel est d’une belle subtilité. Avec un texte qui fait mouche, des pointes finement acérées, une légère pincée de scatologique (On ne se refait pas!) pour ce personnage certes au trait forcé, mais qui décrit de manière si percutante une phase actuelle et un vécu collectif douloureux. Sous le rire et la dérision perce la tendresse du regard que le trublion de la scène porte sur ses contemporains et spécialement les plus âgés d’entre eux, ces « oubliés de la société ». Et le message final de cette Stand Up Comedy est un pacifique appel à la solidarité des Libanais. Comme le disait son mentor Jalal Khoury : « Un spectacle de Joe a beau être léger, il est toujours un document sociologique. » Qu’il soit joyeusement délirant ou, comme ici, plus proche de la tragi-comédie… Un seul petit bémol : le ton monocorde tout au long de cette performance. Mais qui se justifie par le grand âge de son héroïne.

À voir assurément !

Au Théâtre Gemmayzé, École des frères, jusqu’à fin mars, les jeudis, vendredis et samedis (20h30). Billets en vente à la Librairie Antoine.



Pour mémoire
Joe Kodeih, daddy cool


Silhouette voûtée et petits pas prudents, cette vieille femme qui s’avance sur scène emmitouflée dans un châle à franges, les lunettes sur le bout du nez et les bigoudis sur la tête a tout de la typique « tante libanaise de voisinage ». Et si la carrure est épaisse et le mollet saillant – sous la jupe droite assortie d’un corsage imprimé –, la voix fatiguée au débit...

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Enfin du theatre

Eddy

10 h 21, le 21 février 2020

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Commentaires (1)

  • Enfin du theatre

    Eddy

    10 h 21, le 21 février 2020

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